Des femmes au pouvoir !

, par Mathilde Marmier

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Des femmes au pouvoir !

Si l’on voit parfois détourné l’objectif de la journée de la femme, elle n’en est pas moins l’occasion de rappeler à notre bon souvenir les inégalités entre les hommes et femmes.

Une égalité de droit : vaste fumisterie ? Bien souvent taxées d’enquiquineuses, les féministes sont pourtant loin d’avoir achevé leur combat. Et s’il existe un indice du chemin à parcourir, c’est bien la place des femmes en politique. En Europe comme en France, les statistiques parlent d’elles-mêmes : les femmes sont sous-représentées dans la sphère politique. Illustration de la domination dans la sphère privée, la représentativité du monde politique révèle à plusieurs égards la conception d’une société.

Simone de Beauvoir, philosophe, romancière, essayiste théoricienne et actrice majeure du féminisme

Œuvrer pour rétablir la parité en politique constitue avant tout un enjeu de démocratie représentative visant ni plus ni moins l’établissement d’une représentativité juste. Les détracteurs des lois sur la parité invoquent qu’il n’est pas nécessaire d’instaurer des obligations, lesquelles inciteraient à faire élire des femmes de l’unique fait de leur sexe, sans considérer leurs compétences… Comme si aucun homme incompétent n’avait jamais figuré sur une liste électorale !

L’obligation légale n’est certes pas une solution idéale. Elle peut en revanche être considérée comme un « mal nécessaire », un outil qui, en accroissant le nombre de femmes dans le paysage politique, permet de susciter des vocations chez des femmes qui, enferrées dans des représentations sociales, bien souvent ne pensent pas à prétendre à des postes de pouvoir. Et les Européens ne semblent pas farouchement opposés cette idée…

Françoise Giroud, journaliste, écrivaine et femme politique française

« La politique est dominée par les hommes ! »

« Tout à fait d’accord » avec cette affirmation, a répondu une majorité de femmes européennes à l’occasion d’une enquête Eurobaromètre réalisée spécifiquement sur la question des femmes et des élections européennes en 2009. C’est en République tchèque (89%), en Pologne (84%) et au Portugal (83%), qu’elles sont le plus convaincues de cette domination, l’accord le moins franc étant observé en Finlande (51%), à Malte (62%) et aux Pays-Bas (66%). Les hommes sont également, dans une moindre proportion, en accord avec l’affirmation.

Qu’en est-il dans les faits ? En novembre 2009, le Parlement européen comptait 35% de femmes. C’est la délégation finlandaise qui détenait le record avec plus de 60% de femmes, suivie de la Suède avec 55%. Dans ces pays qui font figure d’exceptions, ce sont les hommes qui étaient en situation d’infériorité numérique.

Nicole Fontaine, femme politique, ministre, députée européenne, Présidente du Parlement européen

La France occupait le 6ème rang avec 46% de femmes parmi ses députés européens : les fameuses « listes chabada » ont porté leur fruit, la parité est proche. Les délégations comportant les plus faibles proportions de femmes étaient l’Italie (22%), la Pologne (22%), la République Tchèque (18%) et le Luxembourg (17%).

Ces chiffres demeurent bien supérieurs aux taux observés dans les chambres basses des Parlements nationaux : au 1er janvier 2010, la proportion moyenne de femmes était de 24% avec une première place occupée par la Suède (47%), suivie des Pays-Bas, de la Finlande et du Danemark. La France occupait un modeste 19ème rang avec ses 19% de femmes à l’Assemblée Nationale, derrière la Pologne, l’Italie et la Lituanie, suivie de près par la République Tchèque, la Grèce et la Slovénie.

Viviane Reding, Vice-présidente de la Commission européenne en charge de la Justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté

S’agissant des Gouvernements nationaux, au 1er mars 2010, les femmes ministres représentaient en moyenne un quart des effectifs. En tête, la Finlande avec 60% de femmes, suivie de l’Espagne (53%), du Danemark (47%) et de la Suède (45%). La France figurait en seconde partie de classement avec 21% de femmes au gouvernement, les dernières places étant occupées par les pays baltes avec des proportions inférieures à 10%. Dans les institutions européennes, le nombre de femmes Commissaires était de 10 sur 27, soit de 37%.

Catherine Trautmann, ancienne ministre de la culture, Présidente de la Délégation socialiste française au Parlement européen

Les explications aux différences entre les Etats sont diverses : certains les prêtent à des origines lointaines - par exemple, en France, la loi salique qui, au XIIIème siècle, interdit d’emblée l’accession des femmes au trône - mais également à l’empreinte de la culture religieuse, la culture protestante accordant davantage de places aux femmes dans le processus de décision que la culture catholique. Toutes semblent à l’origine de représentations qui, d’une part concourent à obérer la confiance en soi des femmes, d’autre part génèrent des réactions sexistes d’exclusion.

Des femmes ! Des femmes !

Il semble pourtant que les citoyens Européens soient désireux de voir davantage de femmes parmi leurs représentants politiques. Selon ce même sondage Eurobaromètre, 48% des femmes et 39% des hommes pensaient qu’au moins la moitié des députés européens devait être des femmes. Cet objectif était davantage souhaité par les femmes de certains pays : Suède (74%), Irlande (67%) Portugal (62%). A l’inverse, il était moins souhaité par les femmes de pays baltes (20%), de République Tchèque (28%) et de Bulgarie (31%).

Rachida Dati, députée européenne, ancienne garde des Sceaux

Quant à la manière de parvenir à la parité au sein du Parlement Européen, la majorité des répondeurs au sondage optait pour la solution consistant à encourager les femmes à participer à la politique (53% des femmes et 42% des hommes). L’encouragement à un engagement volontaire des partis politiques, seconde solution privilégiée, ne recueillait l’assentiment que de 12% des femmes et 15% des hommes. Enfin, seule une très faible minorité - 5% des femmes et 9% des hommes - déclarait souhaiter « ne rien faire pour augmenter la proportion de femmes ». Il s’avère que les nouveaux Etats membres, comptant par ailleurs pour la plupart le moins de femmes dans les parlements nationaux, sont également ceux où le plus faible taux de femmes et d’hommes souhaitaient la parité au sein du Parlement européen.

Neelie Kroes, Vice-présidente de la Commission européenne en charge de la Stratégie numérique

La bonne élève européenne

Ces statistiques encourageantes dans les instances européennes eu égard aux instances nationales ne doivent pas nous conduire à nous émerveiller trop rapidement. Dans la plupart des Etats, les élections européennes restent moins prestigieuses que les élections nationales. On préfère alors désigner des femmes aux élections moins prisées…

De même, la répartition entre les domaines d’exercice des fonctions reste inégalitaire. Les femmes restent préposées aux questions sociales, d’éducation là où les hommes sont davantage impliqués sur les questions économiques, internationales ou de défense.

Eva Joly, ancienne magistrate, députée européenne d’Europe Écologie

Pour autant, n’en déplaise à certains, l’Union européenne est loin de faire figure de mauvais élève en matière de parité. Et si la France a été l’un des premiers pays à instaurer des lois sur la parité en politique en 2000 après avoir été lanterne rouge européenne en termes de représentativité des femmes dans les assemblées élues, l’Union européenne s’intéresse à ces questions depuis longtemps, bien qu’elle ne dispose que d’un nombre limité de prérogatives en la matière.

En effet, la plupart des leviers de la lutte contre les inégalités entre les hommes et les femmes, en lien avec les politiques sociales, relèvent de la compétence des Etats membres. Et rares sont les Etats qui, à l’instar de la France, ont modifié leur règlement électoral à cette fin.

A la fin des années 1980, a lieu un séminaire sur la démocratie paritaire à l’initiative du Conseil de l’Europe. En novembre 1992, se tient à Athènes le premier sommet européen « Femmes au pouvoir » à la demande de la Commission des communautés européennes, réunissant des femmes ministres ou anciennes ministres. Est alors adoptée une Charte dans laquelle on peut lire que « la démocratie impose la parité dans la représentation et l’administration des nations ».

Sylvie Goulard, députée européenne du Modem, ancienne Présidente du Mouvement Européen-France

Le Traité d’Amsterdam, en 1997, érige la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes en mission de la Communauté et en fait un objectif transversal. La Commission dispose alors du droit d’agir dans la lutte contre les discriminations, dont celles fondées sur le sexe. En 2006, elle adopte une feuille de route visant à mettre en place une nouvelle stratégie pour la promotion de l’égalité hommes - femmes sur la période 2006 – 2010.

Elle se décline en six thématiques dont l’égale représentation dans la prise de décision, mais également l’élimination des stéréotypes de genre dans la société et la promotion de l’égalité entre les sexes à l’extérieur de l’Union européenne. L’institut européen pour l‘égalité des hommes et des femmes est inauguré en 2007. Le Traité de Lisbonne donne une valeur juridique contraignante à la Charte des droits fondamentaux, consacrant le principe de l’égalité dans tous les domaines.

Sirpa Pietikäinen, eurodéputée finnoise, ex-ministre de l’environnement, en charge d’un rapport sur le rôle des femmes en politique

Dernièrement, la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement européen a de nouveau insisté sur l’importance d’influer sur les législations nationales en la matière. En présence de députés nationaux, elle s’est prononcée en faveur de quotas afin d’accroître le nombre de femmes dans le monde politique. Le président du Parlement européen Jerzy Buzek s’est également déclaré favorable à cette solution. La députée finlandaise Sirpa Pietikäinen (PPE) est en charge de rédiger un rapport sur le rôle des femmes en politique.

Autorisons les ambitions pour chacune et chacun !

« La femme sera vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignera une femme incompétente », clamait cyniquement Françoise Giroud. Nicole Fontaine, ancienne présidente du Parlement européen, rappelait que les femmes, « condamnées à exceller », devaient se surpasser et prouver qu’elles étaient compétentes, en politique comme ailleurs.

Eva-Britt Svensson, eurodéputée suédoise membre de l’Alliance de la Gauche verte nordique , Présidente de la Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres au Parlement européen

Le combat pour la parité homme-femme en politique, véritable enjeu démocratique et social, n’est bel et bien pas terminé. Il nous rappelle ainsi combien, chacun à son niveau, Union européenne, Etats, militants, a la lourde tache de poursuivre le travail éducatif permettant de dépasser les stéréotypes, travail qui autorisera ainsi peut-être chacune et chacun à rêver d’endosser, un jour, un rôle de décisionnaire dans les instances politiques…

dans l’ordre d’apparition des images : Simone de Beauvoir, philosophe, romancière, essayiste théoricienne et actrice majeure du féminisme, Françoise Giroud, journaliste, écrivaine et femme politique française, Nicole Fontaine, femme politique, ministre, députée européenne, Présidente du Parlement européen, Viviane Reding, Vice-présidente de la Commission européenne en charge de la Justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, Catherine Trautmann, ancienne ministre de la culture, Présidente de la Délégation socialiste française au Parlement européen, Rachida Dati, députée européenne, ancienne garde des Sceaux, Eva Joly, ancienne magistrate, députée européenne d’Europe Écologie, Sylvie Goulard, députée européenne du Modem, ancienne Présidente du Mouvement Européen-France, Sirpa Pietikäinen, eurodéputée finnoise, ex-ministre de l’environnement, en charge d’un rapport sur le rôle des femmes en politique, Neelie Kroes, Vice-présidente de la Commission européenne en charge de la Stratégie numérique, Eva-Britt Svensson, eurodéputée suédoise membre de l’Alliance de la Gauche verte nordique , Présidente de la Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres au Parlement européen

Photo : « Pout » par orangeacid, certains droits réservés

Vos commentaires
  • Le 8 mars 2011 à 18:27, par KPM En réponse à : Des femmes au pouvoir !

    « La femme sera vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignera une femme incompétente »

    Le combat est donc gagné : on a Catherine Ashton au poste le plus important de l’Union européenne :))

     

    Très bon article à part ça, bien documenté et d’une prose impeccable. Je ne suis pas en accord sur la façon de présenter les choses parfois (1), mais cela n’enlève rien à mes félicitations pour cet excellent travail.

    (1) Par exemple, on pourrait tout aussi bien écrire : "les hommes restent préposés aux questions économiques, internationales, de défense là où les femmes sont davantage impliquées sur les questions sociales ou d’éducation". Ou encore, "au moins la moitié des députés européens devrait être des femmes" : pourquoi ce "au moins" ? L’égalité, c’est l’égalité, point.

  • Le 9 mars 2011 à 17:31, par Mathilde Marmier En réponse à : Des femmes au pouvoir !

    Pourquoi la question « au moins la moitié des députés européens devrait être des femmes » ?... tout simplement parceque c’est ainsi qu’elle était posée dans le sondage Eurobaromètre ! Mais je suis moi aussi favorable à la parité, et non à l’inversion du rapport hommes/femmes tel qu’il est aujourd’hui !

    Quant au fait de dire que les femmes restent préposées à certains domaines, j’aurais en effet pu inverser la phrase. Au final, ça ne change rien au fait que l’on ait tendance à associer les femmes au questions sociales, de solidarité, de famille, etc. et les hommes à des domaines culturellement qualifiés de masculin, tels que les questions de défense.

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