A l’heure où l’Union européenne fait face à une crise aux dimensions multiples, la culture est le socle commun auquel tous les citoyens européens peuvent se rattacher. Le cinéma à travers son aspect universel est l’art par excellence qui permet de créer et renforcer le lien d’appartenance commune.
La Commission européenne l’a bien compris et c’est pourquoi en 2012 elle a, à travers le programme MEDIA devenu depuis Europe Creative, lancé une action préparatoire relative à la « Circulation des films à l’ère numérique »
Partant du constat d’un encombrement au niveau de la diffusion des films en Europe du fait de la diminution du nombre de salles disponibles, d’une production toujours équivalente (1300-1400 films par an) et d’une accessibilité aux cinémas inégale en fonction des pays européens, cette action a pour objectif d’expérimenter des stratégies innovantes en matière de diffusion et de distribution des films européens telles que le « Day-and-date » c’est à dire des sorties simultanées ou quasi-simultanée de films en salle et en Vidéo à la demande (VoD).
L’objectif final serait donc d’améliorer la circulation transnationale et l’audience globale des films européens au sein de l’Union européenne et ainsi renforcer le sentiment d’unité et d’appartenance à l’Union européenne.
Trois projets ont été sélectionnés pour cette action à savoir : Wild Bunch avec le projet Speed Bunch, Artificial Eye pour EDAD, et enfin l’ARP – société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs- pour le projet TIDE. Ce dernier projet a pour but de sortir quatre films, chacun dans cinq territoires européens.
Le premier film à faire l’objet de cette expérimentation via le projet TIDE sera le documentaire suisso-français Viramundo, a journey with Gilberto Gil de Pierre-Yves Borgeaud. Le film sera lancé en salles et en VoD entre avril et juillet dans dix pays européens : France, Royaume-Uni, Irlande, Italie, Lituanie, Pologne, Portugal et au Benelux.
Cette expérimentation a comme principal intérêt d’adapter le cinéma européen à l’ère numérique. En effet, les nouvelles technologies bouleversent l’industrie cinématographique, de la production à la distribution et ce changement doit être coordonné à l’échelon européen. De nos jours, de réelles craintes peuvent être exprimées concernant l’avenir des salles d’art et d’essai. D’après Detlef Rossman, président de la CICAE (Confédération Internationale des Cinémas d’Art et Essai) deux problèmes sont à soulever : la production de films excessive face à une fréquentation plus ou moins stable, et la disparition des cinémas de centre-ville confrontés à des loyers trop élevés. Selon lui, « seuls des soutiens publics peuvent sauver ces cinémas ». Or la crise actuelle ne permet pas une aide étatique ou européenne. La fermeture de nombreuses salles d’art et d’essai est donc à prévoir. Cela est déjà une réalité en Hongrie par exemple où neuf des 44 cinémas d’art et d’essai ont fermés du fait du blocage des aides depuis plus de deux ans. Par conséquent, la démocratisation du cinéma européen se retrouve en danger alors que l’accessibilité aux cinémas est inégale sur le continent : il est recensé 16 102 personnes par salle de cinéma en Europe occidentale contre 40 750 en Europe centrale et orientale.
Internet serait donc une solution en permettant la circulation des contenus au delà des frontières afin de rendre les films accessibles au plus grand nombre de citoyens. De ce point de vue, Internet serait le support de diffusion d’une plus grande diversité de films. Comme le suggère aussi Michel Hazanavicius, Président de l’ARP, « Nous souhaitons essayer de sortir les films dans une fenêtre rapprochée dans les différents territoires. Pour le premier film TIDE, les sorties s’étaleront entre mai et juillet, contre 18 mois habituellement en Europe. C’est une expérience intéressante pour voir si l’on peut créer un bouche à oreille paneuropéen. »
Pour les participants au projet ainsi que pour la Commission européenne, il s’agit de défendre une vision de complémentarité des supports qui aurait pour seule perspective de rendre le cinéma européen davantage accessible dans toute sa diversité.
Néanmoins, comme le souligne la responsable MEDIA Aviva Silver les sorties simultanées « sont un sujet délicat qui réveille les passions ».
De nombreux acteurs craignent que ce projet ne remette en cause la chronologie des médias et conduise à un déséquilibre du système de financement du cinéma, en tout cas en France. En effet, dans l’Hexagone, une œuvre cinématographique ne peut être rentable que si elle est exploitée selon un calendrier précis dans la mesure où les chaines de télévision publiques ou privées sont les principaux financeurs du cinéma. Or le marché de la VoD ne semble pas encore assez suffisant pour être un complément financier ce qui laisse craindre la fragilisation du système. Europa Cinemas, réseau d’exploitation de salles européennes et la CICAE (Confédération internationale des cinémas d’art et d’essai) estiment : « Étant donné que le marché du film en salle est 10 à 15 fois plus étendu que celui de la VoD, nous pensons que certains développements récents de la politique audiovisuelle européenne sont déséquilibrés et pourraient même défavoriser, à moyen terme, l’industrie du film et du cinéma ».
Un autre point de friction concerne le rôle de la salle de cinéma comme lieu de la première diffusion des œuvres cinématographiques. De nombreux acteurs et spectateurs considèrent que la sortie en salles confère une valeur symbolique et un prestige au film. Pour le syndicat des producteurs indépendants (SPI), « une sortie Internet préalable ou simultanée sous le prétexte d’une diffusion des films au plus grand nombre est le cheval de Troie d’une vision consumériste du secteur, au détriment de sa diversité ». Il est toutefois important de rappeler que les initiateurs du projet estiment que seuls des films prévus sur de petites sorties en salle et déjà en marge du marché soient concernés par la diffusion simultanée dans la mesure où il s’agit de contribuer à les faire voir au plus grand nombre.
Ce projet divise les professionnels et fait débat mais l’expérimentation semble nécessaire en pleine ère numérique. Le secteur du cinéma ne peut l’ignorer. Le bilan de cette expérimentation est prévu pour 2014, il sera intéressant d’analyser les nouvelles solutions proposées.
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