L’intégration européenne doit-elle passer par la Justice ?

, par Charles Nonne

L'intégration européenne doit-elle passer par la Justice ?
Viviane Reding, vice-présidente de la CE chargée de la Justice, des Droits fondamentaux et de la Citoyenneté http://ec.europa.eu/avservices/index.cfm?sitelang=fr

Alors que la justice est l’un des domaines pour lesquels les citoyens souhaitent le plus d’Europe, la crise économique et la gestion des dettes européennes a relégué au second plan la plupart des ambitions progressistes pour la coopération judiciaire et policière européenne. Pourtant, la gestion de la criminalité organisée, du terrorisme et d’un très grand nombre d’infractions n’aura jamais revêtu une dimension aussi européenne qu’aujourd’hui. C’est notamment par des initiatives concrètes en matière de justice que l’Europe protectrice, tant attendue par les Européens, pourra faire ses preuves.

La coopération judiciaire, une nouvelle réussite de la méthode « des petits pas » ?

La coopération judiciaire entre les États européens n’aura pas attendu la naissance de l’Europe communautaire pour se développer. Depuis plusieurs siècles, les services de police en Europe collaborent activement dans leurs activités de lutte contre la criminalité organisée et l’immigration clandestine. Si l’Europe n’a connu aucun saut fédéral en la matière, les initiatives se sont multipliées dans un souci d’efficacité et de cohérence. Le Conseil de l’Europe puis l’Union européenne ont mis en place des institutions ambitieuses de coopération en matière civile et pénale. Plusieurs tentatives d’harmonisation des législations nationales ont pu déboucher sur des résultats notables, notamment en matière de répression des activités terroristes. L’approche européenne de ces questions a longtemps permis de concilier souveraineté des États et gestion commune de certaines problématiques.

L’Europe de la sécurité et de la justice connaîtra un véritable essor à partir de la signature des accords de Schengen en 1985. A partir de ces accords, une coopération sans cesse plus étroite permettra de développer l’échange d’informations, la formation d’enquêtes communes et la prévention de la criminalité transfrontalière entre les pays européens les plus volontaristes en la matière. Les cinq États ayant souhaité coopérer dès l’origine seront rapidement rejoints par la plupart de leurs partenaires. Plusieurs agences seront alors mises en place pour favoriser ce dialogue et cet échange européen ; Eurojust et Europol en font partie. La constitution d’un espace judiciaire européen ne sera plus une utopie, mais deviendra un véritable objectif.

Domaines régaliens, problèmes transnationaux

Du reste, beaucoup de progrès restent à faire pour que naisse un réel espace européen de liberté, de sécurité et de justice. La possibilité de condamner les auteurs d’infractions, de contrôler les frontières et de prévenir la commission de crimes terroristes a toujours été l’un des principaux prés-carrés des États, soucieux d’asseoir leur souveraineté de manière uniforme sur leur territoire. C’est donc très logiquement que les différents gouvernements européens renâclent à abandonner leurs compétences à l’Union européenne ; depuis les débuts de la coopération judiciaire, plusieurs États – et notamment le Royaume-Uni et le Danemark – ont résolument freiné toute procédure par laquelle Bruxelles pourrait leur imposer des réformes structurelles.

En effet, de nombreux chantiers restent inachevés, voire inexploités. Les agences de coopération au niveau européen restent encore trop faibles pour initier une véritable harmonisation des pratiques et une mutualisation des moyens. Les structures de collaboration entre les policiers et les juges européens s’empilent sans qu’une véritable volonté réformatrice ne soit encore parvenue à les simplifier.

Pourtant, il semble que les dirigeants européens aient pris conscience de la nécessité de traiter davantage de problèmes liés à la justice au niveau européen, et non plus par une simple coopération entre États. Depuis plusieurs décennies, toute personne entrée ou vivant sur le territoire de l’Union européenne peut librement se déplacer d’un État à un autre, sans subir le moindre contrôle : comment pourrait-on concevoir que des criminels puissent librement franchir les frontières et que des procureurs et des policiers se voient refuser cette possibilité ? L’Europe a pris conscience, depuis 2001, qu’elle était devenue l’une des cibles privilégiées des réseaux terroristes ; elle en a fait la douloureuse expérience en 2004 à Madrid, puis en 2005 à Londres. Sans unification des services de renseignement et une mise en commun de certaines informations, la lutte contre le terrorisme ne saurait être pleinement efficace.

Certes, les premiers pas ont été faits. Depuis 2002, un mandat d’arrêt européen permet de simplifier les poursuites des criminels les plus graves. Le traité de Lisbonne ouvre la voie à la création d’un parquet européen. Les anciennes procédures applicables dans le domaine de la justice, complexes et incompréhensibles pour le citoyen, ont été nettement simplifiées. Cependant, l’Europe doit encore se saisir des capacités qui sont les siennes pour traiter à la bonne échelle des problèmes qui dépassent largement les pouvoirs d’un État isolé.

Avec la création de la Cour européenne des Droits de l’Homme, l’Europe des droits a connu des avancées fondamentales en quelques années d’existence. L’Europe de la Justice, quant à elle, doit encore déployer son potentiel. Si les gouvernements et les dirigeants européens parviennent à surmonter les tentations populistes et à progresser dans l’intégration judiciaire, les citoyens européens pourront constater que l’Europe de la liberté peut également être une Europe protectrice.

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