La Commission a t elle une responsabilité dans la crise de l’euro ?

, par Nicolas Delmas

La Commission a t elle une responsabilité dans la crise de l'euro ?

Dans la conférence donnée pour les Master 2 Droit de l’Union européenne et Contentieux Européens, le directeur du Service Juridique de la Commission européenne, Ben Smudlers, a choisi pour sujet le recours en manquement avec la crise de l’euro. Analysons alors le rôle joué par la Commission dans cette crise et contre cette crise.

Aujourd’hui, tout le monde sait que la Grèce avait depuis longtemps trafiqué ces comptes publics. Or, contrairement à ce qu’a avancé Monsieur Smudlers, la Commission était informée d’une réalité au moins partielle de la situation grecque.

Depuis l’arrivée de Monsieur Barroso comme président de la Commission, cette institution suit une politique d’infraction mesurée. Si le nombre d’États membres a doublé depuis 2004, le nombre d’infractions a été divisé par deux. Évitons toute erreur d’appréciation : non, les États membres ne respectent pas plus le droit de l’Union européenne qu’avant. La Commission Barroso prône la coopération, et non la confrontation avec les États membres. Il suffit de se rappeler de la politique française à l’égard des Roms qui en dépit de protestations officielles n’avait jamais entraînée de poursuite de la part de la Commission. Or, on constate que c’est justement en voulant éviter la fermeté qu’elle a favorisé un relâchement général, qui s’apparente aujourd’hui à une relâchement coupable.

Dès lors, une question se pose : l’absence d’utilisation des recours par la Commission n’a-t-elle pas aussi contribué à la crise de l’euro et des dettes souveraines ?

En effet, bon nombre d’États membres ont appliqué plus que souplement les critères de Maastricht sans que la Commission n’ose formellement les poursuivre. En voulant éviter de poursuivre les grands États, n’a-t-elle pas aussi donné un blanc seing à ceux qui n’appliquaient pas ces critères ? Sans mettre tout sur la tête de la Commission, n’a-t-elle pas aussi joué un rôle dans cette crise ?

Le rôle contrasté de la Commission européenne :

Si l’euro est devenu une réalité, il le doit notamment à un homme, président de la Commission européenne à l’époque, Jacques Delors. Aujourd’hui, on le qualifie souvent de « père de l’euro ». C’est fort de cet activisme en faveur d’une monnaie unique par son président que la Commission européenne a pu obtenir de nombreuses prérogatives et responsabilités dans ce domaine. Pourtant, si de nombreux États, comme la France, appellent à une « gouvernance économique » (une (ré)appropriation par les États de la monnaie), la Commission a joui durant longtemps d’un certain monopole.

Ce monopole s’explique en premier lieu par les deux tâches constitutionnelles principales qui sont dévolues à la Commission : elle initie la législation et elle est gardienne des traités. Ces deux pôles interrogent naturellement sur les raisons qui ont poussé les pères du Traité à réunir ces deux tâches au sein de la même institution.

La première renvoie à une mission éminemment politique (dans le sens qu’il s’agit de détenir une partie du pouvoir de faire la loi), mission qui s’explique par l’intérêt général de la Communauté qu’est censée incarner la Commission. Elle implique la proposition constante d’actes législatifs qui doivent obtenir l’assentiment d’une majorité d’États membres (moyen pour les États de conserver une part du pouvoir) et du Parlement européen, tout en préservant l’intérêt de l’Union.

Or, les États membres n’acceptent évidemment de légiférer que sur les sujets où ils y trouvent leurs intérêts. Il semble parfois difficile, voire impossible, de satisfaire les divers intérêts en jeu. La Commission se retrouve bien souvent prisonnière des souhaits des États. En effet, la Commission n’a pas intérêt à proposer des législations qui n’ont pas le soutien a priori des États. Or, l’un des domaines les plus touchés fut la matière monétaire sur laquelle les États membres se montrèrent très réticents à avancer, voulant éviter plus d’intégration. Le crédo : « pas de législation dans ce domaine à tout prix », mais finalement, à quel prix ?

La deuxième consiste à protéger le Traité. Monsieur Smudlers y voit une "activité technocratique, impartiale." Il apparait pourtant que cette analyse n’est pas des plus rigoureuses. En effet, cette mission est aussi politique (dans le sens où il s’agit de sanctionner la non-application de la loi). Elle doit contenir compte des intérêts en présence. C’est pourquoi la Commission est seule décisionnaire sur l’opportunité d’agir ou non. C’est certes une épée de Damoclès qui peut s’abattre sur les États, mais cette épée ne s’abat pas toujours. Pourtant, le recours en manquement demeure une arme puissante pour obliger les États à se conformer à leurs obligations.

Ce recours a d’ailleurs bénéficié de profondes réformes afin d’optimiser son efficacité. Ainsi, l’Angleterre était dérangée par la situation de l’époque : malgré sa relation mitigée avec la Communauté, elle respectait davantage le droit de l’Union que de l’Italie qui se prétendait europhile. Elle a donc initié un mouvement afin d’établir des sanctions pécuniaires (amende et/ou astreinte) en cas de non-respect par l’État de ses obligations découlant du droit de l’Union. La France a déjà versé plus de 500 millions d’euros suite à cette procédure. Pourtant, il est facile de voir l’inanité d’une telle procédure dans la matière monétaire. En effet, comment peut-on sanctionner pécuniairement un État qui a déjà du mal à garder un déficit mesuré ? Par ailleurs, il est inenvisageable de priver totalement un État de droit (de vote notamment) sous prétexte qu’il ne s’est pas conformé aux critères de Maastricht.

Le Traité de Lisbonne prévoit une procédure accélérée en cas de non-transposition de directives. C’est certes un plus, mais c’est toujours insuffisant.

L’absence de la Commission européenne

La Commission rechigne souvent à poursuivre les "grands" États membres de l’Union afin de pouvoir garder leur soutien. Il semble sur ce point difficilement conciliable que la Commission puisse toujours être l’initiatrice de la législation européenne et gardienne des traités. Le risque est manifestement grand que les États fassent payer l’exercice de sa seconde mission, en bloquant sa première. Sur l’euro, la France et l’Allemagne qui ont toutes deux connu un dérapage de leurs comptes publics n’ont fait l’objet que de remontrances officielles avant de se voir bien vite sacrifiées sur l’autel des promesses de bonne coopération. Aujourd’hui, l’opportunité donnée à la Commission n’en est plus une, tant la Commission a perdu de son poids vis à vis des États membres. Il est nécessaire de trouver un autre organe, plus à même de poursuivre les États.

Peut-on imaginer pour autant donner le pouvoir directement aux agences nationales qui seraient saisi sur la plainte des particuliers ?

Malheureusement, cette solutions ne prête pas plus à satisfaction puisque celles-ci ont souvent des liens de dépendance avec leurs gouvernements et disposent de ressources limitées. Quant aux juges, Monsieur Smulders considère que "le juge ne dispose pas d’assez de connaissances en droit de l’Union". Ce fut longtemps vrai pour une partie des juges garnissant la Cour de justice de l’Union européenne qui étaient désignés par les États membres sans aucun contrôle sur leurs compétences. Désormais, un comité de sélection a été mis en place et n’a pas hésité à écarter les candidats proposés. Monsieur Smulders paraît vouloir protéger davantage les prérogatives de son institution que d’écarter sérieusement cette hypothèse.

Si Monsieur Smulders s’est satisfait du Traité à 25 pour renforcer la discipline budgétaire et du rôle dévolu à la Commission pour garantir le respect du Traité, nous devons être particulièrement vigilants. En effet, bon nombre de personnes demeurent dubitatives sur ce nouveau traité, non pas tant sur le fond (qui n’est pas l’objet de ce sujet), que sur le forme. En effet, à quoi bon un nouveau traité alors que les règles actuelles ne sont pas appliquées ? Au lieu de persister dans l’inflation législative, il faudrait tâcher d’appliquer et de faire respecter les normes existantes, souvent suffisantes, mais peu, voire pas employées.

Gageons et espérons qu’aujourd’hui, la Commission aura tiré les leçons de la crise. Point d’Europe, sans une Commission forte, garante et gardienne des traités.

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