30 ans après la fin de l’ère soviétique : Russie et URSS, même combat ?

, par Volkan Ozkanal

30 ans après la fin de l'ère soviétique : Russie et URSS, même combat ?
Crédit : Pixabay

Dans un peu moins de 10 jours désormais, le 25 décembre, le monde se souviendra que ce sont les 30 ans de la chute de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Une entité aussi disparate qu’imposante qui a marqué de son sceau près d’un demi-siècle de l’Histoire du monde. Pilier principal de ce que l’on a alors appelé la « Guerre Froide », l’URSS a laissé dans son sillage son lot d’interrogations. Mais, si l’Union n’est plus, la Russie actuelle semble emboîter le pas de sa devancière de manière plus subtile et élaborée.

1991, le début de la fin d’un monde révolu

Il y a donc 30 ans, l’URSS, et son système satellitaire, comprenant des Républiques allant de ce que l’on nomme aujourd’hui les Pays baltes, jusqu’au Caucase (Arménie, Azerbaïdjan), en passant par l’ Asie Centrale (notamment le Kazakhstan, l’Ouzbékistan ou le Turkménistan), prenait fin après quasiment 70 ans d’existence. Marquée par une gestion tentaculaire, un contrôle aigu de sa population et de ses multiples peuples ainsi qu’une volonté farouche de s’affirmer face au grand rival américain, l’URSS a été durant 50 ans le fer de lance de la lutte contre l’hégémonie des Etats-Unis dans le monde. Dès lors, si l’Union s’est disloquée finalement en 1991, les prémices de sa chute datent des années 1980 avec le début des réformes entamées par le dernier Secrétaire général du parti, Mikhaïl Gorbatchev qui lui-même a fêté ses 90 ans cette année. Tout un symbole pour un homme qui a tenté vainement de redresser une économie à l’agonie et un pays devenu “Colosse aux pieds d’argile”.

Mais avec la fin de l’URSS, c’est également la fin d’un monde qui a marqué des générations de personnes à travers le globe. A l’instar du “Monde d’hier” de l’écrivain Stefan Zweig, qui narre la tumultueuse Histoire européenne de la fin du XIXème siècle, âge d’or de l’Europe, jusqu’aux désastres des années 1930, la Chute du Mur de Berlin en 1989 succédé par la chute de l’URSS, peut être regardé comme un écho de ces bouleversements décrits par l’ouvrage de l’écrivain autrichien. Pour l’URSS, après avoir été une puissance dominante, sa fin a marqué le début d’une nouvelle ère faite d’instabilités durant une dizaine d’années, d’accaparements de ses richesses restantes et de la venue d’une nouvelle nomenklatura avide de profits. Une finalité qui a vu l’émergence d’une corruption galopante et de l’arrivée des fameux oligarques dont l’enrichissement a été aussi rapide que sonnant et trébuchant. Un comble dans une entité où le capitalisme n’avait pas le droit de citer et qui se targuait de contrôler les moindres velléités libérales de ses concitoyens.

Poutine, l’homme de force d’un nouveau régime

Dès lors, les années 1990 ont été rudes pour l’ex-Union soviétique. La Russie, revenue des cendres de l’URSS, a été confrontée et traumatisée d’une part par la perte de sa zone d’influence, notamment dans le Caucase et en Europe centrale, d’autre part, par une difficile mise en marche vers l’économie de marché, et cela durant le seul mandat de Boris Eltsine. Instabilités chroniques, affairisme, difficultés à mettre des réformes en place, guerres notamment en Tchétchénie, tout concourait à ce que la Russie perde de sa superbe et se trouve marquée par le sceau de l’infamie. Jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine qui le prendra définitivement en 1999 en devenant le nouveau dirigeant d’un pays confronté à des soubresauts de plus en plus importants. Et pourtant, en personnalisant la fonction présidentielle et en s’accaparant tous les pouvoirs sans opposition possible, Poutine a réussi à fédérer un pays et à mettre en place les germes d’une expansion d’une politique allant bien au-delà de la Russie. Que ce soit en Ukraine il y a une quinzaine d’années lors de la « Révolution orange » de 2004 ou en 2014 avec l’annexion de la Crimée, en Pologne ou, dernier exemple en date, en Biélorussie avec la crise des migrants venus aux portes de la Pologne, pays membre de l’Union européenne, la Russie a été capable de mettre en place une politique stratégique intense voire trouble.

Le Président russe est allé jusqu’à être partie prenante, au grand dam d’ailleurs du Président turc, Recep Tayyip Erdoğan, du conflit syrien et même récemment en Afrique, et plus particulièrement au Sahel, avec la société russe Wagner, provoquant alors l’indignation de la France, dont l’armée, par l’opération Barkhane, tente de contenir les milices islamistes de la région. La Russie de Vladimir Poutine, dont l’histoire personnelle raconte qu’il n’a jamais supporté l’effondrement de l’Union soviétique, a pris le pas de manière ostensible sur sa prédécesseure soviétique. C’est donc aussi bien sur le front politique, diplomatique, stratégique, voire technologique - pour un pays régulièrement accusé d’être à l’origine de déstabilisations (cyberattaques, manipulation électorale à travers le monde)- que la Russie de Poutine a pris le relais de la défunte URSS. En étant également capable de remettre au goût du jour la notion de « Guerre froide » face à son « meilleur » ennemi américain, le pays de Pouchkine démontre, si seulement il fallait le prouver, qu’il faut désormais compter sur ses capacités d’actions …et de nuisances.

Face à cette puissance, quel rôle et quelle réponse pour l’Europe ?

Dès lors, face à ce nouveau paramètre que beaucoup de pays n’arrivent pas encore à cerner, quelle est la position de l’Europe et de ses dirigeants ? Difficile à dire tant les intérêts divergent ou convergent en fonction de stratégies totalement opposées. Face à un pays et à un dirigeant qui montre ses muscles, l’UE n’arrive pas à trouver une voix pour ouvrir la voie. Diplomatiquement, la Russie réussit à tenir tête aux Européens, plus divisés que jamais à son sujet lorsqu’il faut prendre des décisions fermes. Et cela, que cela soit les Pays baltes (la Lituanie, la Lettonie et surtout l’Estonie qui a connu une cyberattaque de grande ampleur en 2007) qui se méfient de l’ancien « grand frère » russe ou la Pologne qui se retrouve avec une crise migratoire de vaste ampleur à ses portes du fait de Loukachenko, protégé de la Russie de V. Poutine. Que cela soit également l’Ukraine dont la crise et la partition inique ont été une tache sombre dans l’Histoire européenne ou même plus récemment l’Arménie qui a été « obligée » de signer une trêve, après des combats militaires tendus, avec l’Azerbaïdjan fin 2020 pour le contrôle de la région du Haut-Karabakh. Dans tous les cas, la réponse de l’UE a oscillé entre protestations de circonstances et peur de fâcher Moscou. Dépendant en grande partie, notamment en ce qui concerne l’Allemagne, du gaz russe, l’Europe peut difficilement répondre efficacement aux nombreuses ingérences russes. En quelque sorte, finalement, la Russie de Poutine a repris le flambeau soviétique mais avec des moyens plus subtils et avec davantage de résultats. Le 25 décembre prochain, on ne sait pas si Vladimir Poutine commémorera ou non les 30 ans de la Chute de l’URSS. Cependant, il est indéniable que de 1991 à 2021, pour le dirigeant russe, la route a dû paraître bien plus fructueuse que ce soir de décembre 1991 où l’incertitude se conjuguait aux crises que bon nombre de pays auraient eu toutes les peines à surmonter. De l’URSS du Parti Communiste à la Russie de Poutine, le monde d’hier a vécu et se régénère avec de nouvelles armes. A l’Europe de pouvoir répondre à ces problématiques de la manière la plus appropriée possible. Mais la volonté est-elle là et l’Europe peut-elle s’unir une bonne fois pour toutes afin de répondre de manière pérenne aux grands enjeux qui la guettent ? 2022 sera une année charnière -entre la prise de fonction du nouveau Chancelier allemand, Olaf Scholz et l’élection présidentielle française couplée au fait que le Président Macron prendra la tête du Conseil de l’Union européenne en janvier prochain- avec pour toile de fond, l’ombre russe de plus en plus grandissante en Europe et ailleurs, faisant écho à une Histoire aussi riche que tragique. Et dont la chute de l’URSS n’a été que le début d’une certaine renaissance impérialiste, 30 ans après. Comme l’écrivait Stefan Zweig dont on commémorera les 80 ans de sa mort en février prochain : « cela reste une loi inéluctable de l’Histoire : elle défend précisément aux contemporains de reconnaître dès leurs premiers commencements les grands mouvements qui déterminent leur époque ».

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom