La presse se désintéresse-t-elle de la construction européenne ?

, par Pascal Teisseire

La presse se désintéresse-t-elle de la construction européenne ?

La construction européenne est toujours en chantier (n’est-ce pas d’ailleurs un pléonasme ?) et son bilan demeure difficile à apprécier dans un monde en devenir, ce qui suscite à la fois impatience ou incompréhension, voire rejet. Comment la presse accompagne-t-elle un mouvement aussi complexe ? 

Bien entendu, les médias rapportent les prises de positions de nos politiques. Mais ces derniers brouillent souvent les pistes en prenant à leur compte les succès de la politique européenne, tout en imputant à « Bruxelles » leurs propres erreurs ou manquements. Les chefs d’exécutifs, publiquement favorables à l’intégration, redoutent en même temps la supranationalité et l’abandon de pouvoir qu’elle implique.

Du côté des citoyens, c’est la défiance ! Pourtant, nous gouvernons indirectement par le biais de nos chefs d’Etats respectifs qui composent le Conseil Européen et animent la Commission. En outre, nous élisons directement nos députés au Parlement européen qui, aujourd’hui, débat sur toutes les mesures décisives. Malheureusement, nos représentants sont élus avec une faible participation et, le plus souvent, selon des critères purement nationalistes. On reproche à l’Europe son libéralisme économique ? L’alliance qui prône cette politique est majoritaire au Parlement !

Info ou intox ? L’Europe accusée de tous les maux !

En fait, les contrevérités, en s’accumulant, sèment le doute et le trouble. Au plan commercial, on accuse l’Europe de mal se défendre face à la Chine, alors que les exportations de l’UE vers ce pays ne cessent d’augmenter et que les relations bilatérales ne se limitent pas qu’à cette question. Et les lobbies, ils existent bien… mais comme partout dans le monde auprès de tous les centres de décision. Aussi, des centaines de membres de la Commission (qui en compte 23 600 au total) travaillent en poste hors de l’Union… et tentent aussi d’influer ! Même les institutions culturelles, comme la Chaire Jean-Monnet, organisent rencontres ou séminaires à l’étranger afin de favoriser l’investissement étranger en Europe et les exportations européennes. La Commission aurait voulu imposer des formes aux bananes et aux concombres ?! Il s’agissait juste de définir des calibres. Bruxelles aurait même tenté de « tuer le pompiste français » (sans doute pour favoriser le plombier polonais) : ce fut ici les conséquences d’un retard dans la transposition en droit français d’une mesure, non seulement subventionnée, mais prorogée par la suite. Bruxelles, enfin, se livrerait à la gabegie financière ?! Le budget de l’Union représente à peine plus d’1% du PIB européen. En 2012, l’administration était dotée de 8,3 milliards d’euros, ce qui représente 5,6% d’un budget total de 147 milliards, dont l’essentiel est consacré à des programmes de promotion et d’investissement.

Bien entendu, le débat sur l’Euro revêt un caractère technique, mais il est abordable. La hausse des prix ? C’est surtout le logement qui grève le budget des Français. Et ce sont les mesures favorisant la croissance via l’investissement locatif qui ont engendré spéculation immobilière et inflation des loyers. L’euro fort plomberait nos exportations ?! Mais les entreprises françaises exportatrices, bien que stratégiques, sont très minoritaires et exportent majoritairement au sein de la zone euro. En outre, le gros de notre déficit commercial est du à nos importations d’énergie, payées en dollars et qu’un euro faible renchérirait. Les carburants, par exemple, seraient encore plus chers ! L’euro-fort protège en fait notre pouvoir d’achat. Enfin, si « l’Euroland » était si peu attractif, jamais un groupe militaro-industriel aussi important que le britannique BAE-Systems n’aurait souhaité fusionner avec EADS. En attendant, la Croatie adhérera à l’UE dès le mois de juillet 2013 et devrait rapidement rejoindre la zone euro.

Vulgariser sans caricaturer

Quant à la crise économique, elle doit être distinguée de la crise financière qui l’a précédée et provoquée. Or, cette dernière a été jugulée avec un certain succès grâce à une véritable solidarité européenne et à la mise en place de dispositifs durables, tels que le Fonds européen de stabilité financière (FESF). Pour le reste, Chypre n’est rien comparée à la Grèce ou à l’Espagne. Et ces deux pays, ainsi que l’Italie, lèvent aujourd’hui des emprunts à des taux raisonnables.

Au plan social, on appelle à l’harmonisation des politiques. Mais cela est-il si simple ? S’il fallait, par exemple, combiner le dispositif d’aide au logement britannique, avec les congés parentaux Danois (32 semaines minimum) et la couverture santé/retraite française, les budgets exploseraient ! Et comment gérer les arbitrages, en cas de lissage dans tous les Etats membres ? Les conditions sont-elles réunies dans tous les pays ? Nous manquons évidemment d’études prospectives et comparatives.

Malheureusement, le budget de l’UE est en baisse de 4,5% pour 2013. Les responsables en sont les membres les plus conservateurs, notamment l’Allemagne, la Grande Bretagne, la Pologne, la Suède, ainsi que la Finlande, dont le Premier ministre proposait en outre récemment une relance via une plus grande ouverture du Marché unique, notamment avec les Etats Unis. Les observateurs, ici, devraient analyser de plus près ces jeux d’influence ainsi que les rapports de pouvoir au sein de l’UE.

L’Union serait sous la domination de la RFA ?! L’Allemagne est-elle la seule à faire valoir sa vision ? Elle demeure par ailleurs le plus gros contributeur au budget européen, juste devant la France. Et n’oublions pas qu’Angela Merkel prépare les élections législatives de septembre. Les discussions sont aussi difficiles avec des Britanniques peu enclins au compromis. Leur participation à la vie européenne est effectivement plus faible du fait de leur absence de la Zone euro et de l’Espace Schengen. Concernant la menace de sortie de L’Union, rien n’est écrit, d’autant que la forte imbrication des économies, après 40 ans d’adhésion, pourrait jouer dans un sens comme dans l’autre. Sans doute l’intégration européenne croissante met-elle le Royaume Uni au pied du mur. David Cameron remettra son poste en jeu d’ici mai 2015 et gère « au bluff » la pression de son opinion agitée par l’UKIP (extrême droite britannique présente au Parlement européen). Une issue favorable à l’Union est pourtant envisageable : on peut en effet compter sur le flegme et le pragmatisme légendaires des Anglais, par ailleurs doués d’un humour et d’une faculté à l’autodérision qui aident au questionnement !

L’Europe sert ainsi d’exutoire et de vecteur de communication interne. Il revient à la presse de décrypter ces messages contradictoires, ce qui implique qu’elle doit pouvoir analyser la situation interne de chaque pays membre. En attendant, quid de l’Europe de la défense ? Celle-ci avait été relancée fin 1998 par le couple franco-britannique lors du sommet de Saint Malo. Tony Blair et Jacques Chirac prônaient alors le lancement rapide de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Les Britanniques ont depuis levé le pied, notamment en matière de recherche. Français et Allemands financent actuellement la plupart des programmes, associés tantôt aux Polonais, aux Espagnols, aux Italiens ou aux Suédois. L’Allemagne, toutefois, a fait échouer la fusion BAE/EADS par peur d’être marginalisée dans la nouvelle entité. Le sujet est réellement complexe et très sensible.

Et la faiblesse diplomatique de l’Europe ? Notre « Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité », Catherine Ashton, n’a été élue que fin 2009, et le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) officiellement lancé qu’en 2011. Pour l’heure, la Haute représentante s’efforce de développer les relations bilatérales. Pour le coup, les chefs d’Etats nationaux demeurent des acteurs majeurs, comme le prouvent les questions malienne et syrienne. On peut quand même regretter que les médias ne se pressent pas pour interviewer madame Ashton et relayer ses déplacements.

Enfin, on critique l’Europe élargie aux 27. Il convient au contraire de célébrer le caractère exceptionnel de cette Union, achèvement sans précédent dans l’histoire de l’Humanité ! Car nous partageons une culture commune façonnée dès l’Antiquité et, plus récemment, marquée par les Lumières, les grands écrivains, philosophes, compositeurs et scientifiques que le sol européen a vus naître. Les souffrances partagées sont autant d’éléments fédérateurs, comme le prouve l’amitié Franco-allemande. La social-démocratie, modèle européen, a permis de gérer le difficile après-guerre en apportant paix et prospérité. N’est-elle pas la mieux à même d’harmoniser les politiques et les économies des différents régimes issus du capitalisme et du collectivisme ?

Un projet commun porteur d’espoir ?

Jamais de peuples ne se sont autant parlés et rejoints, et ceci grâce à un système qui repose justement sur la discussion, le compromis, la solidarité et la transparence. La présidence tournante a même permis à des pays minuscules de gérer la destinée des 500 millions de citoyens ! L’intégration se poursuit et la notion de Fédéralisme fait son chemin, soutenue désormais par Le Président de la Commission, José-Manuel Barroso lui-même.

Il suffit, en France, de demander au citoyen lambda ce qu’il pense de l’Europe. Après avoir énuméré ses craintes et tous les poncifs eurosceptiques, celui-ci libérera son sentiment profond : le manque d’Europe. Les Français veulent plus d’Europe. Ils savent au fond d’eux-mêmes que leur pays n’est qu’une puissance moyenne, bien démunie face aux géants tels que les Etats Unis ou la Chine, l’Inde, la Russie et le Brésil (les fameux BRICs).

L’enjeu pour la presse est important : passablement « franco-français », les médias devraient s’efforcer de mieux relayer l’actualité auprès des citoyens et les aider à appréhender l’Union dans sa diversité et sa complexité. Les spécialistes des questions européennes sont encore trop peu nombreux. Il revient aussi aux rédactions de créer des cellules de veille. Sait-on d’ailleurs qu’il existe des représentations de la Commission et du Parlement européens à Paris et à Marseille ? La communication demeure, bien entendu, un défi majeur. Si le Français est une des 23 « langues officielles et de travail », l’anglais s’est naturellement imposé et généralisé.

Comme l’Europe, les médias doivent muter s’ils veulent gagner en efficacité et en crédibilité. Ils ont le devoir de se former tout en accompagnant un système en perpétuelle évolution. Il faut pour cela combattre les préjugés, surtout si l’on veut permettre au citoyen, qui jusqu’ici subit cette Europe, de s’en rapprocher. On peut, pour cela, s’inspirer de la sagesse d’Umberto Eco dans « Le Nom de la Rose » et, faute de savoir où est la vérité, s’efforcer de regarder mieux !

Article publié dans le N°80 d’InterMed (Club de la Presse Méditerranée 06) du mois d’avril 2013

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Vos commentaires
  • Le 19 avril 2013 à 12:02, par ? En réponse à : La presse se désintéresse-t-elle de la construction européenne ?

    Vous avez raison mille fois de prendre la parole et de défendre le projet. Nous sommes trop peu nombreux a l heure actuelle face a la montée de l Euronegativisme a oser prendre fait et cause pour le projet européen. Je serai heureuse que le Taurillon soit présent au débat : « peut on être fiers d être européens » que j organise a la Maison de l Europe le 14 mai et par suite de collaborer cette année sur d autres evenements dans le droit fil. Il faut défendre les couleurs de l Europe en étant lucide sur la crise qui nous secoue et proposer des évolutions...

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