Droit du travail

La Flexisécurité et la modernisation du droit du travail dans l’Union européenne : quelle sécurité ? (I)

, par Julien Rossi

La Flexisécurité et la modernisation du droit du travail dans l'Union européenne : quelle sécurité ? (I)

Alors que la Commission européenne a une compétence réduite en matière sociale, une initiative sur la modernisation du droit du travail très différent suivant les pays en Europe, à travers une réflexion sur la flexisécurité est apparu très audacieuse. En France, le débat est épineux en raison de l’attachement au modèle traditionnel de protection sociale. Faisons le point.

Une Commission désarmée

En effet, si l’on s’en réfère à l’article 137 du Traité instituant la Communauté européenne (TCE), la Communauté soutient et complète l’action des Etats membres en ce qui concerne la protection sociale des travailleurs, la co-gestion des intérêts au sein des entreprises, la modernisation des systèmes de protection sociale. A cette fin, le Conseil en tant qu’émanation des Etats membres, peut adopter des mesures visant à encourager la coopération interétatique dans ces matières par le biais d’échanges d’informations, du développement des meilleures pratiques, de la promotion d’approches novatrices et de l’évaluation des expériences. Toutefois, aucune mesure d’harmonisation des systèmes de protection sociale ou du droit du travail ne peut être adoptée.

Dans ce domaine, le rôle de la Commission européenne apparaît réduit. Elle a pour tâche selon l’article 138 TCE, de promouvoir la consultation des partenaires sociaux au niveau communautaire et peut adopter toute mesure utile pour faciliter le dialogue social. Elle peut en ce sens présenter des propositions dans le domaine de la politique sociale en consultant en amont les partenaires sociaux sur l’opportunité d’une action au niveau communautaire et sur son contenu éventuel, consultation qui peut déboucher sur un accord de niveau européen. Enfin, en vertu de l’article 140 du Traité, la Commission peut encourager la coopération entre les Etats membres et faciliter la coordination de leur action dans tous les domaines de la politique sociale, et notamment l’emploi, le droit du travail et les conditions de travail.

A priori donc, la Commission ne dispose que de compétences subsidiaires dans l’élaboration de la réglementation du travail et les Etats membres demeurent souverains en la matière.

La flexisécurité a pour but d’aménager les relations de travail au sein des entreprises en adaptant les contrats de travail au marché de l’emploi. Indubitablement, cette réflexion a un impact direct sur le droit du travail et les systèmes de protection sociale nationaux. Tout naturellement, il s’agit donc pour la Commission de saisir les particularismes nationaux en la matière afin de stimuler une convergence des règles afin d’améliorer la situation de l’emploi dans le Marché intérieur. La flexisécurité est l’une des solutions à cet enjeu et la réflexion est née fort logiquement des Etats membres eux-mêmes.

Petit tour d’Union de la « Flexisécurité »

En effet, le concept de flexisécurité n’est pas une création communautaire mais l’application au niveau communautaire d’expériences réalisées dans certains pays membres au système de protection social minime et qui commencent à se répandre. Il repose sur une combinaison entre la flexibilité exigée par les entreprises et un niveau élevé de protection sociale des travailleurs. La réflexion lancée par la Commission vise donc à concilier les nouvelles formes flexibles du travail avec un minimum de droits sociaux. Les formes de flexisécurité sont multiples. Sans être exhaustif, il est possible d’examiner certaines de ces conceptions.

- Le modèle Danois, une méthode originale, une réussite contestée

Le fameux modèle scandinave dont les mérites sont si souvent vantés mais jamais appliqués en raison de l’impossibilité économique et sociale de le transposer dans les autres Etats membres, est précisément à l’origine du concept de flexisécurité. Au Danemark, elle allie une liberté totale de licenciement pour les entreprises à un contrôle étroit des chômeurs et une protection importante des demandeurs d’emploi. Le système est fondé sur un fort taux de syndicalisation chez les travailleurs et une acceptation de la fiscalité élevée par les entreprises et les citoyens.

Le fondement de cette approche réside dans un accord en amont entre les parties antagonistes au contrat de travail. L’acceptation de cette flexibilité ne vit qu’à travers l’offre de sécurité faite au travailleur. Face à une liberté totale de licenciement, l’Etat et les employeurs offrent notamment, un soutien financier, une aide et un accompagnement dans la recherche d’emploi combinés à un contrôle sévère des chômeurs et éventuellement à une formation tout au long de la vie. L’accord repose sur une négociation entre partenaires sociaux réellement représentatifs, avec des responsabilités clairement définies incombant aux parties et à l’Etat providence.

De nombreux débats subsistent sur la réalité du succès danois, certains mentionnent le fait qu’aucune baisse réelle du chômage n’a été constatée au Danemark, et que l’impact de cette flexisécurité n’est visible qu’en raison de la réduction de la durée des périodes de chômage. D’autres avancent que ce sont tout simplement les données statistiques qui sont erronées ou mal établies. Il n’empêche que l’approche a semblé séduire de multiples Etats membres à prédominance libérale qui ont cherché à reproduire le modèle. Le Royaume-Uni est ainsi l’un des promoteurs de la méthode que les gouvernants britanniques ont choisi d’adapter à leur système de protection sociale avec une vision minimaliste de l’impératif de sécurité.

- Le Royaume Uni, la flexibilité avant la sécurité

Au Royaume-Uni, l’accent est mis en priorité sur la « flexibilité » du marché du travail britannique qui selon les autorités est à la source de la création d’emploi outre-manche. D’aucuns estiment que cette baisse s’explique par une croissance économique élevée et un mode de calcul du chômage fort discuté en France…

Toujours est-il que la flexibilité du travail est devenu le nouveau credo des autorités britanniques qui s’opposent au fond à toute réglementation concernant le versant « sécurité » du débat. Le Royaume-Uni se place donc en opposition sur le thème de la flexisécurité et souhaite privilégier une approche coordonnée autour d’un échange de bonnes pratiques, non contraignant par nature, qui favorise l’adaptabilité des entreprises.

Comme l’exprimait très spontanément Roger Helmer, député européen britannique, lors des débats organisés sur ce thème par la Commission emploi et affaires sociales du Parlement européen, « la flexisécurité est une illusion. La sécurité et la flexibilité ne peuvent pas aller de pair ». Son homologue travailliste Stephen Hughes était lui, convaincu que la sécurité et la flexibilité du travail pouvait cohabiter « sans que l’un n’empiète sur l’autre ». De son point de vue, il était donc important « d’échanger des bonnes pratiques ».

Echanger de bonnes pratiques ; cela renvoie à une coordination des législations nationales et au mieux, à un recours à la Méthode Ouverte de Coordination, dont les résultats ont été certes positifs en matière d’emploi, mais qui permet sans le dire, d’éviter l’adoption de normes contraignantes en matière sociale.

Une telle solution ne saurait par contre satisfaire les travailleurs français. Le débat sur la flexisécurité semble avoir atteint en France une situation de blocage.

- Les tentatives françaises avortées

Parler de flexisécurité en France, c’est en réalité remettre en cause le système de protection sociale. Le modèle social français, de l’aveu même des syndicats, est en crise institutionnelle et économique. Intriguées par l’expérience Danoise et les succès britanniques, les autorités françaises ont tenté de mener l’expérience de la flexisécurité en France. Sans succès. Le modèle danois est avant tout une création de la cogestion qui forme un tout cohérent. Au-delà de la question de la diversité des réalités économiques et sociales, le « succès » du modèle danois repose sur l’accord indispensable des acteurs économiques et sociaux. Ce consensus, comme l’affirmait Pierre Méhaignerie, dans un rapport déposé à l’Assemblée Nationale sur le marché de l’emploi au Danemark, n’est pas transposable en France où les rapports de force entre les syndicats très puissants et le gouvernement sont particulièrement virulents. Autrement dit, les postulats nécessaires à l’affirmation de la flexisécurité en France n’existent pas.

Contrairement aux britanniques, les deux volets du concept posent problème en France. La flexisécurité peut paraître aux yeux des français, non sans raisons, comme une idée barbare destinée à détruire certains des fondements « culturels » de la protection sociale française.

Elle a fait une entrée fracassante dans le débat public, avec les fameux CNE et CPE, de triste mémoire, qui étaient basées sur l’idée qu’une sécurisation des parcours professionnels reposait désormais sur une flexibilité acceptée des emplois. « Acceptée » voici le dilemme. La flexisécurité ne l’est pas. En France comme ailleurs, elle pose le problème du reclassement et de l’employabilité des travailleurs à la fin de leur contrat. Le CNE et le CPE n’étaient pas adaptés au développement excessif de la précarité et à l’urgence de résorber le chômage. Le mélange de réglementations d’origine conventionnelle (entre les partenaires sociaux) et d’origine étatique que le concept suppose, crée un blocage irréductible qui s’est révélé dans toute son ampleur lors des manifestations de 2006.

La flexisécurité si elle semble aux yeux de certains résorber une part du chômage ou stimuler l’accès à l’emploi ne trouvera pas d’application concrète et acceptée en France à moins de résoudre en amont par la négociation les bases du système. Concernant la flexibilité, les autorités françaises ont souhaité procéder par ordonnance sans procéder à une consultation préalable des partenaires sociaux. Le volet sécurité, qu’il s’agisse de la formation tout au long de la vie, du reclassement, ou de l’aide au retour à l’emploi, est encore à négocier.

Finalement, la flexisécurité repose sur une négociation efficace qui assure une protection sociale élevée en amont, et un marché de l’emploi dynamique. La France ne répond ni au premier volet, ni au vu des statistiques, au second….

Au vu de ces expériences nationales, les tensions entre partenaires sociaux se sont fort logiquement transposées au niveau européen et les instances de représentation de ces intérêts opposés se sont donc confrontées lors des consultations. Cette initiative de la Commission a donc suscité une vive opposition entre les partenaires sociaux européens qui, chacun selon sa paroisse, se sont impliqués dans le débat.

Antagonismes irréductibles

La Confédération européenne des syndicats s’est opposée dès le début à la consultation en raison de l’absence de compétence communautaire en la matière. Elle demandait une implication plus grande des syndicats dans cette approche. Elle considérait en outre, que la flexisécurité ne constituait pas le remède « miraculeux » à l’évolution inquiétante du chômage dans l’Union. Si elle saluait la reconnaissance de la nécessité d’une plus grande protection sociale des travailleurs, elle s’opposait farouchement à la remise en cause du contrat à durée indéterminée. La flexisécurité ne constituait dès lors qu’une volonté de remettre en cause le principe même de la protection sociale, considérée par la Commission comme un « frein » au développement du marché de l’emploi, au détriment d’un droit du travail de qualité qui met la négociation collective au centre de l’élaboration des normes.

Sur le front adverse, les lobbies des employeurs et notamment l’UEAPME, ont déploré l’image négative que la Commission avait transmise à travers sa consultation, des formes flexibles du travail. Ils s’opposaient à toute tentative d’harmonisation implicite du droit du travail. Le souhait de créer de nouveaux instruments permettant le retour de la main d’œuvre qualifiée vers l’emploi a été émis. Certaines propositions visant l’institution des « salaires combinés » qui permettent de rémunérer les salariés sous forme de crédit fiscaux ou de paiements sociaux y ont reçu un accueil favorable. La revendication principale du patronat européen demeure la révision des systèmes nationaux de fiscalité et de protection sociale afin de mieux rémunérer le travail. Ce qui en langage simple signifie réduction des coûts liés au travail et notamment les cotisations aux différents régimes de protection sociale existants.

Toujours est-il que selon les employeurs, la vision de la flexisécurité qui opposerait employeurs et travailleurs, en dressant face à face flexibilité de l’emploi et protection sociale est trop stéréotypée.

La Commission a tiré cependant quelques enseignements de cette tentative qu’elle a explicité à travers une communication du 27 juin dernier. Elle y constate qu’il ne peut exister de modèle de flexisécurité unique transposable à souhait dans tous les Etats de l’Union dans une matière particulièrement liée aux contingences économiques et sociales, qui relève de leur seule compétence.

Mais elle a souhaité conserver un rôle utile en la matière et propose un socle de principes communs sur lesquels les Etats membres peuvent construire une approche individualisée de la flexisécurité.

Cet article a déjà été publié dans nos colonnes le 21 juillet dernier

Illustrations :
 affiche du dernier congrès de la Confédération européene des syndicats (CES) à Séville en 2007
 drapeau du Danemark, issu de Wikicommons
 drapeau du Royaume-Uni, issu de Wikicommons
 illustration du petit guide 2007 de la CFDT “Jobs saisonniers : vos droits ne sont pas en vacances”
 logo de la CES
 logo de l’UEAPME

Mots-clés
Vos commentaires
  • Le 24 novembre 2008 à 11:11, par Flexyboy En réponse à : La Flexisécurité et la modernisation du droit du travail dans l’Union européenne : quelle sécurité ? (I)

    Comment financer la flexisecurité ?

    En obligeant les employeurs publiques a payer leurs cotisations chomage.
     Le secteur publique paye 1 % de cotisation chomage.
     Le secteur privé paye 6,4 % de cotisation chomage.

    Non seulement l’égalité pour la solidarité face au risque du chomage n’existe pas en France puisque il n’ya pas d’égalité dans les cotisations chomages.

    Mais en plus ce sont ceux qui ont la meilleure flexisecurité qui sont le moins solidaire a savoir le secteur publique qui offre la garantie d’un emploi a vie a ses salaries (fonctionnaires).

    Explications sur comment la financer

    Les politiques comme les syndicats qui defendent les interets des fonctionnaires vous ont largement mentit et cache une réalité aussi choquante et honteuse que les régimes spéciaux de retraite.

    Les salariés du secteur privé dans notre pays sont les dindons de la farce. Que les employeurs publiques payent les memes cotisations chomage que le secteur privé et vous verrez y’aura les moyens d’avoir une vrai flexisecurité a la Danoise !

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom