L’offensive géorgienne d’août 2008 entend répondre aux provocations orchestrées par les Russes et les Ossètes. Fort de son succès en Adjarie, le président géorgien M. Saakachvili entend reprendre le contrôle de cette région séparatiste. Moscou, au nom de la protection de ses citoyens, lance rapidement une vaste opération militaire. Il faut dire que depuis l’année 2000, la Russie distribue des passeports russes aux habitants abkhazes et sud-ossètes sans imposer les règles complexes d’obtention habituelles. Il s’agit là d’un subtil moyen pour Moscou d’étendre son influence dans ces régions. Cette politique a d’ailleurs été qualifiée par le Parlement européen d’ « annexion de facto du territoire géorgien ».
Retour au conflit. Les hostilités durent cinq jours, forçant plus de cent mille Géorgiens à quitter leur habitation. Sous la pression de la communauté internationale et grâce à la médiation de l’UE, les deux parties signent un accord de cessez-le-feu en six points le 12 août 2008. Depuis, la tension reste palpable, comme en témoignent la menace russe l’été dernier de recourir à la force armée contre le voisin si les « provocations » des Géorgiens ne cessaient pas.
Les conséquences pour la Géorgie
Les premières victimes du conflit sont incontestablement les milliers de personnes déplacées dans le pays, vivant actuellement dans des camps de réfugiés. Ces IDP (internal deplaced person) ont récemment obtenu un statut de la part de l’Assemblée générale des Nations Unies. Cette dernière leur reconnait le droit de regagner leur foyer dans l’ensemble de la Géorgie. Sur les 4 millions d’habitants que compte le pays, 270 000 sont des IDP. La plupart des exilés de la dernière guerre n’ont pu regagner leurs maisons. Ils vivent dans des camps de déplacés, dans des petits lotissements construits par le gouvernement et financés par l’aide internationale, Etats-Unis en tête. La plupart d’entre eux sont des réfugiés géorgiens. On dénombre également un nombre élevé de réfugiés sud-ossètes en Ossétie du Nord. Par contre, la part d’IDP ossètes en Géorgie est marginale. Aujourd’hui, une grande majorité des sud-ossètes continuent à percevoir les Russes comme leurs libérateurs. Combien de temps ce sentiment va-t-il durer ? En Abkhazie, même si les enjeux ne sont pas les mêmes, des voix s’élèvent déjà pour dénoncer l’amitié « envahissante » de Moscou.
L’Abkhazie et l’Ossétie du Sud ont toutes deux proclamé leur indépendance. Cette perte, peut-être définitive, représente un territoire équivalant à 20% de la Géorgie. Actuellement, seuls trois Etats l’ont reconnu : la Russie, le Nicaragua et le Venezuela. On ne peut pas parler de succès diplomatique de la Russie à cet égard. Il va sans dire que le soutien de Moscou à ces deux régions, via la politique de visas notamment, envenime les relations avec Tbilissi, empêchant toute normalisation et reprise sérieuse du dialogue.
Les frontières avec les deux régions séparatistes, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, et la Géorgie sont devenues complètement étanches. Quelques exceptions marginales existent. Ainsi, certains déplacés sont autorisés à rentrer chez eux pour le week-end dans la région d’Akhalgori. Les familles seraient également autorisées à traverser la frontière pour enterrer leurs morts.
Confronté à cette crise, la légitimité du président géorgien vacille. Durant l’été dernier, plusieurs milliers de Géorgiens ont manifesté pour réclamer la démission de leur président, considéré comme responsable de l’échec de la guerre contre la Russie. Le manque de clarté de ses intentions pose également problème. Le budget de la défense est en augmentation sensible, ce qui fait craindre aux occidentaux, une reprise du conflit. Quant aux perspectives d’adhésion à l’OTAN, elles sont bel et bien reportées.
Washington, un allié peu fiable
Les Etats-Unis qui se sont sans cesse prononcés pour l’élargissement de l’Alliance à l’Est ont fait montre d’une certaine distance lors du conflit d’août 2008. L’éternel allié américain mérite-t-il encore de constituer la base de la politique internationale de la Géorgie et, plus généralement, des Pays de l’Est ? La question mérite d’être posée après l’abandon récent du projet de défense anti-missile par le président Obama. La Pologne et la République tchèque se sentent trahies et veulent à présent renforcer leur coopération avec l’Union européenne. Cette même tendance se retrouve en Géorgie. Depuis que les membres de l’OTAN, réunis à Bucarest en avril 2008, ont jugé prématuré de faire bénéficier la Géorgie d’une coopération renforcée avant une adhésion définitive, Tbilissi ne se fait plus guère d’illusion. Même si elle était membre de l’OTAN, la Géorgie ne croit plus à une intervention de Washington en cas de guerre avec la Russie. C’est essentiellement la stabilité et l’effet dissuasif qu’elle pourrait apporter qui importe. La Géorgie envisage l’OTAN comme un tremplin vers l’UE.
Par la stabilité et la crédibilité qu’elle apporterait, l’OTAN rendrait la petite république caucasienne plus attractive pour les investisseurs étrangers. Le point de mire est donc bien de développer une économie pouvant, un jour, intégrer l’UE. Comme si Tbilissi prenait conscience que son avenir se joue davantage en collaboration avec Bruxelles plutôt que Washington…
Bruxelles, tiraillé en Moscou et Tbilissi
Dans ce dossier, l’UE démontre que l’utilisation de la puissance douce peut faire d’elle un véritable acteur stratégique. Mais elle reste cependant tiraillée entre sa volonté de continuer à développer sa coopération avec Tbilissi et le nécessaire ménagement de Moscou qu’imposent les intérêts géostratégiques. Force est de constater que la pression sur Moscou pour laisser pénétrer l’EUMM dans les Etats autoproclamés indépendants est faible. On ne peut cependant qu’encourager les autorités européennes à réclamer plus fermement l’accès à ces zones afin d’établir des rapports qui rendent compte de la situation prévalant de part et d’autre de la frontière administrative. Il faut bien reconnaitre que l’UE tente de ne pas trop se disputer avec la Russie. Et elle a raison. La Russie est redevenue une puissance internationale avec laquelle il faut compter. L’UE, comme les Etats-Unis d’ailleurs, ont besoin de Moscou pour intervenir dans certains grands dossiers internationaux à l’instar du nucléaire iranien ou de l’Afghanistan. La résolution des conflits gelés aux portes de l’Europe ne passera que par une implication de la Russie. Le rapport européen publié le 30 septembre dernier l’illustre bien. Par souci d’apaisement, l’UE avait commandé un rapport sur les origines du conflit d’août 2008.
Les conclusions n’apportent rien de vraiment neuf. Elles tentent de partager les responsabilités entre Moscou et Tbilissi. Le rapport aura coûté 1,5 million d’euros pour ne rien expliquer, juste apaiser les deux parties. Au-delà de s’interroger sur qui a commencé à tirer le premier, l’UE aurait sans doute gagné à analyser le rôle qu’elle a joué dans ce conflit, ou plutôt, son absence de rôle avant l’éclatement de ce dernier. Une opération ambitieuse comme l’actuelle EUMM ou la médiation rapide orchestrée par la France après cinq jours de conflits n’auraient-elles pas pu intervenir en amont du conflit pour tenter de l’éviter ?
Face à la situation prévalant en Géorgie aujourd’hui, on ne peut que plaider en faveur d’un statut de neutralité politique et militaire pour ce pays. Malgré les difficultés de parvenir à un tel statut, seule la neutralité paraît apte à mettre fin aux violences et de créer les conditions propices aux futures négociations. Celles-ci devant, à terme, mener à une résolution durable et définitive du conflit.
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