Intérêt Européen et intérêts nationaux, confusion ou opposition ?

, par Ferghane Azihari

Intérêt Européen et intérêts nationaux, confusion ou opposition ?
Auteur : titou du Pian

Si pour tous les fédéralistes cette question ne se pose pas, il n’en est pas de même pour les « européistes retenus » que sont les intergouvernementalistes à la tête de la plupart des États qui constituent l’Union européenne. Pour le démontrer, il conviendra d’analyser la cause principale de tous les maux européens : l’euroscepticisme, présent de facto chez tous les États.

Cet euroscepticisme, qui exclut la confusion entre intérêt européen et intérêt national, entre intérêt collectif et intérêt individuel, est en effet la cause principale de l’intergouvernementalisme et du déficit démocratique au sein de l’Union européenne

Les intérêts communautaires et nationaux se confondent-ils ? Non à en croire les intergouvernementalistes

La question de la confusion des intérêts nationaux et européens se pose dès lors que l’on constate qu’il existe des incohérences et des contradictions dans les discours et agissements de nos dirigeants. En effet si aucun des Vingt-sept n’envisage sérieusement de quitter l’Union, c’est que chacun estime qu’y participer est conforme aux intérêts égoïstes (rappelons à cet égard que même le Premier ministre britannique David Cameron, bien qu’ayant proposé un référendum sur la question d’ici 2017, énonce qu’il va plaider pour le maintien du RU dans l’UE). Mais en même temps, on sent une volonté extraordinaire des dirigeants nationaux de maîtriser l’Union européenne dans son ensemble, muselant toute velléité émancipatrice de la part de celle-ci.

C’est cette défiance qui est institutionnellement et juridiquement instrumentalisée :

  • Ainsi les États sont convaincus du fait qu’il est dans leurs intérêts que l’Union ne puisse pas aisément parler d’une seule voix sur la scène internationale. D’où la non remise en cause de l’unanimité requise pour toute action relative à la politique étrangère.
  • Ainsi les États sont convaincus du fait qu’il est dans leurs intérêts que l’Union ne puisse pas aisément se doter d’une politique fiscale effective. D’où la non remise en cause de l’unanimité pour la fiscalité.
  • Ainsi les États sont convaincus qu’une démocratisation de l’Union serait contre leurs intérêts. D’où la réticence à mettre le Parlement européen sur un pied d’égalité avec le Conseil réunissant les ministres et qu’une « majorité d’un tiers » puisse suffire à ce que la Commission, garant de la somme des intérêts étatiques, reste en place.

Dans ces conditions, pouvons nous considérer que la majorité des États soit pro-européenne ? Rien n’est moins sûr...

Les États européens, tous eurosceptiques ?

En définitive, l’objectif assigné par les États a été atteint. L’Union est un acteur faible sur la scène internationale. Elle est impuissante pour résoudre les problèmes relatifs à son propre marché intérieur. Enfin son déficit démocratique du à ses carences institutionnelles rend son impopularité croissante.

De quoi les États ont-ils si peur ? Ont-ils peur d’une Union émancipée qui pourrait mettre en place une politique contraire à leur volonté en ce que ces derniers peuvent se retrouver minoritaires dans les instances telles que le Conseil ou le Parlement ? Ont-ils peur du pouvoir de la majorité, autrement dit de la démocratie ?

Cette crainte de la majorité tire sa force d’une vision ultra-individuelle de l’Union européenne.

En essayant de tirer leurs épingles respectifs du jeu au mépris des autres partenaires, les États oublient qu’une Europe qui ne profite pas à tous, n’est pas une Europe viable sur le long terme.

Or une Europe mourante est purement et simplement contraire aux intérêts étatiques, ne serait-ce que pour les raisons liées aux facteurs géoéconomiques. Il est donc dans l’intérêt immédiat des États de se montrer plus collectif quitte à abandonner quelques privilèges individuels. Si l’on part de ce postulat alors :

  • Il n’est pas contraire aux intérêts des États les plus puissants d’institutionnaliser davantage le pouvoir européen dans les instances supranationales telles que le Parlement et la Commission pour donner plus de pouvoir aux autres Nations, notamment celles de l’est de l’Europe.
  • Il n’est pas contraire aux intérêts du Luxembourg et de l’Autriche d’abandonner leurs secrets bancaires respectifs.
  • Il n’est pas contraire aux intérêts des pays riches de partager avec les pays les plus pauvres etc.

Pour conclure, il convient de remarquer que la nécessité de se poser la question de la confusion des intérêts européens et nationaux met en lumière l’échec relatif de la méthode communautaire en ce que soixante ans d’intégration n’ont pas suffit à doter les Nations européennes d’une vision collective.

L’absence de vision collective ou l’échec relatif de la méthode communautaire

Si la méthode communautaire est parvenue à de résultats surprenants en ce qu’elle a réussi à créer une certaine union d’États qui avaient fait de la guerre un élément de leur culture, elle a aussi partiellement échoué lorsque l’on dresse le constat suivant : les Nations européennes ne se font pas confiance et se méfient entre elles.

Cette méfiance exclut évidemment toute forme de vision collective et donc fatalement toute forme de supranationalité et de démocratie européenne. Pour s’en convaincre, un seul argument suffit, la récente décision du Conseil de maintenir la composition de la Commission selon le principe « un État, un Commissaire » , décision qui illustre parfaitement l’absence de sentiment européen, et cela même chez les élites : la composition de la Commission démontre que les dirigeants Irlandais, Français ou Allemands ne sont toujours pas totalement convaincus du fait qu’une personne de nationalité différente puisse les représenter et défendre leurs intérêts. Autrement dit, les élites européennes ne sont pas totalement convaincus de leur interdépendance, condition sine qua non de l’affectio societatis et donc de toute construction politique.

Face à ce déficit collectif, la méthode communautaire a atteint ses limites. Ce n’est pas par la norme que l’on force des peuples à s’aimer, à se faire confiance et à vouloir vivre ensemble même si celle-ci peut aider en intensifiant les interdépendances.

La solution réside donc dans une révolution intellectuelle et philosophique. Qui saura la mener sur tout un continent ?

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Vos commentaires
  • Le 1er juillet 2013 à 11:21, par Apostat En réponse à : Intérêt Européen et intérêts nationaux, confusion ou opposition ?

    Bonjour à vous,

    « Ce n’est pas par la norme que l’on force des peuples à s’aimer, à se faire confiance et à vouloir vivre ensemble même si celle-ci peut aider en intensifiant les interdépendances. »

    C’est toujours étonnant de voir ici une certaine lucidité sur l’état des choses et pourtant votre conclusion est inévitablement la même : il faut plus d’Europe. Or précisément vous démontrez en amont l’erreur tragique de cette construction quand vous affirmez « [l’]interdépendance, condition sine qua non de l’affectio societatis et donc de toute construction politique. »

    L’interdépendance n’est pas un état de fait précédant le construction de l’union, elle a été organisée par vos partisans depuis des décennies, mais si votre construction rencontre actuellement autant de difficultés c’est que cette interdépendance s’est basée sur un postulat faux : celui d’une communauté de destin entre les pays européens.

    En effet, si des pays ont historiquement des liens forts (France et Allemagne par exemple), c’est loin d’être le cas entre tous (Suède et Espagne, Portugal et Pays-bas, Luxembourg et Croatie...) et le cadre institutionnel actuel force l’action politique entre des gens qui n’ont simplement rien de commun. Ce cadre est d’autant plus archaïque qu’il fonctionne à l’heure de la mondialisation sur un logique de bloc issue de la guerre froide et révolue depuis 1989 et il s’appuie sur une logique essentiellement géographique.

    C’est précisément là que l’Union désormais joue très souvent contre ses membres, en les enfermant dans un ensemble incohérent et à rebours de la logique de flux (en opposition aux blocs) de la mondialisation. Prenons le cas de la France : les liens culturels sont bien plus fort avec des pays comme le Canada, l’Algérie ou le Vietnam qu’avec les pays Baltes voire même l’Autriche. Or, on a vu ce qu’il est advenu de l’UPM, qui fut vite réintégrée dans l’UE qui y voyait l’émergence d’une possible concurrente (à raison) là où notre pays avait une carte importante à jouer. De la même façon, notre rapport à la gastronomie est très différents des autres pays et ne saurait s’accommoder de normes aux rabais, c’est pourtant ce qui se profil. Donc si, les intérêts de l’Union sont très souvent contraire à ceux des nations.

    Quand vous dites qu’il n’est pas contraire aux intérêts du Luxembourg de renoncer à son secret bancaire, vous faites je l’espère de l’ironie...Ce pays a tout à perdre mais il se voit imposer cette décision dans le cadre de rapport de force entre Nations, et l’UE se met à la charrette. Quand vous dites qu’il n’est pas contraire aux pays riches de partager avec les plus pauvres...Là aussi vous faites preuve d’une étonnante candeur. Si c’était le cas, l’aide internationale ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. Pour consentir à cet effort financier un pays doit y voir un effet bénéfique (limitation du flux de migrant), humanitaire ou s’appuyer sur un lien historique/culturel (exemple la France avec le Mali). Rien de tel pour une bonne part en Europe.

    Il ne faut pas insulter l’avenir mais en l’état l’UE se fait contre les nations et leurs intérêts, pour les plus importants du moins (politique économique et étrangère). Tout cela est d’ailleurs logique puisque de plus en plus l’UE et le élites qui la dirigent prétendent conduire leur action au nom d’un peuple européen qui n’a jamais existé et n’existe toujours pas et que vous essayez de construire au forceps.

    Cordialement

    l’absence de sentiment européen, et cela même chez les élites

  • Le 2 juillet 2013 à 16:19, par ApprentissageVie En réponse à : Intérêt Européen et intérêts nationaux, confusion ou opposition ?

    Concernant le lien fort de la France avec le Québec, l’Algérie, le Vietnam, il est normal car ce sont ses anciennes colonies, ce sont des secondes France en quelque sorte, et il n’y a pas de barrière de langue comme pour les pays baltes.

    Concernant les difficultés que rencontrent actuellement l’Union Européenne, cette crise économique est comparée à celle de 1929, qui a créé la Seconde guerre mondiale. Dans l’urgence et sans préparation, dans l’inconnu, des dérives sont faites. La crise passera, et nous apprendrons de nos erreurs. C’est justement par nécessité économique notamment qu’il y a harmonisation.

    Il est vrai que les politiques économique et étrangère de l’Union sont imparfaites. Plutôt que d’y voir un problème structurel (c’est la construction européenne qui pose problème), j’y vois plutôt un problème d’adaptation : le droit européen s’est construit par nécessité, comme l’euro. Pour l’instant, l’Union se construit, se développe, mature, elle est dans son enfance, elle subit des crises. Car 60 ans de construction européenne c’est très peu. Attendons 40 ans et nous verrons le résultat.

    Toutefois il est vrai qu’il n’y a pas de peuple européen. Même dans l’Europe occidentale il y a plusieurs manières de voir. Ils n’ont ni la même histoire (la Pologne n’existait pendant la majeure partie de l’histoire européenne, la France s’est construite sur le domaine de son roi) ni la même langue (les polonais parlent polonais, les français français) ni la même puissance. Pour la majorité des personnes, elles sont françaises avant d’être européennes. C’est en ayant conscience qu’un pays est à la fois national et européen que nous pourrons avancer.

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