Tout a commencé lorsque, fuyant l’Afrique du Nord, 28000 immigrés clandestins ont échoué sur les côtes italiennes de Lampedusa. L’Italie leur a délivré des titres de séjour en masse. Ceci tout en leur fournissant des documents de voyage.
L’idée, comme l’avait alors déclaré le Ministre de l’Intérieur italien, était de permettre à ces migrants de quitter le territoire national pour se rendre dans d’autres États membres, afin de ne pas subir les effets de cette pression migratoire –pression qui reste à relativiser puisque 28000 migrants pour un pays de 60 millions d’habitants ne constituent pas, à nos yeux, un problème.
La France, inquiétée par cette supposée « vague » migratoire, décida alors d’empêcher l’entrée d’un train en provenance d’Italie, considérant qu’il s’agissait d’une menace à l’ordre public puisqu’il était censé transporter un grand nombre de ces migrants fraichement régularisés. Les deux États se sont ensuite engouffrés dans une querelle juridique où chacun, y compris la Commission européenne, est à première vue en tort.
Au-delà des considérations juridiques, il est clair que les vraies origines de cette histoire sont politiques. Si Schengen est aujourd’hui menacé, il convient de répondre à ces menaces en y apportant des solutions à long terme, européenne et efficaces.
Schengen c’est quoi ?
Les accords de Schengen, signés en 1985, ont aboli les frontières internes entre 22 États-membres de l’Union européenne et 3 pays associés. Le Traité d’Amsterdam a intégré ces accords en 1997 ; concrètement, cela donne à la Cour de Justice européenne le droit de traiter les affaires qui s’y rapportent. Le système repose sur une absence de contrôle des individus (indépendamment de leur nationalité), en plus de « mesures appropriées » concernant les frontières externes de la zone.
Un débat juridique qui fleure l’absurde
Dans l’affaire du train, il semblerait que la plupart des acteurs n’aient pas respecté le droit européen. Il est possible de mener ce débat juridique très loin, tant il est complexe… sans pour autant que cela ne mène très loin ou que cela éclaire quiconque sur les vraies raisons et les vrais problèmes.
Le système Schengen a aboli les frontières entre les États participants. Les contrôles à l’entrée de l’espace Schengen ne sont pas effectués par des autorités européennes mais par les États membres. Les permis de séjour dans la zone sont également délivrés par les autorités nationales compétentes. Chaque décision prise par les administrations nationales a alors une potentielle incidence sur l’ensemble de la zone.
Le système repose en conséquence sur une confiance totale entre les pays participants et est régi par le Code Frontières Schengen (CFS). Il est notamment proscrit de procéder à des régulations massives et systématiques de clandestins.
L’Italie a cependant délivré de manière systématique (et non au cas par cas) des papiers à l’ensemble des immigrants nord-africains en situation irrégulière arrivés entre le 1er janvier et le 5 avril 2011. Elle leur a également fourni des documents de voyage. Ces deux décisions, en désaccord avec le CFS et prises unilatéralement, ont des conséquences sur l’ensemble de la zone.
Le pays a cependant respecté le droit européen en prévenant la Commission Européenne, qui n’a pas réagi directement, ce qui la place aussi dans une situation douteuse quant à ses obligations de Gardienne des Traités.
Les partenaires de l’Italie dans l’espace Schengen n’ont pas tardé à réagir. La France n’a pas été la seule à s’offusquer. La Ministre de l’Intérieur autrichienne Maria Fetker a qualifié le 11 avril 2011 les actions italiennes d’une « violation de l’esprit de Schengen » risquant de mener à « l’effondrement du système Schengen ». L’Allemagne, la Belgique et l’Autriche, avaient donc, en plus de la France, menacé de réinstaurer les contrôles aux frontières.
Enfin, la réaction de la France, au regard du droit européen, semble tout aussi discutable. Fermer temporairement ses frontières, pour des raisons d’ordre public –comme le CFS le permet – paraît disproportionné pour un train transportant plus de 200 activistes français et italiens contre moins d’une centaine de migrants. La France a omis de prévenir aussi vite que possible la Commission européenne et le Parlement européen.
Savoir qui a tort ou qui a raison a son importance, en particulier au regard d’une éventuelle jurisprudence. Il ne faut cependant pas se tromper, l’escalade qu’ont connus les événements relève bien plus du politique que du juridique.
Le Sommet Franco-italien, la raison qui triomphe ?
Ce conflit a été apparemment résolu au cours d’un sommet entre la France et l’Italie. C’est bien. Cela souligne que toute forme de conflits entre partenaires européens peut et doit être résolue avant qu’ils ne s’enveniment. Néanmoins, la solution trouvée au conflit n’est pas la bonne.
L’idée émise par Paris et Rome étant de réintroduire, temporairement, des contrôles aux frontières intérieures de la zone Schengen dans des situations qui ne sont pas prévues par le Code Schengen. Cela ne règlera pas grand-chose tout en revenant sur une mesure symboliquement forte et très favorable aux citoyens.
Une affaire politique et non juridique
Malgré une tentative réussie de faire croire à une déferlante migratoire, il faut d’abord relativiser les chiffres. Au total, d’après les autorités italiennes, 28 000 personnes sont arrivées en Italie en 2011. 23 000 tunisiens et 4 680 libyens. A titre de comparaison, selon les chiffres du Conseil de l’Union européenne, près de 2 millions d’individus rentreraient dans le territoire Schengen… chaque semaine.
Ni l’Italie, 60 millions d’habitants, ni la France et ses 64 millions d’habitants ne peuvent justifier leur réaction d’un point de vue économique. Ces migrants ne sont pas une menace pour les marchés du travail ou pour les systèmes sociaux. La source de la crise est politique : ces migrants ne sont pas un problème, on en fait un problème.
Il faut aussi rappeler que ces individus ne sont pas venus en Europe pour voler notre travail ou bénéficier des largesses d’un supposé généreux système d’assistanat. Ils ont fuit des zones en conflit et en proie à la misère. Comme l’a très justement rappelé l’eurodéputé Daniel Cohn-Bendit le 10 mai 2011, au moment de la guerre de Bosnie, les pays européens avaient également délivrés des titres de séjours aux personnes fuyant le conflit, sans que cela ne fasse tant de bruit, et les proportions étaient de cinq à dix fois plus grandes !
Migrants tunisiens : "L’Europe doit s’ouvrir et... par EurodeputesEE
Les agissements et les paris populistes des responsables européens sont donc inadmissibles. Concevoir des réfugiés de guerre, demandeurs d’asile, parce qu’ils sont africains et probablement musulmans, comme une patate chaude qu’on transmet aux voisins, relève plus du café du commerce que de responsables politiques… responsables. Vouloir fermer sa frontière à un train à grand renfort médiatique ne vaut pas beaucoup mieux.
Rien ne semble pourtant aujourd’hui arrêter des chefs d’État et de gouvernement en perte de vitesse et inquiets pour leur réélection. En ne réfléchissant qu’à court terme, si leur projet est accepté, ils passent pour des Jeanne d’Arc victorieuses ; si Bruxelles s’entête, ils jouent la partition de l’Europe-Tour d’Ivoire, déconnectée des attentes de ses citoyens.
Ils ne servent pourtant ni l’intérêt de l’Europe, ni celui de leurs pays en prenant en otage, à cause d’une querelle de clochers, l’une des réalisations les plus concrètes de l’intégration européenne. Si Schengen a des carences, il faut y remédier, en mutualisant par exemple les moyens pour contrôler les frontières extérieures de la zone d’une manière plus efficace et en concrétisant le régime européen d’asile prévu par le Traité de Lisbonne.
A terme, puisqu’il serait absurde de revenir sur un tel accomplissement de l’Europe et que cela risquerait de menacer soixante ans d’intégration européenne, une politique commune d’immigration doit être mise en place dans un avenir proche. Il en va de la survie de la zone Schengen.
Une approche différente envers les immigrants devrait aussi émerger en Europe puisque lorsque l’on commence à blâmer la différence, on commence généralement par les minorités les plus visibles et, une fois l’intolérance enracinée, le risque de vouloir rejeter toujours plus est très important.
Au moment où Barack Obama vante les immigrés et ce qu’ils ont apportés à l’Amérique, l’Europe de Berluskozy se meurt de son populisme. Il serait temps de réagir.
1. Le 24 mai 2011 à 19:22, par Damien Zalio En réponse à : Affaire Schengen : au-delà des attaques, d’autres réponses sont possibles !
Bravo pour cet article ! CQFD !
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