Le diagnostic de la crise que traverse l’Europe depuis 2008 fait l’objet d’un large consensus, abondamment (et parfois complaisamment) décrit par la presse.
Par contre, la méthode et l’objet de la réforme tardent à se préciser.
Au delà des substantielles modifications techniques des mécanismes financiers, bancaires ou budgétaires, au-delà même du « Traité budgétaire » en cours de ratification - la véritable réforme (celle qu’Angela Merkel appelle le renforcement de l’ « Union politique ») n’a fait l’objet d’aucune proposition ou même réflexion publiques et officielles. Chacun sait pourtant bien de quoi il est question et le « catalogue » des grands sujets à débattre est facile à dresser :
- donner une base constitutionnelle aux principes et aux moyens de solidarité financière entre les États membres, de bonne gestion budgétaire de chacun et de collégialité dans la prise des grandes décisions de politique économique ;
- doter l’union d’un budget autonome qui - visant à atteindre les 5% du PNB de l’UE d’ici 10 ans - lui donnera la taille utile pour financer (ou garantir le financement) des politiques de l’UE ;
- démocratiser et renforcer le mode de gouvernement de l’UE afin d’établir un véritable pouvoir législatif bi-caméral (représentant les peuples et les États) et un authentique pouvoir exécutif (la Commission) issu de l’élection du PE et placé sous son contrôle.
Mais au delà de ces sujets imposés par la crise, les protagonistes de la réforme dite « politique » seraient bien avisés d’aborder d’autres questions tout aussi essentielles au bon fonctionnement de l’UE :
- en finir avec la règle de l’unanimité - c’est à dire du droit de veto de chacun des 27 États membres - encore applicable aux décisions importantes de l’UE, y compris à la révision des Traités ;
- refonder la politique étrangère, de sécurité et de défense de l’UE sur des bases plus fédérales qui permettront de dépasser les blocages chroniques actuels ;
- redéfinir une stratégie d’élargissement plus compatible avec le fonctionnement et l’évolution de l’UE et, dans l’intervalle, suspendre toute nouvelle adhésion ;
- développer les modalités de différenciation pour la mise en œuvre des politiques communes par les différents États membres en vue de tenir compte de l’accroissement de leur nombre et de leur hétérogénéité.
- Sur la méthode de la réforme, trois modalités sont théoriquement envisageables : une procédure « classique » de révision des Traités, un remake du « Traité constitutionnel » ou une véritable « Constitution européenne ».
Dans les trois cas, la réforme devrait être préparée par une « Convention » réunissant des représentants du Parlement européen, des Parlements nationaux, des Gouvernements et de la Commission. De par sa nature même, la Convention devrait délibérer puis arrêter un projet en procédant par consensus et non par vote formel. Le texte adopté serait soumis à l’accord des gouvernements puis à la ratification des peuples ou de leurs représentants ; si l’ampleur de la réforme le justifie, cette ratification pourrait prendre la forme d’un référendum organisé concomitamment dans tous les États membres. La révision, le Traité constitutionnel ou la Constitution européenne entrerait en vigueur si les 4/5 des États - soit 20 sur 28 - le (la) ratifient. Les autres États - provisoirement ou durablement opposés à la réforme - devraient pouvoir négocier avec l’UE de nouvelles relations réciproques.
On l’a compris, c’est d’une réforme de nature fédérale qu’il s’agit ici.
C’est d’ailleurs ce qui est préconisé par un nombre croissant d’observateurs qui ne voient guère qu’un (sur)saut fédéral pour sortir l’Europe de l’ornière dans laquelle elle s’enfonce chaque jour un peu plus. Les responsables politiques sont plus prudents dans leur formulation ; même Madame Merkel pèse au trébuchet les termes qu’elle choisit pour instiller progressivement le concept de réforme.
C’est que la cote de « Bruxelles » est au plus bas dans l’opinion publique qui attribue aux dirigeants européens une part importante de responsabilité dans la survenance puis dans la mauvaise gestion de la crise. Convaincre « les gens » que la sortie de cette crise passe - non par un repli sur soi et par un chacun pour soi des États - mais par plus d’unité et de solidarité entre ceux-ci est un exercice exigeant et périlleux pour les responsables politiques du moment. Il n’est pas certain qu’ils soient tous disposés à prendre ce risque.
Pourtant chacun doit au moins souhaiter qu’un débat public s’ouvre enfin sur cette perspective de réforme ; la meilleure occasion possible est celle de la prochaine échéance démocratique européenne : l’élection du Parlement et de la Commission européens en 2014. Mais pour démarrer un débat, il faut qu’un projet « martyre » soit lancé par la Commission, le Parlement ou un Gouvernement ; à défaut, l’ « allumette » pourrait être frottée par des responsables et/ou experts de Bruxelles. Et il faut qu’il soit lancé très vite afin de ne pas manquer le rendez-vous de 2014 : le sort du projet européen est véritablement en jeu et, avec lui, l’avenir des prochaines générations de jeunes européens.
1. Le 6 septembre 2012 à 10:05, par Marie THUREAU En réponse à : Europe : La réforme de 2014
Lancer le débat, cela nécessite un gros travail en amont pour faire comprendre les enjeux à court, moyen et long terme à des citoyens un peu déboussolés par la gestion au jour le jour d’une crise qui dure depuis quatre ans ! C’est un beau défi, mais il n’est pas gagné d’avance !
2. Le 7 septembre 2012 à 03:04, par Matthieu Valcke En réponse à : Europe : La réforme de 2014
J’imagine absolument la réussite d’un tel projet, audacieux, mais j’imagine aussi très bien son échec.
Et aujourd’hui, je me dis que ce projet-ci, cette volonté, de par l’histoire des nations européennes, pris en conscience en moins de 2 ans, est complètement impossible.
Qu’est-ce qui fait l’unité européenne à part la feu-CECA ? Comment peut-on penser une seule seconde que la Grande-Bretagne est un mauvais élève politique ? Comment ne peut-on pas se rendre compte que l’actuel pouvoir allemand s’isole en pensant que l’euro est le deutschemark ?
Comment avoir une politique réelle à l’échelle européenne alors que les Etats sont ce qu’ils sont ? Comment établir une politique de sécurité commune alors que tous les Etats membres ne sont pas au Conseil de sécurité de l’ONU, alors que l’Espagne avec Zapatero a été plus qu’atlantiste, alors que nous devons réassumer déjà en France une indépendance vis-à-vis des américains, alors que l’Europe n’est pas morte quand ses Etats membres avaient leurs coalitions respectives au moment de la guerre en Irak, alors que l’on met ensemble affaires étrangères et sécurité commune tandis qu’on distingue ces deux ordres à l’échelle des Etats ?
Comment accorder une once de crédibilité à des régions françaises plus autonomes au sein de l’esprit unitaire français ? Comment ne pas voir que les hommes et femmes d’opinion sont, eux aussi, à la limite du nationalisme ? Comment oublier les dérives de Sarkozy lors de la campagne de 2012 vers l’extrémisme ?
Comment apprécier l’euro lorsqu’il est présenté comme « irréversible » alors que toutes les devises se réforment un moment ou l’autre ? Qui est l’idiot qui croit que l’euro, dans 5 ans, dans 10 ans ou dans 50 ans, sera toujours tel qu’il est entré en vigueur aux premières heures du XXI° siècle ?
Pourquoi donc sommes-nous tous piégés dans la rigueur de la pensée unique des marginalistes, que nous reproduisons les secousses de Thatcher et Reagan, que les oppositions partisanes sont maintenant entre nation et non plus au sein d’un Parlement ou d’une assemblée ? que Merkel et Hollande sont éloignés ? que les élus européens sont, oui, et je le dirai toujours jusqu’à ce que je ressente le contraire, que les élus européens sont une classe à part, inintéressante ? qu’il n’y aurait donc jamais de fils d’ouvriers, qu’il n’y aurait donc jamais de noirs ? avec vous ou d’autres ? sans devoir répondre de sa classe ou de sa couleur ?...
J’ai donc écrit deux billets republiés ici sur ce que j’ai appelé République des nations de l’Europe unie. Mais n’allons pas plus vite que les esprits ou que le temps, cet étalon immatériel inaliénable. Pour moi, au plus profond, le fédéralisme ou l’union politique se fera naturellement, en fonction des actions d’aujourd’hui plutôt qu’encore des actions à convaincre, ou toujours les plus démagogues trouvent refuge pour leurs petits intérêts. Et oui, aussi, n’oubliez pas la corruption. Elle existe et vous m’en voyez navré.
Jamais un Etat n’a pu recouvrer croissance et emploi avec un oligarchisme, ni avec la corruption, ni avec l’égo plutôt que l’intérêt général. Je regrette de Gaulle, et je sais qu’il en a fait voir aux fédéralistes. Car vraiment, l’Europe, depuis Schuman ô dieux, elle n’a réussi que par la technique et, osons dire, l’immatériel. Mais cette dernière, l’immatériel, si ce n’est dieu, c’est l’espoir, ou la joie, comme dans l’hymne. Mais aujourd’hui, malgré votre bon sens, comment faire, comment admettre, comment donner la volonté, comment construire, comment ne pas abandonner, dans ce marasme unique de purification économique, de récession et d’anarchisme ordonné ? Bien sûr la politique actuelle pourrait fonctionner, aller vite aux 3% de Maastricht, en tout cas pour la France et l’Allemagne, mais elle ne fait jamais la croissance et l’emploi. Et la croissance et l’emploi, ces deux visées-là, sont celles qui sont attendues par les peuples, tous les peuples. Ils préfèrent quelques déficits plutôt que des chômeurs. Je suis sûr qu’ils veulent faire confiance, que l’inflation se réglerait facilement, que la confiance n’est qu’en berne, dans l’attente, tandis que leurs enfants ne partent plus pendant les vacances. Mais je dis qu’on a peut-être, au sein de nos élus d’Europe, peur de faire les deux visées économiques, car on aurait peur de la réaction de certains traders vis-à-vis de l’inflation, ou plutôt parce que personne n’a laissé venir l’innovation et le progrès technique par peur d’un monopole dans l’utopie concurrence pure et parfaite... Ou parce que personne n’ose voir en face le secteur industriel, voire même le secteur agricole pour être terrible, toujours parce que Friedman détient la vérité sur l’occident...
Je ne sais pas du tout comment le Taurillon interprétera ces mots. En tout cas, la sincérité y est, et je me permets car, moi, comme vous, malgré des divergences, j’ai foi en l’Europe, j’ai foi en l’euro, j’ai foi en ce continent et les îles sterling...
3. Le 1er octobre 2012 à 02:05, par Elodie En réponse à : Europe : La réforme de 2014
Il faudrait vraiment faire quelque chose rapidement pour l’Europe ! Car au train ou vont les choses, c’est pas en 2014 qu’il y aura du nouveau. Je suis sidéré par l’inertie dans laquelle c’est mis l’Europe et c’est vraiment dommage. Il y a tant de potentiel !
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