Le point de friction principal concerne l’Alliance atlantique. La Géorgie aspire à adhérer à l’OTAN. Le sommet de Bucarest en avril 2008 a d’ailleurs confirmé les perspectives d’adhésion pour Tbilissi à long terme. Moscou voit d’un très mauvais œil l’élargissement de l’OTAN jusqu’à ses frontières. La Russie continue de nourrir une certaine aversion à l’égard de l’alliance de défense collective. Les actions de Moscou en Géorgie visent à mettre fin aux aspirations « otaniennes » du pays. Les entraînements militaires de l’OTAN non loin de la frontière russo-géorgienne n’ont pas plu aux autorités russes qui ont rétorqué par la tenue d’un programme d’entrainement militaire russe dans le nord Caucase.
Par ailleurs, la Géorgie se situe au cœur d’un carrefour énergétique important. De nombreux hydrocarbures transitent par son territoire en direction de l’Union européenne. Le levier énergétique est devenu un instrument majeur de la diplomatie russe ces dernières années. Nul doute que Moscou tient à maintenir sa position dominante dans l’approvisionnement des pays européens en hydrocarbures. L’actuel projet Nabucco visant à prolonger le gazoduc Baku-Tbilissi-Erzurum via l’Ouest de la Turquie est une tentative de l’UE d’échapper au contrôle de Moscou, lui faisant perdre un moyen de pression important.
Un autre intérêt de type géopolitique concerne l’accès à la mer Noire. L’accès aux mers chaudes est une constante de la politique étrangère russe depuis Catherine II déjà. La Russie ne dispose actuellement que d’une seule base importante à Sébastopol, en Ukraine. L’accord entre les deux États expire en 2017 et Kiev a déjà annoncé qu’elle ne le reconduirait pas. La Russie souhaite disposer d’une plus large bande côtière que celle qui est la sienne aujourd’hui. En maintenant son influence sur l’Abkhazie, elle remplit cet objectif.
En ce qui concerne l’Abkhazie donc, les enjeux géostratégiques sont clairs. L’ouverture vers la Mer noire facilite d’une part l’acheminement des produits pétroliers et gaziers vers l’Europe et pourrait faciliter le démanagement des installations militaires de Sébastopol. Pour l’Ossétie du Sud par contre, les éléments sont moins clairs. A cheval sur la montage, elle permet de contrôler les accès au Sud Causaces. Il s’agit d’une région montagneuse, dépourvue de ressources naturelles. Malgré cela, l’Ossétie du sud reste un levier de déstabilisation important pour Moscou. Les groupes armés et les armes y sont présents en nombre, ce qui en fait un foyer de déstabilisation majeur pour la Géorgie. Par ailleurs, l’Ossétie du Sud possède sur son territoire le tunnel de Roki, le seul qui relie la Géorgie à la Russie. Moscou craint de voir des combattants tchétchènes s’échapper par le massif montagneux du Caucase. C’est d’ailleurs pourquoi la Russie a demandé à Tbilissi de mettre en place un contrôle commun sur cette partie de la frontière. Tbilissi a accepté la proposition. Par contre, Moscou reste sourde à la demande géorgienne d’établir un check point au tunnel de Roki. Même si Tbilisi plaide en faveur d’un contrôle international à cet endroit.
Les relations personnelles peu chaleureuses entre les présidents russe et géorgien est un autre facteur explicatif du conflit. Le Kremlin souhaite renverser cet homme, trop occidental à ses yeux. Moscou a tout intérêt à alimenter les tensions internes en Géorgie. Moscou serait-elle prête à entamer une nouvelle guerre à la frontière ossète dans l’espoir de faire tomber la tête de l’exécutif géorgien ? Se poser la question est légitime. On voit mal quel intérêt a la Russie de résoudre le conflit. Plus la Géorgie est instable, moins elle est attirante pour l’Occident.
Enfin, on ne peut passer sous silence une dimension plus psychologique liée au prestige de la Russie. Depuis la fin de l’Union soviétique, la Russie a perdu de son éclat. Plusieurs éléments peuvent l’avoir humiliée ces vingt dernières années : l’élargissement de l’OTAN à l’est, les « révolutions de couleurs » dans son étranger proche, la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, le projet récemment abandonné d’installation d’un bouclier antimissile en République tchèque et en Pologne, l’élargissement de l’UE aux pays baltes et le développement de voies de transit énergétiques alternatives sont autant d’éléments allant dans ce sens. Bien que l’humiliation ne constitue pas le seul facteur explicatif, il importe malgré tout de le prendre en compte. L’intervention russe en Géorgie l’été 2008 s’inscrit dans un processus de reconstruction identitaire russe. C’était une démonstration de puissance visant à montrer au reste du monde, et aux occidentaux en particulier, qu’elle reste digne de la scène internationale et qu’elle est un acteur avec lequel il faut compter. La Russie s’est montrée capable de réagir promptement et pragmatiquement, quitte à provoquer des effets déstabilisateurs pour ses voisins.
1. Le 14 janvier 2010 à 20:51, par Jakub En réponse à : La Géorgie, un enjeu pour la Russie
Très bien !
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