ACTA : mauvais pour la santé ?

Interview de Pierre-Emmanuel Julia, Webmaster des Jeunes Ecologistes

, par Marc-Antoine Coursaget

ACTA : mauvais pour la santé ?

La diffusion récente de câbles WikiLeaks par la Quadrature du Net a permis de retracer les négociations de l’accord commercial contre la contrefaçon (ACTA). Rendues publiques sous l’effet notamment des pressions de Parlement européen, les négociations de l’ACTA menaceraient la liberté sur Internet et l’accès aux médicaments dans les pays en développement. Les Jeunes-Écologistes ont accepté de répondre aux questions du Taurillon après l’adoption d’une motion Anti-ACTA.

Le Taurillon : Qu’est-ce que l’ACTA ?

Pierre-Emmanuel Julia : ACTA signifie « Anti-Couterfeiting Trade Agreement » ou en français « Accord Commercial Anti-Contrefaçon ». C’est un projet de traité international dont l’objectif est de réglementer la contrefaçon à l’échelle planétaire. Il est en cours d’élaboration dans le plus grand secret, ce qui a souvent limité l’accès aux informations sur son avancement.

Les négociations ont lieu entre l’Australie, le Canada, la Corée du Sud, les Émirats Arabes Unis, les États-Unis, le Japon, la Jordanie, le Maroc, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, Singapour, la Suisse et l’Union européenne, mais sans la Chine, le Brésil, l’Inde ou la Russie. Celles-ci se déroulent en-dehors de tout cadre multilatéral, c’est à dire qu’aucune organisation internationale ne les supervise.

Le domaine concerné est immense, cela vise aussi bien les contrefaçons de marchandises que le non-respect des brevets sur les médicaments (gros enjeu industriel) ou que le piratage de logiciels ou d’œuvres numériques. Ce projet a été poussé par les grands groupes industriels, inquiets pour leur modèle économique, afin de protéger copyrights et droits d’auteur.

ACTA est souvent présenté comme un complot fomenté dans l’ombre par nos gouvernements. Les négociations sont-elles vraiment secrètes ?

Les négociations ont commencé dans le plus grand secret, et elles ont démarré pour de mauvaises raisons, comme je le disais c’est l’industrie pharmaceutique et audiovisuelle qui ont impulsé ce projet, et ça nous le regrettons. Pour nous, la politique doit être faite par et surtout avec les citoyens, nous ne pouvons donc accepter une telle opacité !

Grace à Wikileaks et à la pression des députés européens, certains documents ont fuités ou ont été rendus public. Le sujet est compliqué et les citoyens comme les journalistes ont du mal à s’en saisir. Pourtant ce traité pourrait changer la face du monde, il est indispensable que le débat ait lieu ! C’est pourquoi les Jeunes Écologistes après avoir adopté une motion « Anti-ACTA » ont décidé de lancer une grande campagne d’information sur le sujet. Lors de notre première action nous nous sommes rendu compte (sans grande surprise) que très peu de personnes ont entendu parler d’ACTA, et qu’encore moins connaissent son contenu.

Pourtant, après une simple discussion de quelques minutes, l’immense majorité de nos interlocuteurs était révoltée et prête à nous aider. Aujourd’hui nous devons nous unir pour mener cette campagne, il nous faut au plus vite travailler avec des associations telles que ACT-UP ou la Quadrature du net, en pointe sur le sujet.

Logiciel libre, partage de données, liberté d’expression… En quoi les négociations de l’ACTA représentent-elles une menace pour Internet ?

Pierre-Emmanuel Julia : Si ACTA venait à être adopté, la pression juridique et financière sera appliquée sur les « intermédiaires techniques » c’est à dire les fournisseurs d’accès internet (FAI), les hébergeurs de blogs etc. ce qui d’une part est un non-sens total : imaginons une personne qui achète par correspondance une contrefaçon, si ACTA était appliqué dans un sens large le livreur serait responsable et coupable en cas de contrôle !

D’autre part, cela revient à transformer les FAI en véritable police du Net, devant en permanence surveiller leurs réseaux et leurs utilisateurs, et sanctionnant au mépris de toute autorité judiciaire et de tout droit à un procès équitable.

Pour ce faire, les ayants-droits pourraient obtenir des données privées en provenance des utilisateurs sans décision préalable d’un juge. C’est une menace dangereuse pour la vie privée, et cela va totalement à l’encontre de notre attachement à la « neutralité du net ».

Le but d’un tel contrôle est d’aller à l’encontre des « moyens massifs de distribution de contrefaçon » cela semble déguiser une procédure de criminalisation des plateformes de blogs, réseaux P2P, logiciels libres et autres technologies, ce qui est contraire à notre volonté de diffusion des connaissances sur internet.

La menace des logiciels libres va plus loin, il est prévu que la lecture des médias musicaux et audiovisuels ne puisse se faire si ces derniers ne possèdent pas de protection DRM (système de protection des droits d’auteur, et de reproduction numériques).

Nous, Jeunes Ecologistes, rappelons notre attachement aux logiciels libres, ainsi qu’à la diffusion des savoirs et de la culture, que nous considérons comme un pilier de l’émancipation des hommes, un moyen efficace pour tendre vers plus d’autonomie dans nos sociétés.

Est-il vrai que l’ACTA pourrait constituer une barrière à la diffusion des génériques dans les pays du Sud ?

Pierre-Emmanuel Julia : À propos des médicaments génériques, ACTA affiche une volonté de bloquer la circulation de certains d’entre eux au nom de la lutte contre la contrefaçon.

Alors que ces médicaments sauvent des millions de vies dans les pays en développement, le traité confond faux médicaments et médicaments génériques sans licence, c’est à dire des médicaments qui ne respectent pas les brevets, or le non-respect des brevets n’est en aucun cas un signe de médicament contrefait ou dangereux.

Nous avons assisté à plusieurs reprises à des blocages de médicaments génériques destinés à la lutte contre le VIH/Sida dans les pays en développement par les services douaniers d’États membres de l’Union Européenne, au motif de contrefaçons. Le traité ACTA offrirait un cadre juridique à ce genre de saisies tout simplement immorales et scandaleuses.

Au motif de la protection de la propriété intellectuelle, l’ACTA va étendre la portée des brevets dissuadant la recherche, la production et la commercialisation de médicaments génériques sans licence bon marché, alors que nous savons aujourd’hui qu’ils jouent un rôle primordial dans la lutte contre le SIDA, le cancer ou les maladies cardio-vasculaires dans les pays du Sud.

Les personnes les plus pauvres n’auront donc plus les moyens de se soigner. Les Jeunes Ecologistes tiennent à souligner qu’un traité servant les intérêts des multinationales pharmaceutiques au détriment de millions de vies est tout simplement criminel, et nous tenons à rappeler que les premières victimes de l’ACTA seront les populations les plus pauvres privées d’accès aux médicaments essentiels.

Le Taurillon : Quel a été le rôle des institutions de l’UE concernant les négociations de l’ACTA, et quel rôle doivent-elles jouer selon vous ?

Pierre-Emmanuel Julia : Le rôle des institutions de l’UE a été limité. le Parlement européen a fait pression pour que soient rendus public les textes des négociations, a eu gain de cause mais ne peut influer sur les décisions qui vont être prises.

Pour nous le sujet dépasse le cadre des institutions de l’UE, donc le rôle qu’elles peuvent avoir pour l’instant c’est de médiatiser le débat pour que les citoyens se l’approprient enfin !

Crédits : la quadrature du Net, certains droits réservés

Articlé publié pour la première fois en février 2011

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