15 ans de relation avec le Moyen-Orient : un engagement européen à géométrie variable

, par Yousra Manai

15 ans de relation avec le Moyen-Orient : un engagement européen à géométrie variable
Federica Mogherini et Mahmoud Abbas lors d’une rencontre en octobre 2015. Image : Conseil de l’UE

Tandis que depuis les années 1990, l’Union européenne a progressivement tissé des liens avec les pays du Moyen-Orient à travers la signature d’accords d’association et la présence d’une vingtaine de délégations, elle a parfois peiné, durant ces quinze dernières années, à mener une politique étrangère parfaitement crédible, alternant attentisme et prises de position plus fermes. Revenons sur les grandes lignes politiques et diplomatiques de ces relations à géométrie variable.

Une position à contre-courant des aspirations démocratiques locales

Bien que l’Union européenne soit parvenue à tisser des liens économiques avec la région dès 1989, à l’exception de l’Irak, force est de constater que le bilan politique de ces accords est moins convaincant. En effet, le partenariat stratégique entre l’Union européenne et le Moyen-Orient conclu en juin 2004 vise à promouvoir des réformes non seulement économiques mais également politiques et sociales. Or, comme le souligne François Burgat dans une note de 2006 à destination de la commission des affaires étrangères du Parlement européen, l’Union européenne a, sur ce plan, dévoilé ses propres failles en raison de la fragilité de ses relais institutionnels sur le terrain. Plus précisément, alors qu’elle s’est fixée pour objectif de promouvoir ses valeurs « dans ses relations avec le reste du monde » telles que le respect de la dignité humaine, la démocratie et le respect des droits de l’Homme (art.2 TUE), elle s’est heurtée à l’obstacle autoritaire des régimes en place. Ainsi, son partenariat repose en majeure partie sur le dialogue avec des autorités étatiques impopulaires ou des rares organisations de la société civile accréditées par le pouvoir en place ; de sorte que la plupart des négociations sur les sujets politiques sensibles se sont révélées stériles. Cette incapacité à impulser des projets politiques forts souvent réclamés par les populations alors que des manquements aux valeurs consubstantielles à l’Union européenne étaient avérés a annihilé l’espoir d’une alternative crédible aux États-Unis. Les intentions européennes ont été inévitablement perçues comme hypocrites comme le soulignent Sihem Bensedrine et Omar Mestiri dans L’Europe et ses Despotes tandis que certains États membres déroulaient encore le tapis rouge aux dictateurs de la région. Ce constat s’est révélé d’autant plus frappant lors du Printemps arabe (2010-2012), marqué par des révolutions que l’Union européenne n’a pas su accompagner en l’absence de position commune au sein du Conseil européen sous la présidence d’Herman Van Rompuy. Pourtant, elle aurait pu jouer un rôle clef dans la transition démocratique, notamment en Égypte avec la fin de l’ère Moubarak. Cette latence est en réalité symptomatique de la politique étrangère menée jusqu’alors par les dirigeants européens pour qui le maintien des régimes autoritaires en place était le seul rempart efficace à la poussée de l’islamisme radical . Ce rendez-vous manqué avec les peuples arabes sera peut-être reporté : c’est ainsi que dans le contexte de la guerre civile syrienne les chefs de la diplomatie des vingt-huit États membres ont très vite affirmé que le maintien du Président Bachar El-Assad était inenvisageable à l’issue de la transition politique du pays. Position qui sera finalement rejointe par Washington.

Vers un rôle de médiateur ?

De façon paradoxale, ces quinze dernières années ont également été marquées par des positions européennes plus affirmées à l’égard du reste du monde et particulièrement des États- Unis, comme le démontre les cas israélo-palestiniens et iraniens.

Dans le premier cas, l’Union européenne, à travers le Conseil européen et les Hauts représentants de la politique étrangère et de la sécurité commune successifs (HRPESC) a su maintenir une constante sur l’un des conflits contemporains les plus épineux. Avec un financement totalement assumé de plus de 50% de l’Autorité palestinienne, elle a pu s’octroyer un rôle privilégié dans le processus de paix aux côtés des États-Unis. C’est ainsi qu’elle est membre du fameux Quartet aux côtés de la Russie, des États-Unis et des Nations-Unies en charge d’aboutir à une paix durable. Néanmoins, le renforcement de son rôle de médiateur s’est surtout vérifié du côté palestinien puisque l’affirmation constante d’une solution à deux États et le maintien d’un dialogue avec des personnalités controversées telles que Yasser Arafat puis Mahmoud Abbas, les chefs de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), ont provoqué la défiance de l’État israélien. Ce dernier semble ne répondre qu’aux pressions américaines malgré qu’il entretienne un partenariat commercial, économique et scientifique de premier plan avec l’Union. Le projet de « paix » (en réalité d’annexion) proposé par l’administration Trump ce janvier traduit l’état de ces rapports de force. Car si les États-Unis et Israël se témoignent un soutien mutuel, Josep Borrell, actuel HRPESC s’est rallié à l’opinion des Nations-Unies estimant que « ce projet serait une violation du droit international » et « nuirait à la solution à deux États et à la stabilité régionale » de sorte que « les relations étroites avec Israël seraient également affectées si les territoires palestiniens étaient occupés ». Cette position dissidente est renforcée par la publication d’une lettre ouverte signée par plus de mille parlementaires issus de 25 pays européens du 23 juin 2020 exprimant leurs vives inquiétudes quant à l’avenir du processus de paix et appelant les dirigeants européens à agir au plus vite.

Enfin, outre son implication dans la signature de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (2015), défendu par l’ex- HRPESC Federica Mogherini, l’Union s’affirme comme médiateur face à la montée des crispations irano-américaines. Bien que les négociations se soient soldées par un échec avec l’annonce du retrait des États- Unis au traité, l’accord est tout de même maintenu et certains États membres – France, Angleterre et Allemagne - sont parvenus à mettre en place l’outil financier « Instex » permettant à la République islamique d’Iran et à l’Union européenne de poursuivre leurs échanges sans utiliser le dollar américain. Ce faisant, même si elle entend poursuivre des intérêts économiques propres, elle s’oppose frontalement à Washington et conserve par la même l’une des seules enceintes de discussion à laquelle l’Iran accepte de prendre part.

Une alternative en devenir face à l’unilatéralisme américain

En rappelant son attachement au droit international et en privilégiant le multilatéralisme à l’unilatéralisme, l’action extérieure de l’Union, jadis en proie au discrédit, prend une ampleur nouvelle et prometteuse. En effet, dans un contexte international de « crise du multilatéralisme » provoquée par les États-Unis qui mènent une politique étrangère dure si ce n’est intransigeante avec le Moyen-Orient, l’Union européenne apparaît plus aisément comme un vecteur de dialogue et d’horizontalité. À ce titre, le partenariat stratégique avec le Moyen-Orient constitue le seul cadre multilatéral existant en dehors du système des Nations unies. Cette posture d’interlocuteur modéré lui confère un avantage indéniable dans des territoires profondément marqués par un sentiment « anti-américain ». Longtemps qualifiée d’atlantique, la position européenne semble trouver progressivement sa propre identité : : à ce stade d’intégration, les décisions relatives à la politique étrangère sont encore soumises à la règle de l’unanimité ce qui ne lui permet pas d’adopter une attitude cohérente et plus audacieuse. Dès lors, il lui appartient à l’avenir de mener une politique étrangère plus intelligible et à la hauteur des valeurs qu’elle porte afin d’espérer peser au même titre que l’ambitieuse Russie dans la région.

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