15 ans de politique européenne de voisinage à l’Est : dans l’ombre éternelle de la Russie ?

, par Théo Boucart

15 ans de politique européenne de voisinage à l'Est : dans l'ombre éternelle de la Russie ?
Manifestants pro-européens en Ukraine.

Cet été, Le Taurillon vous propose une grande série sur l’évolution des principales politiques européennes depuis 2005, année de naissance de notre journal. Dans cet article consacré à la politique européenne de voisinage à l’Est de l’Europe, nous passons en revue la genèse et le bilan de la première décennie d’existence du Partenariat oriental, pilier central (et instable) de la politique étrangère européenne.

« L’Union européenne est convaincue que des liens politiques renforcés et une prospérité partagée sont bénéfiques pour les deux parties [l’UE et le Partenariat oriental]. Ces convictions nous guident depuis le premier sommet du Partenariat oriental, il y a quatre ans ». C’est en des termes un brin lyriques que le président du Conseil européen, Herman van Rompuy, a souligné lors du sommet de Vilnius de 2013 l’importance du Partenariat oriental, mis en place en mai 2009 dans la capitale tchèque.

Une petite formule particulièrement déconnectée de la réalité du sommet lituanien. La veille de cette déclaration, le Président Ianoukovitch avait annoncé que son pays, l’Ukraine, ne signerait pas l’accord d’association négocié avec l’Union européenne. Une volte-face de dernière seconde, vraisemblablement motivée par les pressions exercées par la Russie.

Même si la Moldavie et la Géorgie ont signé leur accord lors du sommet, le refus ukrainien a sensiblement freiné la dynamique de coopération entre l’UE et ses voisins de l’Est. Les grandes manifestations pro-européennes sur la place Maïdan, ainsi que la réaction russe d’apparence disproportionnée en voyant son ancienne république soviétique se rapprocher de nouveau vers l’Europe occidentale, ont toutefois montré les dynamiques complexes d’une région absolument stratégique pour l’Union, très tôt intéressée par les bouleversements subséquents à l’effondrement du bloc soviétique et communiste. Retour sur quinze ans de politique européenne du voisinage à l’Est, cette « Ostpolitik » à la sauce XXIème siècle.

L’importance de l’Europe orientale

La politique européenne de voisinage est le pilier central de l’action extérieure de l’Union européenne. Ces deux politiques trouvent leur fondement dans la chute du mur de Berlin et la réunification allemande (et donc de l’ensemble du continent européen). Pour la nouvelle Union européenne, il s’agissait alors de constituer un « arc de stabilité » au Sud (en mer Méditerranée) et à l’Est (dans les anciennes démocraties populaires et nouveaux pays issus de l’URSS).

Très tôt cependant, la Commission a accordé bien plus d’importance à la dimension orientale de sa stratégie de voisinage, au détriment de la dimension méridionale, pourtant institutionnalisée dès 1995 avec le partenariat Euromed (devenu l’Union pour la Méditerranée en 2008). La plupart des pays d’Europe centrale était en effet en pleine procédure d’adhésion à l’Union européenne. En outre, des accords de partenariat et de coopération (ACP) bilatéraux ont été ratifiés avec les pays d’Europe orientale (Russie en 1994, Ukraine, Moldavie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan entre 1998 et 1999, l’ACP avec la Biélorussie étant toujours officiellement en cours de ratification depuis 1995…).

Les quinze dernières années ont été marquées par une volonté d’institutionnaliser et de rendre plus cohérent la stratégie de voisinage européenne. Dans la perspective de l’adhésion à l’UE des huit premiers pays anciennement communistes en 2004, la politique européenne de voisinage (PEV) a été proposée en 2001 par le Conseil européen, puis formulée deux ans plus tard par la Commission de Romano Prodi. En 2007, un instrument européen de voisinage et de partenariat (IEPV) était mis en place pour aider financièrement les pays impliqués dans la PEV (et remplaçant d’autres instruments financiers, comme le TACIS à destination des voisins Est-européens).

Tout au long des années 2000, l’UE a donc compris que des accords bilatéraux ne suffisaient pas, mais qu’un cadre de coopération multilatéral avec les partenaires orientaux et méridionaux était nécessaire et complétait les liens politiques et économiques déjà tissés. Le Partenariat oriental en est un exemple typique.

Le Partenariat oriental comme structure hybride

Proposé en 2008 par la Suède et la Pologne, deux pays traditionnellement méfiants d’un point de vue géostratégique vis-à-vis de la Russie, le Partenariat oriental a été officiellement institué en mai 2009 lors du Conseil européen de Prague. A partir de ce moment-là, l’Union européenne a institué des rencontres très régulières avec ces « voisins orientaux ». Tous les deux ans, des sommets rassemblent les chefs d’Etats et de gouvernements de l’UE et des six pays concernés pour discuter des orientations stratégiques communes. Le dernier a eu lieu à Bruxelles en 2019. Afin de préparer ces réunions de haut niveau, les ministres des Affaires étrangères et des hauts diplomates se rencontrent sur une base plus fréquente, comme sur le modèle du Conseil de l’UE et de ses COREPER. Pour structurer le travail réalisé, des groupes thématiques ont été institués.

Au nombre de quatre (le développement et les opportunités économiques ; le renforcement des institutions et la bonne gouvernance ; la connectivité, l’efficacité énergétique, l’environnement et le changement climatique ; et la mobilité et les contacts interpersonnels), les « panels de discussions » fixent des objectifs stratégiques et sont un forum d’échange mutuel de bonnes pratiques, même s’il est évident que « l’européanisation » des pays orientaux est assez forte par ce biais.

L’un des principaux défis depuis la création du Partenariat oriental a été de renforcer la cohérence des objectifs à atteindre dans chaque thématique. Le Sommet de 2017, également tenu à Bruxelles, a ainsi mis en place la stratégie « 20 Deliverables for 2020 », soit cinq objectifs dans chaque thématique. Lors d’une visioconférence tenue en juin dernier, les chefs d’États et de gouvernements ont proposé que le sommet de 2021 soit l’occasion de formuler cinq nouvelles priorités politiques. La coopération s’adapte également en fonction des situations. Ainsi, plus d’un milliard d’euros ont été envoyés aux voisins orientaux pour faire face aux conséquences de la pandémie de coronavirus.

L’une des originalités du Partenariat oriental réside dans sa structure hybride marquée : le cadre de coopération multilatéral vient encadrer des relations bilatérales plus ou moins fortes. L’Ukraine, la Moldavie et la Géorgie ont ainsi ratifiés en 2016 des Accords d’association (AA) incluant des accords commerciaux complets. Ces textes de plusieurs milliers de pages ont une valeur contraignante et renforcent ainsi le processus d’européanisation. Dû à ses liens étroits avec la Russie, l’Arménie n’a pu signer en 2017 qu’un Accord de partenariat global et renforcé. L’Azerbaïdjan et la Biélorussie, malgré la nature très autoritaire de leur régime, ont également négocié des relations bilatérales. Le développement du cadre multilatéral de coopération durant la décennie 2010 a donc favorisé la consolidation des relations bilatérales.

La contre-offensive russe

Toutefois, il ne faudrait pas imaginer que ce nouveau rapprochement Est-Ouest se fait sans aucune difficulté. Le sommet de Vilnius de 2013 n’a pas été qu’un incident isolé, il révèle toute la méfiance, voire l’hostilité, de la Russie vis-à-vis de la politique européenne de voisinage. Deux ans plus tard, lors du sommet de Riga en 2015, les partenaires européens ont donc convenu d’une approche plus pragmatique et réservée : poursuivre l’intégration politique et économique du voisinage oriental tout en ménageant la Russie qui tient vraiment à conserver son influence dans son ancien glacis.

La même année, Moscou a d’ailleurs lancé ce qui semble être un projet d’intégration concurrent de l’Union européenne : l’Union économique eurasiatique, opérationnelle depuis le 1er janvier 2015. Composée initialement de la Russie, de la Biélorussie et du Kazakhstan, l’UEE a accueilli depuis l’Arménie (d’où l’impossibilité de signer un Accord d’association avec l’UE) et le Kirghizistan. Tout comme l’Union européenne, l’Union économique eurasiatique doit former un marché commun dans de nombreux domaines, comme par exemple l’énergie.

Ces dernières années, les pays d’Europe orientale et du Caucase se retrouvent donc de plus en plus pris en étau entre deux blocs concurrents, l’UE et la Russie, cette dernière construisant une union eurasiatique taillée sur mesure pour exercer son influence sur ses anciennes colonies soviétiques. Cette situation est-elle tenable ? Les évènements politiques en Ukraine montrent que cette escalade a des conséquences dramatiques. Par conséquent, il semble nécessaire que Bruxelles et Moscou opèrent un rapprochement et réintroduisent une dose de confiance dans leurs relations communes pour que les pays du Partenariat oriental puissent se développer en toute stabilité et puissent choisir le projet d’intégration répondant le mieux à leurs inspirations.

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom