Elections européennes : une question ne sera pas posée, celle de l’avenir de l’Europe

, par Jean-Guy Giraud

Elections européennes : une question ne sera pas posée, celle de l'avenir de l'Europe
Carte de l’Europe - Wikipedia

À la veille des élections européennes de 2014, on distingue assez bien les principales conceptions de l’Union européenne - et donc de son « avenir » - qui se présentent aux responsables en place de ses États membres.

Elles sont schématiquement au nombre de trois :

1. l’Europe intergouvernementale dans laquelle

  • les décisions sont initiées et prises - à l’unanimité pour les principales - par les Gouvernements (au niveau des Chefs, pour les plus importantes),
  • ces décisions sont ensuite mises en forme et officialisées par les Institutions européennes (puis transmises, pour application autonome, aux administrations nationales),
  • l’appui technique est apporté par la Commission et la caution démocratique par le Parlement européen,
  • ces décisions ont pour objet de réglementer les activités économiques et de développer - sans gêner les acteurs nationaux - une gamme maîtrisée de politiques communes (à l’exception des domaines de souveraineté comme la politique étrangère et la défense),
  • la source du pouvoir et de la légitimité politique du processus demeure dans le chef des seuls États, pris isolément et collectivement.

2. l’Europe mercantile ( du « grand marché ») dans laquelle

  • les décisions sont prises par les Gouvernements,
  • l’intervention (en fait l’existence même) des Institutions est superfétatoire,
  • ces décisions se limitent à l’ouverture du marché des biens, capitaux et services ainsi qu’à quelques règlementations connexes (concurrence, tarif extérieur commun),
  • les questions du pouvoir et et de la légitimité politique ne se posent pas ou, plutôt, se posent dans les mêmes termes que pour les relations internationales classiques.

3. l’Europe communautaire (ou pré-fédérale) dans laquelle

  • les décisions sont initiées et prises par les Institutions européennes,
  • le pouvoir législatif est assuré conjointement par les représentants des États (Conseil de Ministres) et des peuples (Parlement européen),
  • le Gouvernement (initiative et exécution) est assuré par la Commission sous le contrôle du Parlement,
  • ces décisions portent sur tous les sujets d’intérêt commun au sens large (y compris la justice, la police, la politique étrangère et la défense, ...) dans le respect des principes de proportionnalité et de subsidiarité,
  • la source du pouvoir et de la légitimité politique du processus est transférée collectivement au Conseil et au Parlement européens.

Pour matérialiser ces trois orientations (encore une fois, schématiques), disons que la France est traditionnellement plus proche de la première, le Royaume Uni de la seconde et l’Allemagne de la troisième.

Chacun essaiera ensuite de classer les autres principaux États membres (dont l’Italie, l’Espagne et la Pologne) dans l’une de ces catégories - en tenant compte de l’assez grande volatilité de l’orientation européenne des gouvernements de ces États.

Depuis le « grand élargissement » de l’UE en 2004/2006, on a vu la conception intergouvernementale se développer, en dépit de l’« approfondissement » institutionnel opéré par le Traité de Lisbonne. La conception mercantile - bien que minoritaire - est demeurée vivace et combative , se posant en principale alternative à la précédente. La conception communautaire a été la principale victime de cette évolution, faute notamment d’avoir été suffisamment défendue par les Institutions elles mêmes, Commission et Parlement.

Ces tensions - qui pourtant déterminent fondamentalement l’« avenir de l’Union » - ne sont guère perçues par l’opinion publique. Elles ne seront probablement pas au centre du débat européen de 2014 qui portera principalement sur l’orientation des politiques (économiques, financières, sociales, environnementales) - et sur les clivages gauche/droite, pourtant assez décalés dans le contexte européen.

Collatéralement, les partisans de l’Europe mercantile (et, plus largement, de la renationalisation de l’Union) remettront en question la légitimité et l’utilité mêmes de l’entreprise européenne. Ils ne seront que mollement combattus par les partisans de l’Europe intergouvernementale et encore moins par les soutiens évanescents et dispersés de l’Europe communautaire.

Ainsi, la question de l’« avenir de l’Europe » ne sera pas clairement posée ni débattue. Les nouvelles Institutions mises en place demeureront dans l’ambiguïté paralysante actuelle. La conception constructive (l’Europe communautaire) verra ses partisans, déjà bien mal organisés, perdre durablement toute force et crédibilité. La conception destructive (l’Europe mercantile) se renforcera sans pouvoir encore l’emporter. La conception « réaliste et pragmatique » (l’Europe intergouvernementale) continuera à dominer le terrain sans pour autant offrir une quelconque vision politique du futur - même à moyen terme - de l’Europe.

Le résultat probable sera, globalement, un affaiblissement du sentiment d’unité et de solidarité entre les peuples européens - un affaissement des Institutions et des politiques européennes - un renforcement du souverainisme et du nationalisme - une régression de la place et du rôle de l’Europe dans le monde - une incertitude accrue sur son « avenir ».

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Vos commentaires
  • Le 23 octobre 2013 à 14:40, par Aleksander GLOGOWSKI En réponse à : Elections européennes : une question ne sera pas posée, celle de l’avenir de l’Europe

    Pas d’accord.

    Outre que la centralité du débat politique ne peut se faire sur la question de l’architecture des institutions, il importe surtout en ces temps de disette économique pour ne pas dire rigueur budgétaire de faire arbitrer les citoyens sur les politiques à mener (relance vs austérité).

    Cela n’enlève en rien la capacité et la volonté pour les partis politiques (au niveau européen ainsi qu’au niveau national) de poursuivre l’œuvre intégratrice des Pères fondateurs de l’Union européenne.

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