La crise, l’eurozone et l’intégration politique : le coming out de l’Economist et du Financial Times

Note aux Amis du Traité de Lisbonne n° 344

, par Jean-Guy Giraud

La crise, l'eurozone et l'intégration politique : le coming out de l'Economist et du Financial Times

Les crises font - en définitive - progresser le processus d’intégration politique européenne. Ce phénomène, maintes fois constaté dans la brève histoire de l’UE, va-t-il se reproduire à l’occasion de la crise financière actuelle ? Telle est du moins l’opinion développée par certaines sources, y compris réputées eurosceptiques », comme l’Economist.

Dans deux éditoriaux successifs de « Charlemagne » (J. Rennye) relève que la crise oblige les États à une coordination de plus en plus étroite de leurs réactions à la crise - et que seule l’UE peut protéger les Européens dans ces circonstances.

Dans son édition du 7 février 2009, « Charlemagne » considère que, pour protéger la zone Euro, les institutions et les États membres sont amenés non seulement à coordonner plus étroitement que jamais leurs opérations de sauvetages financiers - voire industriels - mais également à concevoir de nouvelles initiatives non expressément prévues par les Traités et jusqu’ici sur la seule compétence de ces États membres.

Mettre en oeuvre une politique économique commune

Ces initiatives reviendraient - de facto - à mettre en œuvre certains éléments d’une politique économique commune (par exemple, une coordination des politiques budgétaires nationales) permettant à l’Union monétaire de traverser la tempête financière actuelle.

La théorie « fonctionnaliste » du développement de l’intégration européenne (l’intégration acquise dans un secteur entraînant nécessairement celle d’autres secteurs liés au premier) et de son accélération à l’occasion des crises (économiques ou politiques) serait ainsi une nouvelle fois démontrée...

Dans son éditorial du 5 mars 2009, « Charlemagne » énumère les raisons pour lesquelles l’existence même de l’UE rend improbable un renouvellement du scénario des années 30 :

1 « La bonne santé de la démocratie libérale et multipartite. »

2 « Les liens qui unissent les politiques nationaux autour du modèle libéral, libre-échangiste et internationaliste. »

3 « Le consensus sur la nécessité de défendre les droits fondamentaux » et la possibilité de « traduire en justice ou de menacer de suspension » les États violant ces droits.

4 « L’UE prône la solidarité internationale et l’interdépendance. »

5 « L’UE est un compromis permanent entre des intérêts opposés et constitue un rempart contre l’extrémisme. »

« Charlemagne » ajoute : « Cela ne rend pas toujours Bruxelles populaire auprès des électeurs. Mais cela nous rend reconnaissants que l’UE existe. »

"Je renonce à l’euroscepticisme"

Simultanément, dans un article du Financial Times du 3 mars 2009, Gedeon Rachman (ancien « Charlemagne » de l’Economist...) déclare : " Je suis prêt à renoncer à l’euroscepticisme" [1] L’article est intitulé : « L’euroscepticisme est une croyance du passé. »

L’auteur rappelle les raisons qui ont jusqu’ici motivé son euroscepticisme notoire mais déclare que la crise économique (et le changement climatique) l’ont amené à prendre conscience de l’importance de l’acquis communautaire, de la nécessité de préserver notamment le marché unique contre les tendances protectionnistes des États membres.

Il considère que l’UE est le « meilleur exemple de gouvernance internationale » et qu’il revient à « une Commission affaiblie de maintenir le cap face aux gouvernements nationaux pris de panique. » Il conclut en reconnaissant qu’il ressent « une certaine affection protectrice vis-à-vis des eurocrates assiégés dans leurs bastions bruxellois » et que, finalement, « I love Big Brother. »

Il y a décidément quelque chose de changé au royaume de la presse britannique (hors la presse « populaire » bien sûr) dont l’influence sur les dirigeants n’est pas négligeable.

Acceptons l’augure de cette évolution - tardive - qui sera sans doute une contribution notable aux réflexions des responsables européens dans les prochaines semaines lorsqu’ils devront définir - à l’échelle européenne et mondiale - les mesures destinées à faire face à la crise d’abord et à consolider les outils et les structures européennes ensuite.

La rédaction du Taurillon remercie les Amis du Traité de Lisbonne, et Jean-Guy Giraud pour leur travail quotidien d’information. Toutes les archives des notes et brèves des Amis sont consultables sur leur site internet.

Notes

[1« I am ready to retire as a Eurosceptic. »

Vos commentaires
  • Le 13 mars 2009 à 13:44, par krokodilo En réponse à : La crise, l’eurozone et l’intégration politique : le coming out de l’Economist et du Financial Times

    Curieux, ils n’ont rien dit sur les milliards que leur rapporte l’hégémonie de l’anglais dans l’UE, et n’ont pas eu un seul mot de remerciement pour le formidable travail accompli par l’Union comme bénévole du British Council auprès du monde entier. L’ingratitude est la nouvelle vertu anglosaxonne ?

  • Le 13 mars 2009 à 21:07, par Laurent Nicolas En réponse à : La crise, l’eurozone et l’intégration politique : le coming out de l’Economist et du Financial Times

    On peut considérer malgré cela que ce revirement d’éditorialistes importants en faveur de l’idée européenne soit une avancée significative. Certes le FT et l’Economist ne sont pas les journaux les plus lus au Royaume-Uni, et les éditorialistes du Sun ou de News of The World sont encore loin d’évoluer dans le même sens. Mais depuis que les conséquences de la crise se font sentir, les mentalités d’une partie de l’élite économique et politique longtemps crispée sur l’Europe communautaire semble prendre conscience de l’intérêt à être uni dans l’adversité.

  • Le 14 mars 2009 à 10:13, par Jacques Chauvin, Pdt, UEF-France. En réponse à : La crise, l’eurozone et l’intégration politique : le coming out de l’Economist et du Financial Times

    Merci, Laurent, de souligner l’essentiel et d’ignorer les larmes de Krokodilo.

    Peut-être, un jour fera-t-il son « coming out » après avoir étudié l’Europe du XVIIIe siècle, où l’on parlait le français comme aujourd’hui l’anglais (aussi médiocrement, à l’occasion !). Au reste, nous parlons davantage une sorte d’anglais américanisé... au grand dam du British Council.

  • Le 14 mars 2009 à 15:38, par krokodilo En réponse à : La crise, l’eurozone et l’intégration politique : le coming out de l’Economist et du Financial Times

    Trop drôle : pauvre British Council (en fait richissime) qui se désole du mauvais anglais qui sévit partout ! Et le 18e siècle est-il pour vous le sommet de la civilisation, l’idéal à atteindre par l’UE ? Ne pouvons-nous faire mieux, plus équitable ? Nous parlons d’une Europe à deux vitesses, où la GB récolte des milliards (15 à 25 selon le rapport Grin) par l’hégémonie de l’anglais, où nos amis Anglais exigent de nous que nous sacrifions environ 2000 à 3000 heures de notre vie à l’étude de leur langue, tandis qu’eux en récoltent les fruits, se retrouvent en position de force dans toute négociation, privilégiés à l’embauche, disposant de places toutes chaudes à French 24 (télé en anglais généreusement financée par les Français, 160m/an), dans nos écoles comme assistants, engrangeant les pépètes pour certifier le niveau en langues, développant toujours davantage le fructueux biznesse de l’anglais, bombardant les journaux complaisants de publireportages comme ceux-là : http://www.categorynet.com/v2/communiques-de-presse/immobilier/l%92anglais-est-la-langue-de-l%92immobilier-2009031290890/

    http://www.indicerh.net/article.php?sid=6552

    Nous ont-ils pour autant remerciés de subventionner la GB ? Que nenni ; quels drôles d’amis nous avons là...

    Et, cerise sur le gâteau, la diversité des langues est morte dans nos écoles, le choix s’est réduit comme une peau de chagrin, bienvenue à la dictature de l’anglais, imposé aux enfants et aux parents puisque sans choix (sauf quelques rares exceptions). Vae victis, comme disait l’autre, qui avait tout compris de la guerre.

    http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=52714

    Curieux que les médias n’aient pas parlé de cet accord historique entre l’UE et l’Inde, trop révélateur ? Curieux que les médias aient si peu parlé du 112, numéro d’urgence européen sur lequel a récemment communiqué la Commission, sujet qui pourtant concernait potentiellement tous les Européens, pas seulement les politiques et certains métiers. Mais le problème est que tout concourrait à démontrer que les gens ne peuvent communiquer en cas d’urgence que dans leur propre langue, que la vraie langue de l’UE c’est le multilinguisme, la traduction intégrale, en aucun cas l’anglais.

  • Le 14 mars 2009 à 17:39, par Laurent Nicolas En réponse à : La crise, l’eurozone et l’intégration politique : le coming out de l’Economist et du Financial Times

    Il n’est pas intellectuellement sain de ramener toute problématique, toute l’actualité à un seul enjeu. C’est bien souvent le mode de fonctionnement des extrêmes. La domination de l’anglais, le fait de ne pas avoir d’assemblée constituante en Europe, la règle de l’unanimité (etc.) sont des sujets instrumentalisés par des activistes qui brouillent les pistes de la réflexion.

    Passer tous les sujets par un prisme d’analyse unique ne permet pas de les aborder chacun dans toute leur complexité. Ici, en l’occurrence, il n’y a pas lieu de parler de multilinguisme, de domination de l’anglais. Cette note très intéressante montre l’évolution des mentalités d’une partie des élites anglaises en faveur de l’idée européenne. Point.

    Krokodilo, considérez ce message avec attention. Votre activisme a des limites. La cause que vous défendez, la lutte pour le multilinguisme, pour l’espéranto, et contre la domination de l’anglais en Europe, intéresse particulièrement les lecteurs du Taurillon. Pour preuve, nous publierons dans la semaine votre article sur le 112 que vous mentionnez plus haut, suite à votre aimable proposition. Vos réactions, votre vision de l’enjeu du multilinguisme, est appropriée et sera appréciée lorsque les sujets s’y prêtent. Mais la rédaction vous serai gré de faire preuve de discernement, afin de ne pas polluer les débats par des réactions volontairement hors-sujets.

    Laurent N. Rédacteur en chef du Taurillon.org

  • Le 14 mars 2009 à 21:07, par krokodilo En réponse à : La crise, l’eurozone et l’intégration politique : le coming out de l’Economist et du Financial Times

    Certes, mais pour reprendre votre expression, j’ai trouvé qu’il n’était pas « intellectuellement sain » de la part de J. Chauvin de ressortir le cliché d’un British Council qui se désolerait du niveau lamentable de l’anglais américanisé, ou d’aéroport. Ce sont là justement des larmes de crocodile, quand on voit quelles sommes et quelles énergies y sont consacrées (stop !). Je préfère de loin votre critique sur le fait que la problématique de l’UE a de nombreux autres aspects, mais je ne peux parler des sujets que je ne suis pas régulièrement, alors que sur celui-ci j’ai quelques arguments et faits précis, trop peu souvent portés à la connaissance du public. Disons alors que mon entêtement est un modeste contrepoids à la timidité des grands médias sur le sujet.

    Pour ce qui est de polluer le débat, il s’agissait juste d’une pique (avant ma réponse à Chauvin), vous remarquerez que le titre parle d’intégration politique, or, la question linguistique n’est-elle pas une part essentielle d’une future intégration, une condition à la naissance d’un espace public, d’une opinion publique ?

    Last but not least, le hasard fait que je suis dans l’actualité, par le tout récent rapport sénatorial Legendre sur le multilinguisme dans l’UE, mais je n’en dirai pas plus, je ne veux pas déranger.

  • Le 15 mars 2009 à 01:44, par Laurent Nicolas En réponse à : La crise, l’eurozone et l’intégration politique : le coming out de l’Economist et du Financial Times

    Vous pouvez commentez des sujets sans être expert, sans les suivre régulièrement. J’en suis un bon exemple. Je suis étudiant, je ne maîtrise pas, et de loin, de nombreux sujets sur lesquels je développe pourtant une argumentation et exprime un point de vue. Votre opinion est la bienvenue, elle ne dérange pas, et quand bien même ! A condition qu’elle s’inscrive dans les termes du débat soulevés par l’article publié.

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