« L’Europe ne doit pas être un nain militaire »

Le bilan de la PFUE sur l’Europe de la défense

, par Aleksandra Tomczak

« L'Europe ne doit pas être un nain militaire »

L’Europe ne doit pas être un nain militaire et un géant en matière économique, ce n’est pas possible a déclaré Nicolas Sarkozy au lendemain du Sommet Européen de 12 décembre. A la fin de la présidence française, qu’en est-il des grandes déclarations sur la défense européenne ?

La Présidence française a fait de la défense une de ses quatre priorités et c’est ce sujet qui avait déjà dominé les dernières semaines de la présidence slovène. « J’entend faire de la politique de défense et de sécurité un exemple de l’Europe concrète, de l’Europe qui répond au besoin des Européens » - tel était le projet de Nicolas Sarkozy avant l’ouverture de la présidence le 1er juin 2008. Les propositions avancées par la Présidence Française dans le domaine de la défense sont moins controversées que celles faites dans le cadre des autres trois priorités.

En effet, alors que le pacte énergie-climat divise l’Europe des 15 et les pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) où la production énergétique est intense en charbon, la défense est un domaine plus déclaratoire qui a besoin d’un nouvel élan et d’engagements et non pas de solutions d’urgence qui pourraient faire surgir un conflit d’intérêts très net entre les Etats membres.

Plutôt des capacités que des institutions nouvelles

Aujourd’hui il ne s’agit plus d’introduire des nouvelles institutions relatives a la défense et les promoteurs de l’Europe de la défense insistent bien sur le passage d’un « cycle institutionnel » a un « cycle capacitaire ». Ainsi, le point central de la PFUE dans ce domaine était d’augmenter les capacités militaires de l’Europe. L’objectif était donc triple : améliorer les capacités militaires des Etat membres, permettre une meilleure interopérabilité entre les armées nationales et assurer une coopération plus efficace avec les pays tiers et les organisations internationales telles que l’OTAN, l’ONU et l’OSCE. A ceci s’ajoutait l’impératif de réviser la Stratégie Européenne de Sécurité rédigée en 2003.

Bien qu’une nouvelle ère de la défense commune ait souvent été annoncée par le président français, nous avons vu que le non irlandais au traité de Lisbonne, ainsi que la crise financière, ont déformé l’agenda de la présidence française et le grand tournant tant attendu ne s’est pas matérialisé. Par contre, le conflit en Géorgie, les attaques a Bombay et l’annonce du Grand Retour de la France au sein du commandement militaire intégré de l’OTAN ont indiqué des nouvelles pistes dans l’architecture de la sécurité européenne et nourri la réflexion sur la défense en tant que telle.

Le non irlandais a privé la présidence française d’une innovation opérationnelle qu’elle souhaitait exploiter une fois le Traite de Lisbonne ratifié. Une provision sur les structures permanentes de coopération devait permettre à la France d’établir un groupe de défense composé des six pays les plus grands de l’Union Européenne...mais les irlandais en ont décidé autrement.

Mention bien pour la Présidence Française

Un baromètre mis en place par l’Institut Thomas Moore, évalue l’efficacité de la PFUE dans la réalisation de ses priorités. La défense obtient une mention bien, avec une note de 14 sur 20. Il y a effectivement un certain progrès, avec la révision de la stratégie européenne de sécurité, suivi d’un engagement pour le développement des capacités militaires et conclue par une réaction coordonnée face a la crise Georgienne. Cependant, en vue de la situation budgétaire actuelle des Etats membres et compte tenu des futures présidences du conseil [1], l’avenir de la défense commune semble encore assez flou et ceci déçoit beaucoup certains pays tiers et organisations internationales dont la demande d’intervention de l’UE ne cesse de s’accroître.

Nous avons effectivement vu un certain progrès dans le domaine de l’armement. Lors de la réunion de Deauville des 1 et 2 Octobre 2008, plusieurs pays ont annonce vouloir participer a la modernisation des flottes d’hélicoptères, notamment ceux des armées d’Europe centrale et orientale. Les autres projets relatifs au transport aérien stratégique (projet A-400M) et a la coopération navale autour des pays possédant des porte-avions (France, Espagne, Royaume Uni, Italie) ont également été avalisés par les ministres de la défense. Toutefois, l’opposition britannique et un contexte économique difficile n’ont pas permis a la Présidence Française de réformer le mode de financement de la PESD et nous en restons au mécanisme Athéna qui nécessite le vote du Conseil pour la majorité des dépenses liées aux opérations de la PESD.

La coordination et l’interopérabilité entre les Etats membres devrait être améliorées grâce a la mise en place d’un « Erasmus militaire » qui permettrait des échanges plus réguliers entre les armées nationales. En revanche, le projet de l’évacuation coordonnée des ressortissants européens semble être compromis par les événements de Bombay ou, lors des attaques terroristes, un représentant l’Ambassade d’Allemagne a refusé de prendre en charge d’autres citoyens européens que les Allemands [2]

Le grand retour de la France au sein du commandement militaire de l’OTAN ?

Une plus grande coordination avec l’OTAN a été recherchée durant la Présidence. Nicolas Sarkozy a même promis que la France retournerait au commandement militaire intégré de l’OTAN si les avancées dans la PESD étaient satisfaisants. Aujourd’hui, on s’attend a ce que la France aille au bout de ses déclarations a l’occasion du 50eme anniversaire de l’OTAN, au mois d’avril 2009. C’est un changement réel dans la tradition politique française car depuis le General de Gaulle la défense européenne était uniquement envisagée en tant qu’une structure entièrement séparée et indépendante de l’OTAN. L’idée de coopération n’est pas nouvelle. Elle a son origine dans l’accord Berlin Plus de 1999, mais c’est la première fois qu’une telle direction est si clairement prise par une présidence du Conseil.

Des relations plutôt froides avec la Russie

Le but de la PFUE était aussi de rapprocher l’UE de la Russie, cependant, le conflit en Géorgie et la controverse autour du bouclier anti-missile ont mené a une situation où les relations avec la Russie se trouvent au plus bas depuis des années. Bien que l’évaluation du degré de succès réalisé par le président français dans sa négociation avec la Russie ne fasse pas l’unanimité, il est clair que les 27 ont pu exprimer une position commune face à la Russie. Les anciens et les nouveaux Etats membres ont su modérer leurs positions respectives, les premiers acceptant le principe d’une ligne plus ferme vis-à-vis de la Russie, les seconds acceptant de dialoguer avec leur voisin Oriental. Encore faut-il espérer que l’attitude très volontariste de Nicolas Sarkozy dans l’affaire du bouclier anti-missile ne porte pas atteinte à cet accord très précaire : le Premier ministre Polonais a déjà dénoncé le dépassement de compétences par Nicolas Sarkozy qui s’était prononcé contre l’installation des éléments du bouclier en Pologne et en République Tchèque [3]

L’Europe, un géant de la défense : ce n’est pas pour demain !

En ce qui concerne le rapport entre la PESD et l’ONU, les évènements récents ne sont pas porteurs de bonnes nouvelles. Alors que le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon a demandé que les troupes européennes soient envoyées au Congo pour assurer la transition, les pays de l’UE, l’Allemagne et le Royaume Uni en tête, n’ont pas donné de réponse positive a cet appel. Nicola Sarkozy a expliqué en substance que l’Union ne pouvait pas être partout et qu’il fallait réorganiser les troupes déjà présentes, plutôt qu’en envoyer d’autres...

Il semblerait donc qu’en dépit d’un certain succès, l’Europe de la Défense n’ait pas vraiment grandi suffisamment sous la Présidence Française. Il faut que l’élan de la reforme soit maintenu. Hors, aucun des trois supporters traditionnels de la défense commune (France, Allemagne, Royaume Uni) n’accédera à la présidence de l’UE avant 2017 et bien que trois parmi six pays faisant partie d’Eurocorps prendront bientôt le relai, il est plus probable que le débat sur la sécurité aille plutôt dans la direction Est-européenne, avec les présidences de la République Tchèque, de la Hongrie et de la Pologne au cours des trois prochaines années.

 Illustration : véhicule allemand de la KFOR en patrouille près de Prizren, Sud-Ouest du Kosovo ;
 Source : photo de Laurent Nicolas, avril 2006. Sous licence CC by-nd

Notes

[1tchèque et suédoise en 2009

[2L’incident est cité par Eurobserver, le 8 décembre 2008. Le Taurillon a également rapporté le témoignage d’une fonctionnaire franco-allemande du Parlement européen qui n’a pu être secourue par aucun des deux services consulaires desquels elle dépendait.

[3Voir l’article publié sur Eurobserver.

Vos commentaires
  • Le 7 janvier 2009 à 12:11, par krokodilo En réponse à : « L’Europe ne doit pas être un nain militaire »

    Bonne présentation d’ensemble, mais il n’est pas précisé dans l’article comment le plurilinguisme allait s’intégrer dans l’armée européenne, ou dans l’Erasmus militaire, ni si le « retour » de la France allait s’accompagner d’un regain du français dans l’UE.

  • Le 7 janvier 2009 à 21:39, par Leopold En réponse à : Erasmus militaire

    Est-ce que les Erasmus militaires pourront aussi faire la fête tous les WE, se bourrer la gueule régulièrement, perdre/trouver leur petite amie, progresser en langues entre 2h et 4h30 du matin sur le trottoir, visiter leurs camarades de Sarajevo à Nicosie, et toutes les joies des séjours Erasmus ?

  • Le 8 janvier 2009 à 13:22, par Fabien En réponse à : Erasmus militaire

    Ce n’est pas ce que font déjà les bidasses naturellement ? Le mercredi soir à Rochefort sur mer était par exemple le jour de sorties des militaires uqi se donnaient rendez-vous pour un karaoké qui se finissait rarement avec moins d’1 gramme d’alcool dans le sang.

    Bref.

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