Henri Guaino : le conseiller de l’ombre de Sarkozy qui exaspère l’Europe

La tendance souverainiste de l’Elysée

, par Laurent Rergue

Henri Guaino : le conseiller de l'ombre de Sarkozy qui exaspère l'Europe

Les discours européens de Nicolas Sarkozy sont en grande partie inspirés par son conseiller Henri Guaino. C’est de lui que viennent les principales déclarations souverainistes du chef de l’État. Quelle est véritablement l’influence de ce conseiller de l’ombre sur la politique européenne de la France ?

La politique européenne de Nicolas Sarkozy agace l’Union européenne (UE) et la plupart de ses États membres. Les multiples déclarations, critiques et projets de réforme du président de la République ont le don d’irriter les partenaires européens de la France, qui n’apprécient guère ces interventions unilatérales.

Du fait de sa fonction présidentielle, il est normal que Nicolas Sarkozy donne son avis sur la construction européenne. Cependant, il outrepasse son rôle lorsqu’il remet en cause des accords ayant fait l’objet d’un consensus entre les 27. Par exemple, en ce qui concerne l’indépendance de la Banque centrale européenne (BCE), ses déclarations ont pu donner l’impression au citoyen que l’Europe était la cause de ses problèmes au quotidien.

Un conseiller souverainiste à l’Élysée

Le président de la République n’agit la plupart du temps pas seul. Ses discours sur l’Europe sont souvent rédigés par son « conseiller spécial », Henri Guaino, un individu qui se proclame « souverainiste et fier de l’être » et qui n’hésite pas à rappeler qu’il a voté non au traité de Maastricht et à la Constitution européenne. En 1992, il a ainsi conseillé Philippe Séguin, un des principaux défenseurs du non à Maastricht. Henri Guaino n’aime pas l’Europe, surtout quand elle prétend être politique ; il ne souhaite d’ailleurs rien d’autre que sa disparition.

Hugues Beaudouin, journaliste à LCI, raconte par exemple que lors du sommet européen de juin dernier, Henri Guaino avait déclaré à un porte-parole de la Commission européenne : « mais vous ne comprenez pas qu’un jour tout ce machin va s’effondrer », pointant du doigt les locaux de la Commission.

Henri Guaino est la véritable éminence grise de Nicolas Sarkozy ; c’est lui qui a inspiré les diatribes du président contre la BCE [1] et qui a théorisé le projet d’Union méditerranéenne, ce à quoi il faut ajouter la rédaction de la plupart des discours souverainistes de la campagne présidentielle.

La patte Guaino dans les charges présidentielles contre l’Union

Les principaux points sur lesquels insistent Nicolas Sarkozy et son maître à penser concernent l’euro, la lutte contre les déficits et l’Union méditerranéenne.

Sur l’euro d’abord, ils dénoncent depuis plusieurs mois le niveau élevé de la monnaie unique par rapport au dollar, ce qui pénalise selon eux les exportations françaises. Pourtant, le change de l’euro n’a pas empêché l’Allemagne de redevenir le premier exportateur mondial ! Poussé par Guaino, Nicolas Sarkozy accuse la Banque centrale européenne de tous les maux de l’économie française et réclame que son indépendance soit revue. Cette idée a suscité l’opposition des autres États membres de l’Union, Allemagne en tête, pour qui il est hors de question de revenir sur l’indépendance de la BCE, indépendance que la France avait pourtant approuvée au moment de la mise en place de l’euro !

En ce qui concerne la lutte contre les déficits publics (un autre engagement de tous les États membres), Nicolas Sarkozy s’est fait le continuateur de Jacques Chirac (qui fut lui aussi conseillé pendant un temps par Guaino) en réclamant sans cesse des sursis auprès de la Commission européenne. Alors que presque tous les partenaires de la France ont fait des efforts pour réduire leur déficit, Nicolas Sarkozy continue de s’asseoir sur le Pacte de Stabilité et de Croissance et demande à être jugé sur cette question à la fin de son mandat, alors que la Commission exige des résultats pour 2010.

L’Union méditerranéenne est la dernière idée lancée par Nicolas Sarkozy et Henri Guaino. Ce projet suscite l’opposition franche des pays de l’UE non riverains de la Méditerranée, et en particulier de l’Allemagne. Mais une fois encore Nicolas Sarkozy refuse d’abandonner le projet de son conseiller, au risque de se fâcher durablement avec Berlin. Deux réunions au sommet entre la France et l’Allemagne viennent ainsi d’être annulées, officiellement pour des « raisons de calendrier », mais selon certaines sources, notamment dans la presse allemande, cela serait dû à l’intransigeance de Nicolas Sarkozy, qui ne tolère pas que personne en Europe, ni même en Afrique du Nord, ne veuille de son Union méditerranéenne !

La ligne souverainiste de Guaino perdrait-elle du terrain ?

Les théories d’Henri Guaino exaspèrent la Commission et les partenaires de la France depuis déjà un bon moment. Il est à craindre que la France se retrouve encore plus isolée en Europe. Longtemps silencieuse, la majorité présidentielle critique désormais elle aussi le conseiller du président. Cité par le journaliste de Libération Jean Quatremer, le député européen UMP Alain Lamassoure a ainsi déclaré qu’ « il y a un problème Henri Guaino », ajoutant qu’ ‘’il y a d’un côté tout le gouvernement et l’UMP, de l’autre Guaino’’.

Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire d’État aux Affaires européennes, a quant à lui exprimé [2] son scepticisme vis-à-vis de l’Union méditerranéenne. D’après certains observateurs, la diplomatie française rejoindrait progressivement les thèses de Jouyet. Deux chercheuses du Centre de Politique européenne, Rosa Balfour et Dorothée Schmid, estiment ainsi que Nicolas Sarkozy sera contraint de mettre de l’eau dans son vin sur l’Union méditerranéenne.

Il est grand temps que la droite française fixe une ligne cohérente en matière de politique européenne ! Il est pour cela nécessaire qu’elle dénonce plus fermement l’influence d’Henri Guaino sur Nicolas Sarkozy, car les idées du conseiller de l’ombre sont loin de correspondre aux besoins de la France dans le contexte de la mondialisation.

À quelques mois de la présidence française du Conseil de l’Union, l’attitude du président de la République est encore incertaine. Allons-nous assister à un « Sarko show » orchestré par Guaino et dirigé contre la BCE ? Ou allons-nous plutôt voir le président revenir à un discours plus favorable à l’intégration européenne, à l’image de son allocution du 10 février sur la ratification du traité de Lisbonne ? L’influence d’Henri Guaino sur la politique européenne de Nicolas Sarkozy ne sert pas la France, et cela risque d’être dommageable durant la présidence française.

Heureusement, les mécontentements qui commencent à se manifester dans la majorité semblent gagner du terrain : Guaino apparaît de plus en plus comme le maillon faible dont il faut se débarrasser. Vivement que le président de la République utilise sa nouvelle phrase fétiche face à son conseiller : « et bien, casse-toi pauvre c.. ! ».

Illustration : photographie d’Henri Guaino, issue du site du blog de Jean Quatremer.

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Notes

[1Cf. à cet égard les propos du chef de l’État dans Le Monde du 16 septembre 2007

[2dans Le Figaro du 25 janvier.

Vos commentaires
  • Le 3 mars 2008 à 08:26, par arturh En réponse à : Henri Guaino : le conseiller de l’ombre de Sarkozy qui exaspère l’Europe

    Sans vouloir jouer sur les paradoxes, le cas Guaino, même agaçant, ne doit pas être rejeté d’une pichenette, comme archaïque et donc sans intérêt. En effet, c’est une erreur que de croire qu’il est « grand temps que la droite française fixe une ligne cohérente en matière de politique européenne ! ».

    Le problème du souverainisme, si on peut l’appeler ainsi, ne concerne pas que la droite. Il concerne toute la France et il faudrait être bien naïf pour croire qu’il va disparaître avec Guaino. C’est un tendance politique qui transcende les clivages droite/gauche. On aurait tort de croire que ce n’est qu’un épiphénomène passager.

  • Le 3 mars 2008 à 12:22, par Laurent, JE-Bordeaux En réponse à : Henri Guaino : le conseiller de l’ombre de Sarkozy qui exaspère l’Europe

    « Le problème du souverainisme concerne toute la France ». Une évidence. Mais depuis quelque temps déjà, en France, c’est bien la droite qui gouverne. Qu’un souverainiste du PS soit mis en minorité au sein du secrétariat national du parti ne changerait pas grand chose aux positions de l’Etat français sur la politique européenne. S’il faut mettre un carton rouge utile à des souverainistes ces temps-ci, c’est à ceux qui dictent notre politique européenne.

  • Le 5 mars 2008 à 11:02, par Ronan En réponse à : Henri Guaino : le conseiller de l’ombre de Sarkozy qui exaspère l’Europe

    Henri Guaino ? Un bien mauvais "parolier" pour l’actuel président...

    Lui qui - par exemple - est bien l’auteur du - notamment - bien triste « Discours de Dakar » du 26 juillet 2007 (voir lien électronique, ci-dessous) : discours plein de clichés "folkloristes" sur "l’immobilité d’une Afrique où il n’y aurait de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès" (sic).

    Soit une vision imbécile, visiblement marquée par l’ignorance scientifique totale du sujet, une vision réductrice et (volontairement ?!) infantilisante des Africains : présentés non pas comme des sujets et acteurs, mais comme des objets passifs, éternelles victimes consentantes de l’histoire...

    Rappelons donc - pour la bonne bouche - que l’Afrique noire médiévale a tout de même connu, par le passé, pas moins de sept systèmes d’écriture (écritures arako et nsibidi du Nigeria, giscandi du Kenya, bamoun du Cameroun, mende de Sierra Leone, etc) et au moins trois grands Empires soudano-sahéliens (Ghana, Mali, Songhaï).

    Trois Etats africains puissants et prospères, alors marqués par un développement économique, un bouillonnement culturel (scolarité obligatoire dès l’âge de sept ans, se poursuivant dans des universités comme Djenné ou Tombouctou...) et une stabilité politique que bien des Royaumes européens de cette même époque leur aurait alors envié...

    Rappelons également que le roi soudanais Soundiata Kéita fit également adopter dans son royaume - au XIIIe siècle - une véritable Charte des droits de l’Homme et du Citoyen (la fameuse « Charte de Kouroukan »). Et que - quelques temps plus tard (au XVIe siècle) - l’un de ses lointains successeurs, le roi Mohamed Aboubakr, créa un ministère de... l’intégration, pour les blancs.

    Bref, de discours en maladresses (sur l’Afrique et son destin maudit, sur l’Allemagne et sa culpabilité éternelle et indélébile dans la Shoah, sur la Méditerranée et le rôle historique de la France dans l’Histoire mondiale...) il serait peut-être temps de se rendre finalement compte de l’ignorance crasse des Conseillers du Prince sur certains des sujets qu’ils abordent.

    Et de leur retirer les pouvoirs exorbitants que ces personnalités - non élues - se sont ainsi octroyées (au risque de définitivement décrédibiliser la parole publique de celui dont ils prétendent être les plus proches collaborateurs...).

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