Histoire et évolution de la communauté musulmane en Pologne

, par Ferdinand Cazin

Histoire et évolution de la communauté musulmane en Pologne

Parlez de la Pologne à une personne qui ne connaît pas grand-chose de ce pays et vous vous apercevrez qu’une des caractéristiques communément retenues est la place prépondérante de la religion catholique dans la société polonaise.

Loin d’être un cliché sans fondements, cette vision d’une Pologne homogène culturellement est encore d’actualité puisque 91% des polonais sont d’origine catholique et 85% d’entre eux se réclamaient du catholicisme en 2011, le reste étant non-croyant (8%) ou membres d’une autre religion (2%) [1]. De plus, l’histoire contemporaine polonaise fait constamment référence à la foi catholique, qu’il s’agisse des « défenseurs de la croix » en 1960 à Nowa Huta, des grèves de 1970 dans les chantiers navals de Gdansk (Lech Walesa arborant sur sa chemise la Vierge Noire de Czestochowa) ou bien sûr du règne du Pape Jean-Paul II. Sous la domination soviétique, la religion était le premier moyen d’assurer l’existence de l’idée de nation polonaise, déchirée par différentes partitions et conflits depuis des siècles.

Ceci dit, les européens, polonais y compris, devraient s’attarder un peu sur l’histoire des religions en Pologne, l’histoire des juifs bien évidemment mais aussi une dont on ne parle pas, celle des musulmans.

L’histoire des musulmans en Pologne commence il y a plus de sept siècles, avant bien des pays européens. La communauté musulmane polonaise historique s’appelle Tatars (ou Tartares) qui reste assez méconnue bien que le fameux plat éponyme à base de viande de cheval puis de bœuf ait gagné les assiettes de bistrots du monde entier. En 1300, un bataillon de mille guerriers rejoint l’armée, en 1410 la cavalerie tatare se bat aux côtés des troupes polono-lituaniennes et participe à la victoire de Grunwald contre l’Ordre Teutonique. Dès lors se sont succédées des périodes d’intégration et de distinction de la communauté tatare par rapport à la Pologne, depuis le début du siècle dernier les tatars ont néanmoins la volonté d’intégrer pleinement la nation polonaise.

Le laxisme de l’Islam tel qu’il est pratiqué par les tatars, en particulier en ce qui concerne la consommation de porc et de vodka, témoigne d’une intégration progressive et pacifique, bien éloignée du choc culturel que l’on pourrait imaginer au premier abord. Tout au long du XXème siècle, les deux communautés ont fusionné et des tatars ont participé à l’émigration à destination des Etats-Unis et constituent toujours une partie de la diaspora polonaise. Cette intégration s’est par ailleurs poursuivie en Pologne, toujours dans l’armée qui se dote d’un imam en chef à partir de 1931 ; dans la société civile apparaissent à partir de 1917 diverses associations représentant les musulmans de Pologne qui existent toujours aujourd’hui.

Pourtant, aujourd’hui, la place des musulmans de Pologne est difficile à occuper. Le gouvernement ne tient pas ou presque pas compte des revendications de la communauté musulmane et l’attitude personnelle des polonais à l’égard de l’Islam est extrêmement hostile, tant envers les tatars qu’envers des musulmans polonais issus de l’immigration pourtant bien intégrés dans le monde du travail.

On peut trouver deux raisons principales à ce rejet de la culture musulmane par les polonais : d’abord une méconnaissance impressionnante de l’Islam et de ses principes (grandement renforcée après le 11 septembre 2001) et surtout le fait que la nation polonaise a survécu pendant des siècles au cours des diverses partitions dont elle a été la victime par le biais de la pratique du catholicisme. Depuis la contre-réforme il existe un lien extrêmement fort entre la nationalité polonaise et le catholicisme (« Polak to Katolik »).

- 47% des polonais estiment qu’il y a « trop de musulmans en Pologne ». Ils ne sont qu’environ 31.000.
 62% estiment que les musulmans « demandent trop à l’Etat ».
 61% estiment que l’Islam est « une religion d’intolérance ».
 30% pensent que les musulmans « considèrent les terroristes comme des héros ».

Quelles sont les revendications des musulmans polonais ? Elles sont simples et se rapportent toutes à la même idée : avoir la possibilité de pratiquer l’Islam dans de meilleures conditions. Parmi les mesures demandées : la reconnaissance du mariage religieux par l’Etat (le mariage religieux chrétien étant reconnu comme suffisant par la Pologne pour être valable) ou la possibilité de choisir ses jours fériés. L’existence d’un concordat entre l’Etat Polonais et le Saint Siège peut-elle justifier qu’une minorité ne puisse pas pratiquer librement sa religion ? Car c’est bien la pratique religieuse des musulmans qui est entravée, le pays ne compte que quatre mosquées sans tenir compte des ruines des anciennes salles de prière tatares.

À Varsovie, en mars 2010, des dizaines de personnes ont manifesté contre la construction d’un centre culturel musulman comprenant une mosquée mais aussi une galerie d’art, un restaurant ainsi qu’un centre aéré et des conférences sur l’Islam et le dialogue entre les religions. Les polonais ont à tord peur qu’un conflit survienne sur leur territoire qui accueille des musulmans venus principalement du nord-Caucase et ont une attitude extrêmement fermée sur les cultures trop différentes de la leur. La position du clergé est ambigüe sur la question mais une grande partie de celui-ci partage cette peur, estimant que les musulmans désirent à tout prix convertir les polonais, pourtant seulement 28 conversions à l’Islam ont eu lieu en Pologne depuis une vingtaine d’années. À titre d’information, seuls 46% des polonais estiment qu’un dialogue apaisé est possible entre les cultures islamiques et occidentales.

On comprend historiquement la tendance des polonais à construire la nation autour de la religion, repère sous l’ère communiste, mais un pays membre de l’UE et ouvert sur le monde ne peut plus accepter une définition aussi simple de la citoyenneté. Pour beaucoup, être polonais revient encore à rejeter les cultures allemande ou russe et à se différencier des voisins culturellement plus proches comme la Lituanie ou la Slovaquie.

La Pologne a besoin d’une définition positive du patriotisme si elle veut s’intégrer autrement qu’économiquement en Europe et il en va de la responsabilité de ses gouvernements de faire des efforts pour réintégrer les minorités religieuses, déjà présentes avant la majeure partie de la construction nationale.

Vu de France il apparaît singulier de redouter un choc des cultures et de rejeter une minorité qui ne représente en définitive que 0.1% de la population. Je dirais pour conclure que quiconque reste replié sur lui-même et sa culture est condamné quoi qu’il arrive à voir une invasion à sa porte.

Cet article est réalisé dans le cadre de la préparation aux élections européennes.

Chaque semaine, découvrez un nouveau pays membre de l’Union Européenne. Cette semaine, la Pologne, force du triangle de Weimar, est mise à l’honneur.

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Notes

[1Les 5% restant n’ont pas donné de réponse à la question posée par l’institut Ipsos MORI.

Vos commentaires
  • Le 21 novembre 2013 à 16:37, par Michel En réponse à : Histoire et évolution de la communauté musulmane en Pologne

    Cher M. Cazin,

    Je vous encourage à vous pencher sur le dernier ouvrage d’Alain Finkielkraut - « L’identité malheureuse » - qui vous permettra de revenir sur une conclusion bien-pensante et moralisatrice qui peut faire réagir : « vu de France, il paraît singulier de redouter un choc des cultures et de rejeter une minorité... ».

    Pour une introduction grand public du livre, voir : http://www.youtube.com/watch?v=g1i470bCwMo

    La Pologne n’étant bien entendu pas un cas idéal, je vous engage cependant à vous interroger sur les leçons qui pourraient être tirées du cas français et à creuser davantage la différence que l’on pourrait être faite entre « repli sur soi » (ne parle-t-on pas de repli communautaire lorsque l’on évoque la crise d’intégration en France ?) et « identité nationale ».

    Voici un extrait de la 4ème de couverture : « Notre héritage, qui ne fait certes pas de nous des êtres supérieurs, mérite d’être préservé, entretenu et transmis aussi bien aux autochtones qu’aux nouveaux arrivants. Reste à savoir, dans un monde qui remplace l’art de lire par l’interconnexion permanente et qui proscrit l’élitisme culturel au nom de l’égalité, s’il est encore possible d’hériter et de transmettre. »

    Vous souhaitant un excellent séjour à Cracovie, Bien à vous, Michel

  • Le 27 novembre 2014 à 11:54, par Art En réponse à : Histoire et évolution de la communauté musulmane en Pologne

    Je vous cite la dernière phrase de l’article : « Je dirais pour conclure que quiconque reste replié sur lui-même et sa culture est condamné quoi qu’il arrive à voir une invasion à sa porte. »

    Je suis navré mais cette phrase n’a absolument aucun sens. C’est à dire qu’il faut se laisser envahir pour ne pas être envahi ? C’est incompréhensible. La Pologne n’a pas la même Histoire que la France et n’est donc pas confrontée à une immigration de masse, faut-il pour autant sous-entendre qu’elle est dans un repli malsain comme vous le faites ? Les polonais n’ont effectivement pas le même état d’esprit qu’en France, ils ont pu garder une cohésion culturelle et historique ce qui n’est pas le cas de la France qui explose de toute part, se remet en question et s’auto-flagelle sans cesse sans jamais oser voir les vrais problèmes et d’où ils viennent. Comme si on pouvait accueillir le monde entier à l’infini parce que c’est être « ouvert ». Désolé mais les polonais ont encore une fierté et une unité que la France n’a plus... alors ne blâmez pas la Pologne pour ça... ne calquez pas vos idéaux illogiques sur la Pologne, car c’est une autre Histoire que la France, et espérons que la France a encore un avenir...

  • Le 27 janvier 2017 à 18:32, par Hyder En réponse à : Histoire et évolution de la communauté musulmane en Pologne

    Certes la Pologne n’a pas la même histoire que la France et il est juste que les Polonais souhaitent préserver leur identité (comme toute nation), cependant les Français qui ont depuis longtemps colonisé d’autres nations et poursuivent leur oeuvre via les Alliances et autres Instituts Français en promouvant leur modèle culturel dans les 4 coins du monde , ne doivent pas s’étonner de l’arrivée d’une immigration de masse. Je ne dis surtout pas que l’idée de se laisser envahir est bonne , mais c’est plus ou moins la suite logique lorsque l’on veut exporter le français et qu’on se pose en maîtres civilisés partout où l’on va. Par ailleurs les miettes récoltées par les clandestins et autres demandeurs d’asile ne sont rien comparés aux milliards amassés par la France lors de vente d’avions ou autres technologies dans les pays du Sud. Donc à bon entendeur si vous espérez qu’un jour l’immigration cesse il va falloir vous expliquer avec les dirigeants de la France. Certes la France n’est pas une poubelle , mais les migrants ou leurs descendants ne sont pas des serfs condamnés à rester dans les cases : sportif, agent de sécurité,conducteur de bus, chanteur, ou comique ; car si je reconnais que de nombreux individus de 2 ou 3ème génération sont des parasites pour la société française, d’autres souhaitent s’en sortir mais sont rejetés, et ce malgré un cursus égal à un français caucasien. Enfin étant moi-même descendant d’immigrés algériens je reconnais que la France m’a apporté et je ne suis pas de ceux qui crache dessus, or je n’aspire qu’à repartir dans mon pays d’origine, car malgré une formation dans le supérieur et des expériences professionnelles à l’étranger , je me retrouve discriminé, en cela j’ajouterais que le chacun chez soi sera le mieux pour tous. Mais bon pouvons nous croire qu’un retour au pays assurera paix et stabilité. Enfin est-ce que la voracité des nations occidentales (et maintenant asiatiques) se calmera pour autant.

  • Le 27 janvier 2017 à 19:02, par Nordine En réponse à : Histoire et évolution de la communauté musulmane en Pologne

    Cher Monsieur, je veux saluer la qualité de votre article et vous encourager à ne pas vous enfermer dans la lecture exclusive d’Alain Finkielkraut dont la pensée controversée renvoie à une vision très manichéenne du monde et des gens. Lisez plutôt l’essai d’Amin Maalouf, Académicien qui s’est penché sur la question de l’identité. Son livre « les identités meurtrières » est une très belle contribution qui, bien que très antérieure à celle de Finkelkraut, permet de mieux appréhender les transformations du monde, loin des fantasmes et des peurs islamophobes d’aujourd’hui...Je veux, par ailleurs, rappelé que les musulmans de Pologne sont Polonais depuis plus de 800 ans ! Parler d’étrangeté ou pire, d’invasion, est d’une insondable bêtise...

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