« Le jour le plus Non » : le titre en blanc ressort bien sur ce fond bleu accompagné de quatre étoiles. C’est la Une qu’a choisi le journal Libération, lundi 30 mai 2005, au lendemain du référendum français sur le traité constitutionnel européen. Cette année là, l’Union européenne est (re)devenue un réel sujet d’intérêt médiatique, comme elle avait pu l’être en 1992, au moment des accords de Maastricht.
15 ans plus tard, l’un des rares effets positifs, s’il peut en exister, de la pandémie de coronavirus qui a sévit dans le monde entier est qu’elle a remis l’Union européenne sur le devant de la scène médiatique. La presse française n’a plus eu d’autre choix que de revenir sur les divers plans de soutien et stratégies développées par les institutions européennes et plus précisément, la Commission européenne. Le 27 mai 2020, Libération fait le choix de remettre l’Europe à sa Une, avec un portrait photo d’Ursula von der Leyen, la présidente de la commission, et ce titre “L’Europe à fond la caisse”.
Le web, nouvel outil de la couverture médiatique de l’Union européenne
Sur la période écoulée, l’Union européenne a connu trois élections parlementaires, a laissé entrer plus de dix pays en son sein, et a vu l’un de ses membres partir, une première dans l’histoire de l’Union. Une période propice, donc, à une couverture médiatique riche, comme le souligne Michael Malherbe, expert en communication européenne et intervenant à l’Université Sorbonne Nouvelle : “Le premier élément majeur de ces quinze dernières années, et le Taurillon en est la preuve, c’est quand même le web, commente le spécialiste de la communication européenne, ce sont les blogs qui ont fait le vote dans la campagne de 2005.”
Lorsque Le Taurillon a été créé en 2005, c’était notamment pour défendre le projet de constitution européenne. L’année 2005 a été importante dans la médiatisation des questions européennes en France, la presse se faisant le relais des différentes opinions sur le sujet, au travers du débat “pour ou contre une constitution européenne”. À tel point que le Conseil supérieur de l’audiovisuel a livré un rapport sur la campagne en vue du référendum, publié en juillet 2005.
Les résultats de ce référendum, un « Non » massif de la part de Français s’étant déplacés en nombre pour voter (plus de 69 % de participation, contre moins de 43 % aux élections continentales l’année précédente) a entraîné un regain d’intérêt à propos des enjeux européens. Mais comme souvent, ces enjeux sont souvent relayés à travers des lectures « nationales ». En 2007, Stéphane Carrara dresse dans nos colonnes un état des lieux des « relations entre l’Union européenne et les médias nationaux ». La difficulté est là : « La presse grand public et les groupes de télévision ne montrent aucun intérêt pour l’Europe et considèrent l’UE comme « pas assez sexy », ni « vendable ». »
En parallèle, l’actualité européenne est de plus en plus relayée sur internet. “Le web et l’Europe ont une histoire commune très riche”, précise Michael Malherbe. “Dès le début du développement du web, puisque l’Europe est mal traitée au sens littéral et au sens figuré, elle devient un objet de traitement en ligne. Les quinze ans passés ont été une période féconde pour l’émergence de médias comme Euractiv, Contexte, Politico europe…”
Le spécialiste en parlait déjà en 2015, dans l’une de ses publications : les tentatives transnationales de médiatisation européenne ont historiquement rencontré des difficultés à se développer, car il n’existe à proprement parler quasiment pas d’espace public européen. En France, les médias nationaux conservent une lecture nationaliste de l’actualité européenne. Mais l’Union européenne se fait peu à peu une place, entre les pages « International » et « France ».
Une nouvelles sensibilisation aux questions continentales
À chaque nouvelle élection européenne est l’occasion d’observer des changements dans le traitement médiatique de l’objet européen en France. En 2009, les médias se concentraient essentiellement sur la liste de Cohn-Bendit ou de Martine Aubry ou encore sur la défaite du Labour britannique. Le traitement des élections européennes était assez idéologique, il fallait être pour ou contre. Le discours était assez poussif et ne permettait pas d’exprimer la nuance”, se remémore Michael Malherbe. L’enseignant a en revanche constaté que pour le dernier scrutin continental, en 2019, “un travail a été réalisé pour rentrer un petit peu plus dans le détail des sujets européens”.
Pour l’expert, cette évolution s’explique simplement : “l’actualité sur le mandat écoulé a été européenne de facto, la zone euro, le Brexit, la crise des migrants, tout le monde en parlait, cela a été discuté dans les autres pays, et donc on pouvait cette fois formuler des jugements plus mesurés”. Le public a, au cours des années passées, acquis une nouvelle sensibilisation sur les sujets européens.
En 2007, les conséquences de la crise financière mondiale sur l’Union européenne, et la zone euro tout particulièrement, va faire revenir l’Europe au centre des préoccupations. La situation en Grèce, et les débats qui l’entourent, sont largement décrits par la presse française. Pour de nombreux journaux français, c’est l’heure d’introduire quelques aspects techniques dans leurs explications. Fonds structurels, eurogroupe, zone euro, Commission, taux de la BCE… La crise de la dette grecque permet -bien malgré elle- de faire découvrir au lectorat certaines des faces méconnues de l’Union. Spécialisé dans les questions économiques, le média La Tribune développe par exemple les plans mis en place par l’UE pour “soulager la Grèce”.
Quelques années plus tard, c’est la question de la “crise migratoire” qui va cristalliser les débats médiatiques. De sommets en polémiques, le sujet enfle et s’impose dans les médias d’Europe. Cette problématique est un “défi” pour l’Union européenne et ses conséquences tragiques ressurgissent aux quatre coins du continent. La découverte d’un camion remplit de cadavres en Autriche, celle du corps d’Aylan Kurdi, trois ans, retrouvé sur une plage de Turquie cotoient dans les médias la couverture régulière de la situation dramatique de la “jungle de Calais”, sur fond d’impuissance politique des institutions. L’Union européenne est à la fois de plus en plus identifiée, en tant qu’actrice et même responsable de cette crise, et en même temps reste peu concrète, entitée lointaine personnifiée le plus souvent par Angela Merkel.
2016-2017, le Brexit et Macron pour “relancer l’Europe”
À peine un an plus tard, c’est le Brexit qui vient remettre l’Europe au centre de l’attention médiatique. Sur le logiciel Europresse, qui conserve les archives de nombreux médias français, si la première apparition du terme ‘Brexit’ date de 2012, en tout, plus de 167 677 occurrences sont à relever dans les diverses publications sur les huit années suivantes. La presse française s’attache d’abord à démontrer pourquoi le Royaume-Uni devrait rester dans l’UE. Peu à peu, le sujet gagne en importance, jusqu’au référendum dont le résultat surprend puis aux négociations qui traînent en longueur et laissent l’impression qu’un tournant est arrivé. Le Point n’hésite pas à parler “d’absurdité du siècle”, tandis que Les Echos relayent une posture de plus en plus partagée : “Utilisons le Brexit pour relancer l’Europe.
Dans ce contexte singulier, l’Union européenne s’impose comme l’une des thématiques importantes des élections présidentielles françaises de 2017. L’un des candidats a même ouvertement mené sa campagne nationale autour du rejet du projet européen : François Asselineau choisit un slogan évocateur, “Frexit”. Surtout, cette introduction des enjeux européens dans le débat électoral correspondait aux volontés, certes antagonistes, des deux qualifiés pour le second tour. D’une part, Marine Le Pen annonce dès février 2017 sa volonté d’en “finir avec l’Union”, avant de faire état, au cours du débat d’entre deux tours, de positions peu affirmées sur la sortie de l’Euro. Un “moment clé”, d’après l’Express. De son côté, le candidat Macron s’est très tôt posé en défenseur de l’Union européenne et son élection est vue à travers le continent comme “une victoire pour l’Europe”. Une fois de plus, l’Union européenne se retrouve dans les médias et les discours publics, mais traduite par une vision très nationalisée et très divergente selon les candidats et les journaux en question.
Une fois élu, Emmanuel Macron n’a pas hésité à prendre la plume dans des médias non français. Son texte, "Pour une renaissance européenne", publié le 5 mars dans 28 quotidiens européens et dans 22 langues différentes a certes engendré des réactions diverses. Mais ce type d’initiative est très novateur. “Ce que l’on constate au niveau des chefs d’Etats et de gouvernement, c’est une tentative de leur part d’essayer d’investir davantage une presse extra nationale par la publication de tribunes dans des langues étrangères par rapport à la leur”, développe Michael Malherbe. Textes de Merkel publiés dans d’autres pays, traduction des prises de positions de Von der Leyen… “Les affaires européennes, d’une certaine manière, se sont européanisées”, confie le spécialiste, “elles se faisaient essentiellement avec les correspondants de presse à Bruxelles, aujourd’hui ça se fait un peu plus largement avec la mobilisation ponctuelle de médias extra-nationaux”.
L’ “euroscepticisme light” comme obstacle à l’approfondissement de la couverture médiatique
Michael Malherbe constate “une élévation du niveau, une hausse de la technicité des journalistes” sur les questions européennes. Cependant, “des titres sont engloutis, la dernière crise frappe très durement les médias. L’investissement dans l’information européenne est en train de disparaître. Il y a de moins en moins de correspondants permanents, les équipes se réduisent à Bruxelles, mais dans les capitales aussi… On est un peu moins bien informés par les médias nationaux et ce sera plutôt davantage par d’autres biais que l’actualité des autres Etats membres nous parviendra”.
Aujourd’hui, Michael Malherbe s’inquiète d’une recrudescence de ce qu’il nomme “l’euroscepticisme light”. “L’Europe est restée le parent pauvre, ça s’est dégradé notamment parce que pendant très longtemps, être pro-européen était une position moralement juste et politiquement payante, alors qu’aujourd’hui, je trouve que l’ “euroscepticisme light”, une position assez répandue. Je veux dire par là que si l’on veut être “fashionable” dans les médias, il faut taper un peu sur l’Europe.” Se montrer dur envers l’Europe ou simplement éviter d’en parler. Une simple recherche sur le logiciel Europresse donne 2190 occurrences en 2005 dans les titres d’articles de presse nationale de l’expression “L’Union européenne”. En 2018, il n’y en a plus que 559. Il y a pourtant urgence à parler d’Europe, d’autant plus qu’une étude menée au début de l’année 2020 démontre qu’une majorité de Français souhaiteraient être mieux informés sur les sujets européens.
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