« þetta reddast » : histoire du drapeau de l’Islande

, par Théo Boucart

« þetta reddast » : histoire du drapeau de l'Islande
Source Pxfuel

« Tout va bien se passer ». Voici comment on pourrait traduire la formule typiquement islandaise, symbole de l’esprit de résilience du pays de glace et de feu, à l’instar de ce que les Finlandais appellent le Sisu. Tout comme leurs voisins fenniques, les Islandais ont vécu de nombreux siècles sous la domination d’une puissance scandinave continentale. En ce vendredi 17 juin, les Insulaires fêtent l’instauration de la république, dernière étape du processus d’indépendance, et arborent fièrement leur drapeau (íslenski fáninn).

L’Islande, c’est d’abord une métaphore de la vie et des émotions : la placidité des champs du Landmannalaugar et des glaciers, dont le plus grand, le Vatnajökull, est aussi grand que la Corse, peut rapidement faire place au tumulte d’un geyser (l’un des seuls mots islandais à être rentré dans le vocabulaire français courant) ou d’une éruption volcanique. L’aridité de la croûte terrestre, recouverte de cristaux de soufre, peut cohabiter avec de vastes étendues de verdure où broutent nonchalamment les fameux chevaux endémiques de l’île.

L’Islande, c’est aussi une histoire d’émancipation comme de domination, de grandes explorations comme de petites communautés terrées au fond de fjords. Peuplée dès la fin du IXème siècle par des Vikings provenant de l’Ouest de la Norvège, et très probablement avant par des moines irlandais, l’Islande est devenu un « État libre » (Þjóðveldisöld) dès 930, à la faveur de l’établissement de l’Alþing, considéré par certains comme le premier parlement « moderne » du monde. Cette indépendance a été la période d’un foisonnement culturel incroyable avec la rédaction des fameuses Sagas, Eddas et autres poèmes scaldiques. C’est aussi la période de grandes découvertes géographiques : le banni d’Islande Erik le Rouge (Eiríkr Rauði) a découvert les terres du grand Nord canadien vers l’an 1000.

Après le tumultueux « âge des Sturlungar », l’Islande est tombée sous la domination du Royaume de Norvège en 1262, lui-même annexé par le Danemark en 1380. L’île s’est alors retrouvée pour plusieurs siècles sous la suzeraineté de ses puissants voisins scandinaves. Un âge considéré comme sombre et qui a plongé le pays dans une certaine obscurité culturelle et politique.

L’influence de la Révolution française à la fin du XVIIIème siècle a pourtant réveillé les velléités indépendantistes d’une partie des quelques dizaines de milliers d’insulaires.

Pleine indépendance en 1944

Comme pour la Norvège, l’Islande a connu un processus d’indépendance en plusieurs étapes. Une première étape d’importance a été franchie le 1er décembre 1918 avec la création du royaume d’Islande, en union personnelle avec le Danemark. Pour la première fois depuis le XIIIème siècle, l’île a une existence politique reconnue. À la faveur de la Seconde Guerre mondiale toutefois, les liens avec l’ancienne puissance coloniale ont été entièrement rompus et la république a été proclamée le 17 juin 1944. Le jour même, le drapeau islandais actuel, une croix scandinave rouge et blanche sur un fond bleu, est officialisé dans la Loi n°34.

Le drapeau actuel est pourtant bien plus ancien que l’année 1944. Proposé durant la première décennie du XXème siècle par Matthías Þórðarson, il a été utilisé officieusement dès 1915, alors que l’île était encore sous la domination danoise. En 1918, il est devenu le drapeau officiel du nouveau royaume d’Islande.

Croix scandinave de feu, de glace et d’eau

Comme pour les autres drapeaux nordiques, appartenant ou à des pays indépendants ou à des dépendance (comme l’archipel d’Åland), l’Islande a adopté la fameuse croix scandinave, née de la légende du Roi danois Valdemar II combattant les Estoniens païens au début du XIIIème siècle à Lyndaniz, près de l’actuelle Tallinn. À la fin de cette bataille sanglante, la tunique du roi guerrier aurait été recouverte de sang à l’exception de l’endroit où se trouvaient sa ceinture et son baudrier, formant ainsi une croix blanche sur fond rouge, un motif finalement choisi par le pays scandinave et imité par ses voisins nordiques. Fait quelque peu cocasse : l’une des attractions touristiques de Tallinn est une statue du roi Valdemar avec un bouclier représentant un drapeau danois.

Dans le cas spécifique de l’Islande, les couleurs symbolisent la géographie du pays (à l’instar de la Finlande, mais contrairement au Danemark, à la Suède ou à Norvège, dont les couleurs utilisées symbolisent d’autres concepts) : le bleu pour les montagnes et l’océan, le blanc pour la neige et les (très nombreux) glaciers, le rouge pour les volcans et le magma, bien qu’à la base, l’ajout du rouge était censé symboliser la religion chrétienne. Même si ce n’était certainement pas dans les intentions des inventeurs du drapeau, les couleurs rouge, blanche et bleu étaient présentes sur les drapeaux des grands États démocratiques, comme les États-Unis, le Royaume-Uni, ou encore la France.

Morue, faucon et confusion avec le drapeau grec

Le drapeau actuel de l’Islande n’est pourtant pas l’unique qu’a pu arborer (quoique non officiellement) la nation insulaire. Au début du XIXème siècle, l’aventurier Jørgen Jørgensen a proposé un drapeau bleu marine avec trois morues sans tête dessinées en haut à gauche pour la terre dont il s’était autoproclamé « protecteur ». Jørgensen est en effet connu en Islande sous le nom de « Jörundur “Hundadagakonungur” » (le « roi des grandes chaleurs »), puisqu’il a « gouverné » l’Islande pendant l’été 1809, avant d’être chassé par les autorités danoises (et de mourir de l’autre côté de la planète, en Tasmanie).

Si la représentation des morues peut paraître curieuse, il faut savoir que ce poisson figurait déjà sur les armoiries de l’île au Moyen-Âge (à en croire le livre Stokkhólmsbók de 1360). Autre fait national impliquant ce poisson savoureux, la fameuse « guerre de la morue » (« Þorskastríðin » ou « Cod War »), un conflit latent opposant l’Islande et le Royaume-Uni entre 1958 et 1976 au sujet de l’extension de la zone de pêche islandaise.

Plus tard au XIXème siècle, en 1870 précisément, un autre drapeau a été proposé par Sigurður Guðmundsson, un artiste islandais formé à Copenhague. Ce drapeau était également bleu foncé, mais avec un motif central représentant un faucon en vol, allégorie selon certains d’une jeune nation prenant son envol. Pourtant, selon une légende urbaine, le faucon aurait été dessiné les ailes au repos par les Danois, afin de calmer les ardeurs indépendantistes.

Mais le drapeau « primitif » qui a le plus marqué les esprits, c’est bien celui d’Einar Benediktsson en 1897. La couleur bleue est conservée, mais une croix blanche fait la première fois son apparition. Baptisé en islandais « Hvítbláinn », cet étendard rendait déjà hommage aux caractéristiques géographiques de l’île, les deux couleurs représentant respectivement la mer et la neige. En raison de sa forte ressemblance avec le drapeau grec de l’époque, le Hvítbláinn est abandonné quelques années plus tard pour celui que nous connaissons actuellement.

Le drapeau islandais est utilisé à de nombreuses occasions officielles, dont voici les principales : l’anniversaire du président de la république (actuellement le 26 juin), le Nouvel An, le Vendredi Saint, Pâques, le 1er Mai, le solstice d’été, la Pentecôte, le « jour des marins », la fête nationale du 17 juin, le jour de la langue islandaise (dagur íslenskrar tungu, le 16 novembre), la fête de l’autonomie du 1er décembre, et le jour de Noël.

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