Entretien avec Paul Mentré : « Il est nécessaire de décider de règles en commun, et donc d’aller vers plus de fédéralisme »

, par Laurence Pellegrini

Entretien avec Paul Mentré : « Il est nécessaire de décider de règles en commun, et donc d'aller vers plus de fédéralisme »
Photo : Services audiovisuels de la Commission européenne

Comment les acteurs de l’unification européenne analysent-ils la situation actuelle de la zone euro ? Paul Mentré, secrétaire exécutif du Comité pour l’Union monétaire de l’Europe de 1986 à 1995, coprésidé par Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, a participé activement à l’élaboration de la monnaie unique. Depuis 2004, il est membre du Conseil d’Analyse économique franco-allemand, un groupe d’experts bilatéral paritaire, qui formule des recommandations au Conseil des ministres de l’Économie et des Finances franco-allemands. Dans un entretien accordé au Taurillon, Paul Mentré nous livre les clés de la relance.

Dixième anniversaire de l’Euro

L’euro répond-il ou diverge-t-il des objectifs que vous aviez formulés au sein du Comité pour l’Union monétaire de l’Europe ?

Dès le début, nous nous sommes fondés sur le théorème Padoa-Schioppa (NDLR Économiste italien pro-européen qui a activement œuvré pour l’union monétaire), selon lequel les monnaies nationales et l’indépendance des politiques monétaires étaient incompatibles avec les taux de change fixes et la libération des mouvements des capitaux, (cf. Tommaso Padoa-Schioppa, Efficiency, stability and equity, Oxford UniversityPress, 1987). Pour nous, les deux premiers points étaient essentiels. En cela, les objectifs ont été atteints. Malgré nos réserves sur le choix d’une phase de transition vers l’euro en deux temps – en 1999 pour les marchés et en 2002 pour les usagers –, il s’est avéré que, dès l’annonce des taux fixes par les banques centrales nationales, le marché s’est cristallisé de lui-même.

Que répondez-vous aux observateurs qui affirment qu’il existerait une « crise de l’euro » et que la monnaie européenne serait en danger ? Pensez-vous que la zone euro devrait se doter d’une clause de sortie de la monnaie unique ?

Je dirais plutôt que c’est une crise de la zone euro, qui ne saurait se régler ni par l’exclusion de certains pays – tous paieraient un trop lourd tribut – ni par l’abandon définitif de la monnaie européenne. La sortie de crise se fera par une plus grande discipline budgétaire. Quand on analyse le cas de la Grèce, je dirais, rétrospectivement, que, plutôt que de se doter d’une clause de sortie de la monnaie unique, on devrait réfléchir à la possibilité de révoquer l’entrée d’un pays dans la zone euro s’il s’avère, dans un délai d’un an par exemple, que les critères fondamentaux n’ont pas été respectés.

La banque centrale européenne ne disposant pas de contre-pouvoir politique, son indépendance est régulièrement remise en question. Quelle est votre position à ce sujet ?

En 1986, quand nous avons créé le Comité pour l’Union monétaire de l’Europe, Helmut Schmidt a choisi pour la délégation allemande Wilfried Guth, qui était alors Président du conseil de surveillance de la plus grande banque allemande, la Deutsche Bank. Nous nous sommes très rapidement accordés sur le fait que la banque centrale européenne devait être indépendante, sans quoi aucune discussion n’aurait été possible avec l’Allemagne. Pour ma part, ce n’était pas une concession, car je partageais entièrement cette conception.

Malgré les réticences initiales de certains membres du CUME, voire de Valéry Giscard d’Estaing, tous ont finalement reconnu que l’indépendance était la garantie de la stabilité monétaire (cf. Comité pour l’Union monétaire de l’Europe, Un programme pour l’action, Crédit national, 1988). Par ailleurs, notre vision du fonctionnement de la BCE divergeait quelque peu de celle du Comité Delors. Notre approche, plus fédérale et semblable à celle de la FED américaine, tendait à donner un plus grand pouvoir au directoire qu’au comité des gouverneurs des banques centrales nationales. Nous avons finalement accepté l’idée d’un système européen de banques centrales associant les entités nationales, à condition qu’elles soient également indépendantes (cf. Comité pour l’Union monétaire de l’Europe, L’union économique et monétaire. La dimension politique, Crédit national, 1991).

Préserver les banques centrales nationales au sein du dispositif, tout en scellant leur indépendance, est la clé de voûte de l’accord franco-allemand, qui a permis la création de l’euro.

Convergence des politiques économiques

Quelles mesures préconisez-vous pour l’amélioration de la gouvernance économique européenne ?

Avant le Traité de Maastricht, nous ne nous sommes pas beaucoup occupés de la convergence budgétaire, que les Allemands préconisaient.Quand nous avons élaboré les fondements de la zone euro, notre théorie était que les marchés allaient assurer une autorégulation par la différenciation des taux d’intérêt. La crise de la dette en Grèce nous a montré à quel point le Pacte de stabilité – que ni la France, ni l’Allemagne n’ont respecté – était indispensable. Avant toute chose, il faut donc rétablir et renforcer les mesures du Pacte.

Je pense malgré tout qu’un Traité est indispensable. D’abord, précisément parce que la théorie de l’autodiscipline des marchés n’a pas été efficace. Il est à mon sens nécessaire de décider de règles en commun, et donc d’aller vers plus de fédéralisme. L’adoption d’une règle d’or budgétaire par les législations nationales n’est pas contradictoire. Faire voter une même loi à tous les pays de la zone euro, tout en associant la Cour de justice européenne et les Conseils constitutionnels nationaux, qui défendent pour la plupart la suprématie des États en matière de politique budgétaire, est un premier pas vers une gouvernance économique commune.

Ensuite, parce qu’un Traité améliorerait également l’efficacité de l’Europe dans les situations d’urgence, pour lesquelles les fonds structurels sont insuffisants. Le Fonds européen de facilité financière pour le Mécanisme européen de stabilité va dans le sens de plus de solidarité.

La zone euro doit-elle et peut-elle, selon vous, mener une unification fiscale et sociale ?

Je pense que l’on ne doit pas rentrer dans le détail des mesures sociales qui sont traditionnellement discutées entre les États et les partenaires sociaux, comme c’est le cas en France et en Allemagne. En revanche, on doit réfléchir à une harmonisation de prélèvements fiscaux, tels que la taxation des entreprises et la TVA. Il y a quelques années, nous avions créé un groupe bilatéral UMP-CDU qui recommandait de faire converger les taux de TVA en France et Allemagne. Pour la France, il est finalement apparu difficile de remettre en question à la baisse, une taxe constituant la principale ressource budgétaire de l’État. Le projet de TVA sociale du Président Nicolas Sarkozy est un retour à cette volonté de convergence, et à l’idée d’une unification fiscale.

Conseil d’Analyse Économique franco-allemand

Quelles sont les méthodes de travail et le processus de décision du Conseil d’Analyse Économique ? Quel rôle joue la parité franco-allemande dans l’élaboration des recommandations ? Un conseil d’Analyse Économique européen serait-il pertinent ?

Le CAEFA a été créé par une décision conjointe des ministres de l’Économie français, Nicolas Sarkozy, et allemand, Wolfgang Clement. Nous travaillons selon un rythme semestriel correspondant aux conseils des ministres franco-allemands biannuels. Nos recommandations ne sont transmises qu’aux délégations françaises et allemandes, qui déterminent les projets à retenir, comme cela a par exemple été le cas pour la discipline budgétaire et l’indépendance de la banque centrale (Cf. Conseil d’Analyse économique franco-allemand, Paul Mentré, L’Allemagne et la France face à la crise financière, Éditions Rive Droite, 2009).

Concernant le droit de la concurrence, le CAEFA n’a pas pu dégager de consensus, les conceptions françaises et allemandes sont trop divergentes. La proposition de taxe sur les transactions financières émane de la Commission européenne. À mon sens, son efficacité sera subordonnée à un accord européen.

On pourrait effectivement imaginer un Conseil d’analyse économique européen, sur le modèle du Comité pour l’Union monétaire de l’Europe. (la composition du CUME était à l’origine semblable à celle de la Commission européenne. Le but était de réunir des personnalités de sensibilité différente, représentatives des courants de pensées des pays européens, pour parvenir à un projet susceptible d’être adopté par les instances officielles et ainsi donner une impulsion à la construction européenne).

Selon vous, quel rôle doivent jouer la France et l’Allemagne dans l’Europe du XXIème siècle et particulièrement en période de crise ?

Rien ne peut se faire dans la zone euro sans un accord entre la France et l’Allemagne. Nos conceptions économiques sont souvent divergentes et, quand les deux pays s’accordent sur un sujet, cet accord a toutes les chances de convenir aux autres partenaires. En revanche, je dois être un des rares Français à penser que la Grande-Bretagne a un rôle fondamental à jouer au niveau de l’Union européenne pour éviter la surrégulation, développer la concurrence,et s’ouvrir sur la scène internationale.

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