Le coup de poker des sanctions européennes contre l’Iran – Téhéran :« check » ;UE :« all-in »

, par Pierre LISCIA

Le coup de poker des sanctions européennes contre l'Iran – Téhéran :« check » ;UE :« all-in »
Dessinateur : Frep Blog : Crayon de nuit www.crayondenuit.com/

Plus qu’une énième partie sur l’échiquier géostratégique arabo-persique, c’est un véritable coup de poker diplomatique que joue l’Union européenne depuis le 23 janvier de cette année. Pour contraindre Téhéran à mettre un terme aux tentatives officieuses mais avérées de doter le régime islamiste de l’arme nucléaire, les ministres des Affaires étrangères des Vingt-Sept ont décidé de jouer leur tapis en dégainant leur dernière arme économique de dissuasion : un embargo sur les importations du pétrole iranien.

Tout nouveau contrat pétrolier avec l’Iran est désormais interdit et ceux qui sont déjà en vigueur seront annulés à partir du 1er juillet prochain. De même, pour tarir la source de financement du programme nucléaire, le Conseil de l’UE a décidé d’adopter des sanctions sévères contre la Banque centrale iranienne en gelant tous ses avoirs en Europe et en l’interdisant d’y produire ses pièces et ses billets de banque nationaux.

Guido Westerwelle, chef de la diplomatie allemande, explique que par ces mesures, l’Union européenne cherche à « atteindre le cœur du programme nucléaire ». Près de 80% des recettes en devises de l’Iran et la moitié de ses revenus reposent sur les exportations pétrolières. Même si l’embargo prive l’Union européenne de moins de 6% de ses approvisionnements en pétrole, l’Iran serait davantage touché, car l’UE représente près de 20% de ses exportations de brut, ce qui la place au deuxième rang des plus gros clients de Téhéran.

Les Européens espèrent que ces sanctions pousseront l’Iran à la table des négociations, voire même lui feront abandonner son programme nucléaire. Cette ultime tentative des Européens, soutenue très activement par Washington, est justifiée par la crainte de voir Israël se lancer seul dans une opération militaire préventive de bombardement des installations nucléaires iraniennes, comme ce fût le cas en juin 1981 lorsque l’armée de l’air israélienne détruisit le réacteur irakien Osirak. La moindre étincelle dans cette poudrière pourrait enflammer toute la région et y entraîner avec elle le reste du monde. Pour Nicolas Sarkozy, ces sanctions renforcées permettent de préserver la paix en évitant ainsi un engrenage mortel.

Un pari risqué : le bluff de l’Union européenne ?

Pourtant, le pari est risqué. En Europe d’abord, les sanctions ne font pas que des heureux. Si Paris, Londres et Berlin semblent pouvoir tenir l’embargo, la situation n’est pas si simple pour Madrid, Rome et Athènes qui dépendent plus largement du pétrole iranien. Téhéran permettait à la Grèce d’acheter son pétrole à crédit sans garantie, ce qui est un avantage non négligeable quand on connaît la situation financière du pays et quand on sait qu’Athènes importe d’Iran 30% de son pétrole brut et assure également le raffinage de celui destiné aux pays des Balkans. Quant à l’Italie, elle a une créance de 2 milliards de dollars à l’égard de l’Iran, qui doit être remboursée en pétrole, et Rome n’entend pas y renoncer si facilement.

Pour ne pas apparaître encore une fois divisés, les Vingt-sept ont accepté de faire des compromis : un accord de principe sur l’embargo avec une mise en œuvre effective dans six mois et des renégociations en avril pour les États membres en difficulté. Pour pallier le manque d’approvisionnement en pétrole et pour stabiliser le cours du baril, les Occidentaux peuvent compter sur le meilleur ennemi de Téhéran dans la région, l’Arabie Saoudite, également premier producteur de pétrole au monde et allié des États-Unis.

Le pari est risqué car, plutôt que de se coucher, le régime de Téhéran préfère jouer le bluff et ne semble pas être trop affecté par ces nouvelles sanctions. Mahmoud Ahmadinejad le dit lui-même : « A une époque, 90% de notre commerce se faisait avec l’Europe, mais aujourd’hui c’est seulement 10%, et cela fait trente ans que les États-Unis n’achètent pas de pétrole à l’Iran et n’ont pas de relations avec notre Banque centrale (...) Le peuple iranien ne sera pas affecté ». La menace de la fermeture du détroit d’Ormuz est à double tranchant : certes, cela pénaliserait les Occidentaux et engendrerait une flambée du prix du pétrole avantageuse pour l’Iran malgré les efforts saoudiens pour augmenter la production mondiale, mais les Iraniens ont tout autant besoin du détroit que les Occidentaux pour leurs propres bateaux.

Le pari est risqué car les États-Unis et l’Union européenne, malgré tous leurs efforts, ne peuvent pas venir à bout du « diable persan » s’ils ne sont pas suivis par les grandes puissances asiatiques. Les chiffres sont éloquents : sur 2,2 millions de barils de pétrole exportés chaque jour par l’Iran, 1,5 millions sont exportés vers l’Asie. L’Iran n’aura donc pas de problème pour rediriger ces barils facilement vers les pays en développement et importateurs de pétrole, moyennant remises sur le prix du baril contre appui politique et diplomatique. Tant que la Chine, l’Inde et la Corée du Sud ne mettent pas en place un embargo de ce type, l’embargo euro-étasunien risque de peiner à produire les effets escomptés.

Ces acteurs asiatiques ont des besoins énergétiques tels qu’ils ne peuvent se permettre d’interrompre leurs importations iraniennes. Pékin, premier partenaire commercial de l’Iran et premier importateur de pétrole iranien avec près de 550 000 barils achetés par jour en 2011, pourrait même profiter de la situation pour faire baisser les prix. Il est très peu probable que la Chine revienne sur ses positions « non-interférentes » dans les affaires intérieures de pays tiers, mais qu’elle rappelle qu’elle ne suivra que les décisions de l’ONU – qu’elle peut obstruer au Conseil de Sécurité – et non des mesures unilatérales. Seul un revirement radical de la position de Moscou sur le sujet, ou un risque de confrontation militaire imminent pourraient faire bouger Pékin.

Le pari est risqué enfin car même si l’économie iranienne est déjà fragilisée par les diverses mesures de sanctions internationales successives, même avec un taux de chômage de près de 13% et un taux d’inflation à 20%, le nouvel embargo européen risquerait de provoquer un sentiment anti-occidental au sein de la population iranienne qui pourrait renforcer son soutien au régime plus que s’en détourner. En pénalisant les circuits économiques légaux, l’embargo pourrait également renforcer les réseaux parallèles contrôlés par la classe dirigeante et la consolider au détriment de la population. Gardons en mémoire que les révolutions sont souvent le fruit d’une maturation politique interne et rarement celui d’un activisme occidental sophistiqué. Pour preuve, la « révolution verte » de juin 2009 en Iran qui a débuté à la suite de la victoire très controversée de Mahmoud Ahmadinejad aux élections présidentielles, ou encore les « révolutions arabes » du printemps 2011 qui ont renversé des régimes dictatoriaux décennaires.

L’histoire nous dira si les sanctions européennes déclencheront un véritable changement dans la politique du régime iranien, ou si elles ne seront que de nouvelles mesures à ajouter à la liste déjà bien longue des sanctions occidentales contre l’Iran. Maintenant que l’Union européenne a montré toutes ses cartes, la question se pose de savoir quelles seront ses marges de manœuvre si Téhéran persiste dans son entêtement.

Si vous voulez plus d’informations sur Youth Diplomacy, organisation amie du Taurillon, visitez leur site.

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