L’intergouvernementalisme, fléau européen

, par Ferghane Azihari

L'intergouvernementalisme, fléau européen
Photo du Conseil européen, 11/2012 © Services audiovisuels de la Commission européenne

Cela fait déjà 60 ans que le projet européen a vu le jour, le traité CECA étant entré en vigueur en 1952. L’objectif n’était pas maigre souvenez-vous ! Réconcilier les « ennemis héréditaires », éradiquer l’ultranationalisme, réconcilier les peuples en fusionnant les sociétés. Tels étaient les objectifs du système fonctionnaliste, qui par l’intégration par le droit, devait à terme selon les pères de l’Europe amener le continent à se constituer en fédération. L’ultime finalité était la suivante : faire du vieux continent qui avait fait de la guerre un élément de culture un espace de paix, de prospérité sociale et de progrès démocratique.

L’objectif est-il atteint ?

Tout est relatif. Certes le spectre de la guerre infra-européenne a été vaincu, chose récemment récompensée par l’octroi à l’union du prix Nobel de la paix. Mais paradoxe, celui-ci a été reçu sur fond de tensions et de divisions sur le budget européen en même temps que la crise a sévèrement abîmé la crédibilité et la popularité du projet. Il faut pour s’en rendre compte observer l’émergence des nationalismes xénophobes en Grèce, en Espagne ou encore en France en même temps que l’euroscepticisme gagne du terrain un peu partout.

L’Europe est de nouveau confrontée à ses vieux fantômes mettant ainsi en danger tout ce qu’elle a construit. Certes la conjoncture politico-économique y est pour quelque chose mais elle n’est pas la seule responsable. L’Europe souffre de véritables problèmes structurels qui vont d’une part directement à l’encontre de ses idéaux démocratiques et sociaux et d’autre part contre toute considération pragmatique.

L’intergouvernementalisme, un frein au pragmatisme et à l’idéologie. Le problème structurel majeur : l’intergouvernementalisme. Ce dernier pose des problèmes à la fois idéologiques et pragmatiques. Idéologique car il contrevient à la notion de démocratie : l’’unanimité des Etats se trouve privilégiée dans les domaines les plus cruciaux de la politique européenne face à la peur de ces derniers de voir leurs intérêts purement nationaux lésés. De plus le fonctionnement de ce système est conditionné par les rapports de force interétatiques excluant toute prise en compte de l’opinion européenne censée être représentée par le Parlement. Ce système n’a donc aucune chance de susciter un vif engouement des peuples pour les affaires européennes. En effet bien que l’Union est une organisation unique en son genre en ce qu’elle jongle entre supranationalisme et intergouvernementalisme, c’est ce dernier mode qui est encore privilégié et bien qu’il reste inhérent à la condition de l’UE qui n’est qu’une organisation internationale composée d’Etats souverains, les ambitions institutionnelles qu’elle affiche doit conduire à dépasser ce stade.

Que se passe t-il au sein d’un processus intergouvernemental ?

Tous les États sont égaux mais pour reprendre la formule de George Orwell « certains le sont plus que d’autres ». Le fonctionnement de ce système est conditionné par des facteurs purement diplomatiques et non démocratiques où la règle du plus fort (en général le plus riche) l’emporte au détriment des principes majoritaires et pluralistes inhérents à la démocratie. On comprend alors qu’il règne au sein du Conseil de l’Union européenne une culture du secret diplomatique puisque une partie non négligeable des séances au sein de cette institution n’est pas ouverte au public. C’est une calamité quant à la transparence de l’organe qui a vocation à devenir la Chambre Haute du système bicaméral européen. Une attitude aussi désinvolte qui frôle le mépris ne peut qu’engendrer la montée de l’euroscepticisme. Quelle légitimité au couple franco-allemand, à l’Allemagne seule ou au Royaume-Uni d’imposer leur vision à un continent peuplé par plus de 500 millions d’habitants ? En quoi un tel fonctionnement peut animer un certain appétit pour l’Europe chez un lituanien, un tchèque ou encore un français ? Si certains Etats, certains partis politiques, certaines personnalités nationales se disent pro-européens l’hypocrisie tient à ce que ceux-ci n’ont malheureusement qu’une vision purement nationale de l’Europe, excluant toute considération de l’intérêt européen. On le voit quand les principaux partis politiques européens ne sont en fait qu’une juxtaposition des intérêts nationaux qu’on essaye de concilier. On le voit lorsque les 27 chefs d’Etat et de gouvernement ont du mal à se mettre d’accord sur un budget qui équivaut à 1% du PIB lorsqu’il avoisine les 30% aux Etats-Unis.

Un fossé qui se creuse entre gouvernants et gouvernés.

Un dialogue à reconstruire

Le résultat est sans appel : moins de 43 % des électeurs européens se sont déplacés pour aller voter lors des dernières élections européennes. Seuls les pays où l’abstention est réprimée affichent des taux “honorables”. C’est par exemple le cas de la Belgique et du Luxembourg qui ont respectivement des taux qui avoisinent à chaque fois 90%. Dans les pays de l’est, les résultats sont affligeants : 20.1 % en Lituanie, moins de 20% en Slovaquie. Dans cette partie du continent, seule la Lettonie fait figure de bon élève avec toutefois de la modestie puisque le taux n’était que de 52,6 % . Dans les médias, les institutions européennes sont inexistantes et ce cercle vicieux, cette tendance ne changera pas tant que le mode de gouvernement restera le même. Les Etats ne le savent peut-être pas mais s’approprier l’Europe pour servir uniquement ses intérêts nationaux, telle est la vision qui conduira à la destruction de l’Union. Cette vision doit impérativement être transcendée au profit de la prise en compte de l’intérêt européen quitte à ce que certains de nos intérêts nationaux les plus immédiats soit à court terme lésés. C’est par exemple le cas de la perte de la souveraineté à l’échelle des États-nations (en supposant qu’elle n’ait pas déjà de facto disparu au profit de l’hégémonie des marchés). Mais si l’on regarde sur le long terme, ce que nous sommes incapables de faire aujourd’hui, on a tout à gagner à une Europe souveraine puisque contrairement à ce que différentes nations perçoivent encore avec difficulté, l’intérêt européen n’est pas incompatible avec l’intérêt national. Ce dernier sera même le corollaire du premier.

On l’a encore vu durant cette crise. Les institutions dites supranationales ont totalement été marginalisées. Que l’on parle du Parlement ou de la Commission. Cette ignorance peut même s’assimiler à un mépris et une humiliation de la part des États-membres. Il n’est dans ces conditions pas surprenant qu’un sentiment de répulsion ait vu le jour en Grèce où ailleurs car les décisions prises n’avaient tout simplement aucune légitimité démocratique. On se souvient de cette série de réunions bilatérales entre la Chancelière allemande et le Président français pour décider du sort de la Grèce dans la zone euro...sans les autres partenaires... et sans la Grèce ! Certes l’Etat héllenique avait commis de nombreuses erreurs, certes la pression venaient à la fois de la situation budgétaire du pays et des marchés et certes le fonctionnement de l’administration était en total décalage avec les nécessités les plus impérieuses et qu’il fallait dans ces conditions de grandes réformes. Mais la nation grecque n’a nullement, ou très mal si l’on veut être plus clément, été associée à la prise de décisions qui se sont avérées brutales et douloureuses, son sort ne dépendant que des “Etats moteurs” de l’Union qui ont cruellement manqué à leur devoir de communication et de pédagogie d’autant plus quand on sait que les discussions qui ont permis l’octroi d’une aide à la Grèce ont été d’une lenteur calamiteuse, ce qui a conduit à beaucoup de retard dans les prises de décision et donc une aggravation de la situation.

Même si une forme de succès peut être envisagée en ce que les marchés européens sont désormais plus calmes, celui-ci doit impérativement être relativisée en ce que l’Europe a failli à sa mission de maintien de la paix sociale. Disons le sans détour, il n’y aura jamais de projet européen sans l’adhésion des peuples. Et le maintien du statu quo alimente un scepticisme qui ne fait que diminuer les chances pour celui-ci de voir le jour et cela de plus en plus au fur et à mesure qu’il perdure. L’intergouvernementalisme donne à l’européen lambda l’impression légitime et justifiée qu’il ne s’appartient pas. La démocratisation de l’Europe sera sans doute l’unique enjeu impérieux pour la constitution d’une Europe politique forte au sein d’une mondialisation qui s’avérera intransigeante envers nous. Seule cette démocratie pourra servir de pilier pour l’Europe future et seule l’éradication de l’intergouvernementalisme au profit du supranationalisme rendra cette démocratisation possible. En effet le supranationalisme tendrait à donner plus de pouvoir aux institutions telles que le Parlement et la Commission au détriment du Conseil de l’Union et du Conseil européen. Ainsi la politique européenne serait moins conditionnée par le principe “un euro, une voix” et considérerait l’ensemble des Européens avec beaucoup plus d’égalité.

Europe intergouvernementale, Europe qui fonctionne mal

Mais outre les considérations idéologiques, il est aussi question de pragmatisme. L’Europe telle qu’elle fonctionne aujourd’hui n’a aucune chance de s’affirmer en tant que puissance politique et diplomatique. Le monde est en train de bouger à une vitesse hallucinante et l’Europe demeure encore un spectateur. Il suffit de constater le silence radio qui règne lorsqu’on parle des dossiers les plus important à l’échelle planétaire : rien en ce qui concerne les révolutions arabes et encore moins en ce qui concerne le conflit israélo-palestinen. Une unité impossible à construire démontrée par un éclatement de l’Union sur la question de la Yougoslavie, sur la question de l’Irak et plus récemment une désolidarisation sur la question du mali, comportement irresponsable de la part des dirigeants qui prennent le risque de voir s’installer un Afghanistan 2.0 juste à leurs portes, la faute à un système toujours aussi inefficace qui exclut toute possibilité de prendre des décisions. Les représentants d’une nation ne sont jamais unanimes pour traiter un problème, même s’il est diplomatique. Cette recherche de l’unanimité en Europe ne s’accompagnera que d’un immobilisme toxique. Il faudra ainsi comprendre que le supranationalisme sera la condition sine qua non pour que l’Europe puisse parler d’une seule voix, quitte à ce qu’elle suscite des désaccords internes. Les critiques portées sur le plan interne sont analogues : l’Europe est dépourvue de stratégie , de vision globable.

Ce mode de gouvernement condamne sa politique à se contenter d’approches sectorielles en total décalage avec les nécessités du XXIème siècle. Ainsi même en l’état des choses, des aménagements sont possibles afin de remédier à ce fonctionnement atemporel : donner plus de pouvoirs au Parlement notamment vis-à-vis de la Commission ; donner plus de pouvoir à cette dernière pour ne plus faire d’elle seulement une instance administrative mais aussi une institution dotée de réels pouvoirs politiques ; la rendre indépendante du Conseil européen notamment en ce qui concerne son établissement et revenir aux règles classiques du parlementarisme ; effacer progressivement le rôle du Conseil européen dont l’institution par le traité de Lisbonne paraissait inopportune voire réactionnaire ; augmenter le nombre de domaines où l’on décide à la majorité absolue au lieu de la majorité qualifiée au sein du conseil de l’Union ; toujours dans la même institution faire dépérir l’unanimité au profit de majorités qualifiées ou mieux absolues ; rendre public toutes les séances et faire de la transparence une règle sanctionnable ; faire de cette même institution une instance plus indépendante des Etats membres en instituant un lien analogue au mandat représentatif et non impératif entre les gouvernements et leurs délégués, changer les règles de scrutin et faire pression sur les partis politiques pour arriver à des listes paneuropéeunnes lors des élections.

Nul doute qu’en plus du gain de légitimité, on gagnerait en efficacité, chose rare en politique où la conciliation entre idéologie et pragmatisme se trouve être la dialectique la plus fréquente.

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