L’Europe vue d’outre-Atlantique : « L’UE est un exemple, mais pas un modèle »

, par Florent Castagnino

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L'Europe vue d'outre-Atlantique : « L'UE est un exemple, mais pas un modèle »

Entretien avec Dany Deschênes, analyste à la direction de la planification et des politiques du Ministère de la Sécurité Publique du Québec, assistant de recherche au programme Paix et sécurité internationale de l’Institut québécois des hautes études internationales et candidat au doctorat au Département de science politique de l’Université Laval.

Le Taurillon : De manière générale, quelle image pensez-vous que l’Union européenne véhicule au Canada et au Québec ?

Dany Deschênes : Avant de répondre directement, permettez-moi d’aborder une question plus générale : quelle est l’image que les citoyens canadiens et québécois ont de l’UE ? Dans la population en général, l’image actuelle de l’UE se concentre autour de certains symboles et problèmes qui sont présents dans les médias. Lorsque je parle de symboles, il y a clairement l’euro, surtout pour ceux et celles qui voyagent en Europe.

Il faut dire aussi qu’avec les débats sur le retour d’une franchise de hockey sur glace dans la ville de Québec, il y a également le Parlement européen. Le député slovaque Peter Stastny a été la grande vedette de l’ancienne équipe de la ville (les Nordiques de Québec) et il a participé à quelques activités pour appuyer le retour de la ligne nationale de hockey dans la capitale québécoise.

Il y a également les problèmes économiques de certains pays européens comme l’Irlande et la Grèce qui retiennent l’attention. L’actualité représente souvent le seul moment où les citoyens prennent connaissance de l’existence ou de l’évolution de certaines organisations ou situations dans certaines régions du monde ; l’Europe en général, et l’UE en particulier, n’échappent pas à cette tendance. Pour le citoyen, l’UE est une sorte d’organisation régionale de coopération différente des autres, mais sans trop savoir vraiment où on peut la classer.

En ce qui concerne l’image que l’UE véhicule au Canada et au Québec, c’est une image d’une intégration régionale unique au monde et qui offre des opportunités pour créer des liens économiques, bien entendu. Au point de vue du Québec, il y a aussi l’idée que des régions européennes sont des partenaires tant du point de vue économique que culturel. Ce sont les grands points que retiennent habituellement les citoyens. En fait, le message et la visibilité européenne demeurent surtout au sein de cercles restreints.

Vous êtes spécialisé dans la transition démocratique de l’Europe danubienne et balkanique. Quel rôle l’Union européenne doit-elle jouer ? Quelle serait la priorité ?

Dany Deschênes : Vaste question ! Même si ce sont des évidences, soulignons entres autres que l’UE doit être en mesure d’accompagner les Balkans occidentaux dans le développement d’institutions politiques démocratiques et libérales, j’emploie le terme libéral dans le sens d’un Zakaria, par exemple sur l’importance de l’état de droit libéral pour nos régimes démocratiques.

Les institutions actuelles dans plusieurs pays, par exemple en Bosnie-Herzégovine, sont fragiles et cet appui est essentiel. Or, plusieurs problèmes se dressent actuellement : la crise financière dans plusieurs pays, la présence de plus en plus importante d’une droite moins encline à « s’investir » dans ces problèmes complexes dans la région, et par ricochet des partis politiques présents dans cette région qui jouent la carte d’un nationalisme plutôt intolérant ; la mince ligne entre un appui et une aide de l’UE, mais aussi des autres partenaires atlantiques, par rapport à une perception de tutelle de la part des populations de la région.

Le problème est que même si les projecteurs des médias ne sont plus aussi présents, je parle évidemment à partir du Canada, la région demeure fragile malgré le calme relatif. On oublie trop souvent que des institutions solides ne se construisent pas en quelques années. La légitimité « de tous les jours » se développe avec une réponse minimale aux besoins de la population sur une longue période. Est-ce que le cas actuellement ? Je crois que du travail reste à faire.

On doit aussi souligner que ce travail doit aussi se faire dans certains pays de l’ancien Bloc de l’Est maintenant membres de l’UE, mais à un autre degré. Je dirais que l’intériorisation des normes libérales et démocratiques doit se poursuivre.

Alors que l’on voit de nombreuses tensions en Europe, notamment sur les questions financières et budgétaires, considérez-vous l’Union comme une réussite d’intégration régionale ? Est-ce un modèle à suivre, notamment pour l’AFTA ou le MERCOSUR ?

Dany Deschênes : Si on revient à l’objectif qui a donné l’impulsion à la construction européenne, c’est-à-dire de mettre un terme aux déchirements du continent à la suite de deux guerres mondiales, la réponse est évidente, c’est oui. L’intégration européenne est une réussite.

On a créé une situation où l’option militaire n’est plus considérée comme légitime par les membres de l’UE pour régler les différends. C’est tout de même une réussite incroyable dans l’histoire européenne et celle du monde ! L’UE a aussi favorisé la consolidation de la démocratie dans plusieurs États, politiquement instable depuis le 19e siècle comme l’Espagne ou le Portugal. Il ne faut pas minimiser ces réussites en fonction de la situation conjoncturelle actuelle.

En ce qui concerne les processus d’intégration régionale, je crois que les constructions en Amérique latine et en Asie du sud-est peuvent utiliser la manière de faire européenne pour se questionner sur l’orientation que les pays de ces régions veulent donner au processus d’intégration régionale. Pour le reste, les situations et les conditions sont différentes et les choix politiques vont nécessairement les refléter. Il n’y a pas de « recette UE » prête à l’emploi pour les autres processus d’intégration. Autrement dit, l’UE est un exemple, mais pas un modèle.

Outre-Atlantique, quel rôle attend-on de l’Union européenne sur la scène internationale ?

Dany Deschênes : De façon générale, les relations euro-atlantiques ont été malmenées depuis le début du 21e siècle. Je ne crois pas qu’il est nécessaire d’y revenir. La timidité de plusieurs pays européens en Afghanistan montre une certaine limite dans la coopération sécuritaire des pays de la zone euro-atlantique. Par contre, les négociations actuelles pour un traité de libre-échange entre le Canada et l’UE représentent un point positif.

Pour le Canada, il s’agit d’une autre tentative pour diversifier nos échanges économiques. Je ne pense toutefois pas que la conclusion de cet accord permettra de réduire sensiblement la relation économique privilégiée entre le Canada et les États-Unis. Malgré les discours, je ne pense pas que l’on attend quelque chose de bien précis de l’UE.

L’État demeure l’acteur premier des relations internationales et ce sont des pays européens que l’on attend une plus grande intervention sur la scène internationale ; tant mieux si l’UE et ses actions pour coordonner une certaine politique étrangère et de sécurité de ses membres fonctionnent. En fait, ce sont les relations euro-atlantiques qui doivent être redéfinies.

Le Taurillon : Dernière question moins politique. Beaucoup de Québécois et de Canadiens partent pour voyager et découvrir l’Europe. En quoi, pour un Québécois, l’Europe est-elle attractive ?

Dany Deschênes : Pour plusieurs Québécois l’Europe demeure le berceau de notre pays. La devise du Québec « Je me souviens » est quelquefois complétée ainsi « … d’être né sous le lys et grandi sous la rose ». On fait donc précisément référence à la France et au Royaume-Uni. La culture québécoise est encore inspirée par l’Europe, mais son américanité est largement présente ; d’où un mélange unique.

Il y a aussi le fait français. Après l’Afrique, le plus grand nombre de locuteurs français se retrouvent en Europe. Bref, l’histoire reste une force attractive importante pour les Québécois. L’Europe représente une sorte de voyage initiatique pour plusieurs jeunes.

Il ne faut pas s’y méprendre cependant, les jeunes Québécois n’accordent plus « aux vieux pays » la même importance que les générations précédentes. De plus en plus de jeunes s’intéressent aux Amériques et à l’Asie.

Illustration : Dany Deschênes

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