Parti politique et Europe

Des partis politiques européens forts pour une Union européenne démocratique

, par Jo Leinen

Des partis politiques européens forts pour une Union européenne démocratique

L’année du 50e anniversaire du Traité de Rome, le processus de l’intégration européenne court le risque de s’arrêter. Les citoyens, les médias, les universitaires comme les politiciens critiquent son déficit démocratique. Pourtant, la ratification de la Constitution qui l’aurait réduit est bloquée. Les référendums en France et aux Pays-bas tout comme le manque de débat public sur l’avenir de l’Europe ont montré que l’Union européenne (UE) manquait encore de l’infrastructure susceptible de mener un véritable débat pan-européen. Des partis politiques européens joueraient un rôle clé en apportant cette infrastructure.

L’une des raisons principales du déficit démocratique de l’UE réside dans le manque de lien entre les institutions européennes et les citoyens. Au niveau national les partis politiques font le lien entre les citoyens et les décideurs ainsi qu’entre le débat et les décisions politiques. Les partis politiques européens ne se sont guère manifestés comme un lien entre les citoyens et les politiques de l’UE. C’est seulement récemment que les partis politiques européens sont apparus et qu’ils ont commencé à améliorer le débat sur les défis posés à l’Europe.

La démocratie européenne a besoin de partis politiques européens forts

Le système politique de l’UE ne stimule pas encore suffisamment les débats pan-européens. Bien que le Parlement européen, la Commission et quelques ONG puissent être considérés comme des acteurs supranationaux, la vision qu’ont les citoyens des questions européennes continue à suivre purement et simplement les positions des politiciens nationaux. Les gouvernements nationaux utilisent « Bruxelles » comme bouc émissaire pour des décisions impopulaires alors que ces mêmes gouvernements sont responsables de ces mêmes décisions au Conseil européen et au Conseil des ministres. Combiné aux reportages souvent anti-européens des tabloïds purement nationaux, cela conduit à un fossé croissant entre les citoyens et les décideurs européens. Il est rare que des débats portant sur les bénéfices et les coûts des décisions politiques au niveau de l’UE se tiennent en dehors de Bruxelles.

Dans les systèmes fédéraux tels que ceux de l’Allemagne, de l’Autriche et de la Suisse, les partis politiques jouent un rôle important de lien entre les niveaux nationaux, régionaux et locaux. Leurs membres aux différents niveaux sont impliqués dans les décisions des partis et suivent la ligne idéologique du parti. [1] Ce ne sont pas seulement les leaders des partis nationaux qui hésitent à suivre la ligne du parti européen. Les positions des parlementaires européens, celles des représentants des gouvernements au sein du Conseil et celles des Commissaires du même parti diffèrent aussi souvent.

Les obstacles à des partis politiques européens forts

L’une des raisons pour lesquelles les partis européens sont faibles, c’est qu’ils ne sont pas à même de remplir leurs fonctions. Au niveau national, les partis ont des fonctions clairement définies : l’élaboration d’un programme politique pour le futur gouvernement, le recrutement du personnel politique et le feedback des décisions législatives vers les électeurs. Au sein de l’UE, ces fonctions ont été en partie reprises par d’autres institutions.

Le programme politique de l’UE est établi par le Parlement européen, le Conseil européen et la Commission. Alors que le travail du Parlement est dépendant des positions des groupes de partis les plus forts, le Conseil européen et la Commission sont composés de membres de tous les grands partis. Les décisions concernant le programme politique sont prises à l’unanimité par les deux dernières institutions, ce qui ne permet à aucun parti d’avoir une ligne politique exigeante.

En outre, au sein du Conseil européen, les gouvernements sont supposés prendre des décisions dans l’intérêt de leur pays tout entier et pas seulement dans celui de leurs électeurs. C’est le contraire qui s’applique à la Commission dont les membres sont supposés agir dans l’intérêt de l’UE tout entière et qui, pour cette raison, ont les mêmes difficultés à suivre la ligne d’un parti. Les partis européens ont jusqu’à présent eu peu d’influence sur l’établissement du programme politique de l’Union.

Les partis politiques européens n’ont pas eu non plus beaucoup d’influence dans le choix du futur leadership de l’UE. En fait, l’appartenance partisane du candidat joue un rôle, ce qui a été démontré par le fait qu’après la victoire électorale des conservateurs en 2004, c’est José Manuel Barroso, politicien conservateur, qui a été désigné comme Président de la Commission au lieu de Guy Verhofstadt qui était le plus qualifié, mais libéral. La nomination des candidats n’est pas faite par les instances des partis européens, mais par tous les chefs d’Etat et de gouvernements. En outre, jusqu’à présent, les Présidents de la Commission ont eu peu de loyauté à l’égard des partis européens. En tant qu’anciens Premiers ministres, ils ont conquis leur expérience européenne dans les réunions du Conseil européen et sont plus enclins à respecter les désirs des gouvernements des Etats membres que ceux des leaders des partis européens.

À ce jour, les partis politiques européens ne sont pas arrivés à relier suffisamment le niveau européen aux citoyens. Contrairement aux partis nationaux, les partis politiques européens ne sont pas constitués de membres individuels. Les statuts du Parti socialiste européen limitent l’adhésion aux partis nationaux. En vérité les statuts du parti européen autorisent l’adhésion individuelle. Néanmoins, comme chez les Verts et les Libéraux, les membres individuels comptent pour une petite partie des adhésions dans leur ensemble. Aussi, les partis politiques européens doivent-ils se reposer sur les structures nationales des partis membres pour communiquer le programme politique européen et les politiques européennes. Cependant, la politique européenne ne joue pas encore un rôle important dans les organisations locales des partis nationaux. Les membres des partis ne considèrent pas la discussion sur les questions européennes comme leur priorité ; les décisions européennes semblent loin de la réalité du travail local. Si les partis politiques européens veulent remplir leur rôle de lien entre les décisions prises au niveau européen et les citoyens au niveau local, ils doivent établir des adhésions directes ou développer des instruments nouveaux pour atteindre le niveau local.

Le PSE a élaboré un nouvel outil appelé PSE @ctivistes. Ces « activistes » ne sont pas des membres individuels du parti, mais ils fonctionnent comme des ambassadeurs du parti européen au niveau local et participent aux discussions politiques pan-européennes dans de nombreux domaines. Cela pourrait servir de modèle pour d’autres partis.

L’avenir des partis politiques européens

Bien qu’il se soit écoulé plus de cinquante ans d’intégration européenne avant que les partis européens gagnent leur indépendance, beaucoup de progrès ont été effectué depuis la régulation du financement des partis européens adoptée en 2003. Pour que les partis -européens- jouent le même rôle fondamental dans la démocratie européenne que celui qu’ils ont joué au niveau national, il faudra encore beaucoup de réformes de structures de l’Union et de fonctionnement des partis.

La poursuite de la constitutionnalisation de l’UE est une première condition pour avoir des partis politiques européens plus forts. Les réformes institutionnelles prévues par la Constitution européenne rapprocheront l’Europe d’un modèle pleinement démocratique ; en votant aux élections européennes, les citoyens ne décideront pas seulement du programme politique de l’UE, mais ils influenceront aussi le choix du leadership politique. En outre, la Constitution européenne renforçait le Parlement européen en introduisant la procédure de co-décision comme une règle pour la législation européenne en n’autorisant qu’un nombre limité d’exceptions. Le Parlement devra aussi être renforcé dans les décisions budgétaires. D’autre part, le Président de la Commission européenne serait élu par le Parlement européen et les Commissaires auraient besoin de l’approbation du Parlement.

À côté des réformes institutionnelles, on a aussi besoin de régulations plus spécifiques concernant le fonctionnement des partis politiques européens. Elles doivent déboucher sur un véritable statut européen des partis politiques européens. Le 23 mai 2006, le Parlement européen a adopté une résolution insistant sur la nécessité d’un tel statut [2]. Elle demande d’établir les droits et les obligations des partis politiques européens et fixe des règles pour leur fonctionnement interne telles que des lignes directrices pour leur nature démocratique (élections régulières et nominations des candidats). Actuellement les partis politiques européens sont enregistrés en tant qu’associations, principalement selon la loi belge. L’un des objectifs de l’établissement d’un statut européen consisterait à permettre aux partis politiques européens d’obtenir une véritable personnalité européenne légale. Cela leur donnerait les mêmes droits et devoirs dans tous les Etats membres. Même si la participation des partis politiques européens aux campagnes électorales européennes, aux référendums ou autres campagnes semble aller de soi, elle n’est pas clairement prévue par l’acquis communautaire. Le statut doit apporter de la clarté dans cette perspective et permettre aux partis politiques européens de faire leur travail.

Des expériences dans certains États membres ont montré que les fondations politiques pouvaient être un élément important de l’infrastructure démocratique. Elles apportent une éducation politique en organisant des séminaires, des conférences et en soutenant directement des étudiants par des bourses. Depuis que des fondations politiques se sont rapprochées des différentes familles politiques tout en conservant leur indépendance, elles fournissent un espace important à des politiciens et à des universitaires pour qu’ils réfléchissent aux défis politiques émergeants sans qu’ils aient à en rendre compte devant les instances politiques. C’est pourquoi elles représentent des think tanks importants pour les partis politiques. Les fondations politiques doivent aussi se développer au niveau européen pour développer la démocratie européenne. Elles peuvent jouer un rôle déterminant en organisant des débats politiques à l’échelle européenne.

Le rôle des organisations politiques de jeunes doit aussi être renforcé. Elles jouent un rôle important dans la formation et l’éducation des futurs leaders politiques en Europe. Les organisations jeunes des partis qui existent déjà organisent de nombreuses activités au niveau européen ce qui aide à sensibiliser les futurs politiciens nationaux à l’importance des politiques européennes. Il faudrait avancer dans la reconnaissance du rôle des organisations européennes de jeunes et leur assurer un soutien financier suffisant pour leurs activités.

Le fossé entre les citoyens et les institutions de l’UE doit être comblé avec l’aide des partis politiques européens. Durant leur courte existence, les partis européens ont considérablement mûri. Cependant, beaucoup doit être fait avant que les structures de l’UE leurs permettent de jouer un rôle déterminant dans le système politique et avant qu’ils soient suffisamment forts pour le faire. Un statut des partis européens doit être établi dans un futur proche et une Constitution européenne doit être ratifiée.

Les partis doivent aussi réaliser des réformes courageuses qui leur permettront d’adopter des manifestes européens forts, de nommer des candidats aux élections et d’établir un lien entre les intérêts des citoyens et les décisions européennes. Il faut que les premiers résultats de ces réformes soient mis en œuvre avant les prochaines élections européennes de 2009 pour améliorer la participation des électeurs et réduire ainsi le déficit démocratique.

Illustration : Parlement européen, photographie prise par Cédric Puisney.

Article publié en commun avec The Federalist Debate et le numero 137 de Fedechoses.

Traduit de l’anglais par Jean-Luc Prevel - UEF Lyon

Notes

[1Au niveau européen, un tel lien n’existe pas. Les partis sont tout juste arrivés à se mettre d’accord sur une ligne politique générale et la loyauté à l’égard de la position du parti européen n’est pas très forte.

[2Résolution du Parlement européen sur les partis politiques européens, (A6-0042/2006) 23.03.2006, rapporteur Jo Leinen.

Vos commentaires
  • Le 18 novembre 2008 à 12:57, par Paul SPERANZA En réponse à : Des partis politiques européens forts pour une Union européenne démocratique

    Cher citoyen(ne), camarade europésites , écolosocialistes et amis,

    "Seule l’imagination, le courage et l’abnégation sont à la mesure des tâches qui nous attendent !"

    A mon sens, pour ce congrès : " La messe est dite" et nous sommes guettés par le ressassement et la lassitude.

    ** Compte tenu de l’urgence sociale et économique il faut laisser un peu derrière nous l’erreur funeste et ridicule de tout vouloir prévoir dans le détail.

    « RM » pourrait peut être remettre en première place, la proposition de ce que l’on nommait en son temps :

    Un "programme" sinon "commun" (de l’eau a coulé sous la Garonne et la Seine) du moins "minimum" portant sur :

    - 1 Une exigence de contrepartie et de contrôle souple, efficace et non bureaucratique sur les fonds alloués par la République française et donc les contribuables citoyens aux banques,

    - 2 la mise en œuvre rapide de prêts immédiats, rapides et sans intérêts, aux PME, PMI, exerçant leur activité dans la construction et la rénovation de l’habitat social, en priorité dans les domaines d’économies d’énergie en donnant la priorité aux sociétés HLM et ce afin d’être en mesure de loger les "sans abris »,

    - 3 la demande de mise à l’ordre du jour du parlement, du conseil européen et de l’. « Europe-groupe » du plan de réseau ferroviaire européen déjà projeté dans le "livre blanc" dit de Jacques Delors (définition de grands axes européens (...) La coordination des infrastructures de transport décidée par les États membres reste plus que jamais d’actualité en particulier en matière de ferroutage (…). Il faut déplorer que le volet transport du fameux le "Livre blanc" n’ai jamais été, hélas, réalisé, pour cause d’impéritie, de dogmatisme monétariste et « ultralibéral »,

    - 4 l’inscription en urgence d’une plan de recherche-actions d’abord au niveau de la République Française puis des conseil et parlement et conseils européens centré sur 3 ou 4 domaines ( tout particulièrement la biologie médicale et les thérapeutiques du futur pour nombre de maladies) et "cibles" d’engagement, et d’investissements bien « choisis » , précis et chiffrés après consultation rapide d’un comité restreint de l’ académie des sciences et de comités restreints « ad-hoc » , du CNRS et du conseil économique et social .

    - 5 proposer la mise en place très rapide de secours "Noël" 2008, sous forme de "bons utilisation de services » dans les activités exerçant leur activités en Europe ou distribués en « bons de désendettement » en matière de crédits logements ou consommation. Ce geste de pure justice serait une faible contrepartie populaire à l’aide massive apporté au secteur bancaire et jusqu’à ce jour restée hélas sans vraie assurance d’une orientation des crédits reconstitués par l’Etat vers les PME et PMI.

    Il reste que dans notre situation d’urgence s’enfermer et s’enliser dans des querelles de personnes, aussi prestigieuses fussent elles et se complaire dans les manœuvres de pure tactique débouchant sur des "combats douteux " et des enlisements bureaucratiques , fait perdre du temps aux adhérents et plus largement aux citoyens et discrédite le socialisme et plus largement la politique !

    Je te prie, cher camarade de croire en mes fervents sentiments Républicains, laïques, d’écologie-socialistes et d’avancée vers l’unification européenne.

    Paul Speranza, À historien et économiste toulousain )

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