Le retour au Franc ou l’aggravation de la crise économique

, par Iris Passy

Le retour au Franc ou l'aggravation de la crise économique

Malgré les efforts consentis par tous les acteurs, États comme banques lors du sommet européen du mercredi 26 octobre, on constate encore la lacune criante d’une gouvernance économique contraignante remplaçant les admonestations informelles et ponctuelles d’Angela Merkel, Nicolas Sarkozy et Sylvio Berlusconi.

Au milieu de ces vicissitudes, de nombreuses voix critiques sur l’Euro et sur l’échec de l’Europe politique s’élèvent, se réclamant souvent d’un peuple dépassé par l’Union européenne et pour qui celle-ci n’a pas d’autre sens que celui d’une oppression technocratique abstraite et lointaine.

L’Euro est la manifestation quotidienne de la réalité tangible de l’Europe. Nous manions l’unité européenne un peu plus chaque jour devant la machine à café ou à la boulangerie - et c’est peut être ce qui nous la rend si peu attractive.

On entend souvent : l’Euro, c’est la monnaie des banquiers, des technocrates de Bruxelles. Pas seulement. Récemment, la présidente du MEDEF, Laurence Parisot, a réaffirmé sa position en faveur de l’Euro et du fédéralisme budgétaire. Demandons-nous pourquoi. Si l’Euro était si défavorable à nos entreprises, serait-elle de cet avis ? Qu’en serait-il si nous repassions au bon vieux Franc ?

Où la France sort de l’Euro

Imaginons que la France décide de sortir de l’Euro, pour revenir au Franc. Le retour au Franc est le fruit d’un calcul simple : sortir de la zone euro nous permet de revenir à une monnaie beaucoup moins surévaluée qui nous permettrait de devenir compétitifs. L’idée est de pouvoir dévaluer librement pour vendre moins cher nos produits d’exportation et pour combler le grave déficit de la balance commerciale. Le Royaume-Uni, par exemple, bénéficie d’une meilleure note de la part des banques malgré sa dette élevée : en effet, les observateurs économiques considèrent parfois qu’un pays qui n’a pas l’euro, comme le Royaume-Uni, peut de façon beaucoup plus flexible influer sur le cours de sa monnaie pour faire face aux aléas de l’économie.

Forts de ce constat, pour relancer leur économie, les Français quittent le radeau de la Méduse que leur semble la zone Euro, pour reprendre le gouvernail monétaire. Débarrassés des tutelles de l’Eurogroupe et de la Banque centrale européenne, ils dévaluent leur monnaie. Les marchés anticipent l’éclatement de la monnaie européenne, l’euro a de toute façon considérablement baissé.

Où l’Euro emporte avec lui la solidarité européenne et l’économie française

Or donc, voici nos Français remplissant leurs porte-monnaie de nos bonnes vieilles pièces à l’effigie de Marianne. Le superbe billet de 50 Francs illustré par le portrait de l’auteur du Petit Prince refait son apparition, dans une couleur bleue plus fascinante que jamais. L’économie est prête à rebondir.

Enfin, cela n’a pris que 6 mois pour faire remarcher les planches à billets en Franc, pendant lesquelles les monnaies ont bizarrement cohabité. Et puis les marchés financiers ont été fermés ou contrôlés pendant les 15 premiers jours, en attendant la réintroduction du Franc. Et la conversion des dettes publiques en franc a occasionné une grande fébrilité des marchés, quelques traders ont mis la clef sous la porte pour éviter l’infarctus, ça vaut mieux pour eux –et pour nous. En dehors de cela, la France est parée pour un retour dans le cercle fermé des grandes puissances économiques tel qu’elle l’entend.

On s’aperçoit peu à peu que les salaires ont considérablement baissé, et que le Franc les comprime. De fait, la France est plus compétitive, mais le pouvoir d’achat et les salaires se réduisent drastiquement. Par ailleurs, il est difficile de savoir ce qui prévaudrait : inflation ou déflation ? Si c’est une inflation, clairement, plus aucune entreprise publique ou privée ne pourra boucler un budget prévisionnel correct et il n’est pas sûr que les salaires suivent les prix. Si c’est au contraire une déflation, elle pèsera sur les prix, mais également sur les salaires. La vie n’en sera pas moins chère qu’avant. Les classes moyennes, déjà laminées par la crise, n’arrivent plus à boucler leur budget mensuel. Les entreprises subissent la libre-concurrence des autres pays. Le tissu de PME, que la France n’a jamais réussi à renforcer, restant dans une logique colbertiste privilégiant les grandes entreprises « fleurons de l’industrie nationale », s’affaiblit encore, car le Franc ne guérit pas les années de mépris subis par les petits entrepreneurs. Et la dette augmente. De façon dramatique. Comme le chômage, qui atteint les 14%. Alors que le PIB, lui, plonge de 10%.La politique de rigueur revient de ce fait assez vite sur le devant de la scène. Le Franc, ayant moins de valeur, accroît la dette. Les banques, voyant la monnaie se déprécier, haussent les taux d’intérêt. La faible valeur du Franc fait que les produits importés augmentent : le litre d’essence passe directement à 1, 75 à la pompe.

Cependant, les autres Etats, voyant les Français abandonner l’Euro, ne les laissent pas devenir d’un coup si compétitifs. Bientôt, d’autres pays suivent. L’Italie sort à son tour de la zone euro, et subit une inflation terrible. Elle est suivie par d’autres, et la zone euro s’effondre. La Grèce se déclare instantanément en faillite, car sa dette, qui n’est plus libellée en euros, vient d’exploser. Les prêts financiers entre banques européennes se grippent. Et plus grave : c’est la fin de l’Union européenne. Car les traités sont basés sur l’idée d’une union économique, qui a toujours été le moteur de ce modèle politique.

Il n’est pas sage de vouloir défendre à tout prix l’économie actuelle de l’Europe : on y voit clairement des dysfonctionnements majeurs. Il suffit de compter le nombre de sommets Merkel-Sarkozy / Sarkozy-Merkel, qui se sont tenus depuis quelques mois pour se rendre compte qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de la Zone euro. A commencer par le fait que ce ne sont pas ses responsables qui prennent les décisions ou qui s’occupent de rassurer les marchés. Car il n’y a pas de véritable gouvernance économique européenne, et les Etats restent l’échelon de la décision économique.

Malheureusement, nous avons l’Europe que nous méritons : celle de nos Etats. Qui n’ont pas ou peu respecté les critères de convergence, qui attendent monts et merveilles de l’Europe tout en refusant à la BCE un autre pouvoir que celui de décider des taux directeurs.

A quand un fédéralisme économique, qui permettra aux Européens d’avoir des perspectives claires ?

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Vos commentaires
  • Le 12 novembre 2011 à 21:07, par Bernard Giroud En réponse à : Le retour au Franc ou l’aggravation de la crise économique

    Excellemment imaginé ; Félicitation. Ce scénario est hélas possible. Il peut convenir, après tout, à une partie de la population qui ne comprend pas, ou n’a jamais voulu (où pu comprendre) ce que pouvait apporter le fait d’être ensemble, la force du groupe. Le groupe apporte la force et l’économie des moyens, à condition (de se) d’être conduit avec sagesse et respect, c’est à dire de la part de ceux qui sont en charge des responsabilités pour un moment, de se considérer partie de ce groupe avec simple humilité. Un bon exemple de groupe industriel continental aujourd’hui, celui qui apporte le crédit le plus important à notre république, c’est le consortium EADS-Airbus ; Il a presque fait à lui seul le même poids en crédit positif que notre déficit commercial français de 2010. Une autre entreprise de ce type, par exemple dans l’énergie, et nous remonterions la pente, de notre dette. Tout cela pour dire qu’en effet, non seulement cela ne changerait rien à nos difficultés de nous séparer, mais cela nous ferait perdre la seule chance que nous avons aujourd’hui d’entrer dans ce monde changeant à dimension continentale, du nouveau siècle. Mais il est vrai aussi qu’il n’est pas donné à tous de devenir grand, il faut souvent pour cela savoir faire de la place dans son cœur et dans sa tète, à la dimension d’une espérance réfléchie meilleure. Cela aussi, c’est affaire de volonté et de ténacité, toutes qualités, qui, avec les précédentes, j’en suis persuadé, sont encore largement répandues dans nos sociétés, même si nous subissons tous, beaucoup trop, la corrosion des mauvais exemples. Donc bon courage à tous, retroussons nos manches avec cœur, et le coin de nos lèvres au sourire, et le ciel nous aidera.

  • Le 25 décembre 2011 à 03:57, par pas_fautifs En réponse à : Le retour au Franc ou l’aggravation de la crise économique

    Si je comprends bien, les consequences des jeux de casino en 2007 et 2008 des banques europeennes, renflouees par l’etat, ont tellement augmente la dette publique que l’on devrait casser l’euro et appauvrir le citoyen ? 1789, cela vous dit-il quelquechose ou faut il developper ?

  • Le 1er mars 2012 à 01:11, par Liior En réponse à : Le retour au Franc ou l’aggravation de la crise économique

    Je ne reviendrai pas sur tout le texte que j’ai trouvé ma foi, intéressant.

    Simplement vous faire une remarque et vous poser une ou deux questions.

    Première chose, ce qui est toujours à peu près pareil avec les textes fédéralistes/pro-européens, c’est qu’ils refusent de prendre en compte les contre-argumentations qui sont proposées constamment. En effet, je vois par exemple que ressort le thème de l’escence dont le prix augmenterait énormément (ce qui est tout à fait vrai). Mais beaucoup de « solutions » (bien sur, cela peut se discuter, se débattre) ont été avancées. Par exemple la modulation de la TIPP pour amortir l’augmentation. Ce n’est qu’un exemple de mesure à mettre en oeuvre.

    Tous vos argumentaires intègrent à un moment donné ou à un autre le thème de la spéculation et surtout de la hausse des taux d’intérêts. Or que nous disent les agences de notation ainsi que la majeure partie des études sérieuses sur le domaine, notamment lors de notre dégradation : Le problème vient de la compétitivité (donc clairement, de la sur-évaluation de l’euro) et donc ipso facto de la balance commerciale en net déficit. La dette, bien qu’énorme, pourrait être frainée si la France dégageait des richesses. Quand un ménage est endetté, il peut s’en sortir si il arrive à gagner plus d’argent. Et montrer aux marchés que l’on peut gagner plus d’argent, que l’on a la maitrise totale de son outil de production (qui intègre bien évidemment la monnaie), ça peut bien entendu les rassurer plutôt que leur faire peur.

    Imaginons : Je suis un financier, j’explique toute la journée à la France que l’Euro ne pouvant pas être dévaluer, il faut trouver de la compétitivité de manière différente (flexibilisation du marché de l’emploi, baisse des prélèvements sociaux et d’autres mesures). On m’annonce finalement que non seulement des efforts vont être faits pour améliorer la compétitivité structurelle, mais qu’en plus, cerise sur le gateau, on m’annonce en plus que la France récupère la gestion totale de l’outil de production en réintégrant la monnaie, ce qui permettra de revenir à un niveau cohérent de taux de change, et donc qui va relancer aussi un peu la compétitivité .. En tant que financier, pourquoi devrais-je forcément prendre cela comme un problème ? Pourquoi cela ne me donnerait pas plutôt des gages que la France va faire ce qu’il faut pour honorer ses créanciers ?

    Vous continuez à parler de dette qui exploserait puisque libellé en euros, hypothèse à laquelle de nombreux économistes et financiers ont expliqué à quel point elle était simple à gérer et aussi à quel point elle serait improbable : Vous expliquez vous-mêmes que le fait de sortir de l’euro pourrait tout simplement l’amener à disparaitre. En quelle monnaie devrions nous alors rembourser nos engagements ? Imaginons même que l’euro subsiste, des renégociations de contrats sont tout à fait envisageables avec nos créanciers étrangers.

    Bref, j’en ai des dizaines et des dizaines à aligner ici, mais je constate que vous ne répondez jamais, ce qui est dommage car cela permettrait d’échanger ainsi que de grandir.

    C’était ma remarque, deuxièmement j’ai des questions précises :
     D’où sortez-vous les 14% de chomage ?
     D’où sortez-vous la récession de 10 points ?

    En tout cas merci pour cette lecture :-)

    Cordialement,

  • Le 1er mars 2012 à 12:41, par Julien-223 En réponse à : Le retour au Franc ou l’aggravation de la crise économique

    Le chômage à 14%, c’est le vrai chômage, catégorie A, B, et C.

    Le gouvernement a modifié les statistiques du chômage en 2008, et communique désormais sur la seule catégorie A (10% de chômage tout de même) qui ne comprend que les chômeurs à temps plein n’ayant pas travaillé une heure durant le mois.

    14% correspond à l’ensemble des personnes inscrites à Pôle Emploi et obligées d’effectuer des démarches actives de recherche d’emploi. Ce chiffre exclut cependant les personnes qu’on envoie en formation ou en stage pour les sortir des stats. Toutes catégories (ABCDE), on arrive à 15% de chômdu.

  • Le 7 mars 2012 à 20:19, par Bernard Giroud En réponse à : Le retour au Franc ou l’aggravation de la crise économique

    « Le problème vient de la compétitivité (donc clairement, de la sur-évaluation de l’euro) et donc ipso facto de la balance commerciale en net déficit : » Affirmation fausse ! Certains de nos partenaires se débrouillent très bien avec un euro stable. Je crois que certains ne savent pas ce que c’est que de « conquérir des parts de marché ; Certes, c’est plus facile de vendre n’importe quoi lorsqu’on le vend peu cher, lorsque la monnaie ne vaut pas grand-chose, mais dans le même temps cela ne nous rapporte pas grand-chose non plus.

    Pour être présent à la vente, ou sur un marché, appelons-le comme on voudra, il faut d’abord qu’il y ait un besoin, voire une utilité. Il faut ensuite que le produit que vous vendez soit de la qualité qui corresponde à ce besoin ou à cette utilité. Et il arrive que même si parfois votre produit est plus cher mais de meilleure qualité, il emporte la décision ; Il arrive aussi que même s’il est parfois moins adapté qu’un concurrent et que vous sachiez mieux le vendre, il emporte aussi la décision. Votre balance commerciale s’en porte mieux. Vous voyez que cela fait donc un certains nombre de paramètres qui dépendent sans contestation possible, des personnes et des produits qui sont en cause, et pas d’un a priori décidé sur une monnaie stable, c’est-à-dire sur une monnaie sur laquelle on peut compter.

    La raison la plus fondamentale de notre particularité française, est bien décidément de voir les causes de nos malheurs non pas de notre faute, mais surtout, et c’est si confortable, de voir la cause de nos malheurs arriver par les autres ; Comme si l’on ne voulait pas voir poutre qui est dans notre œil ! Pour dire autrement, il suffit de constater ou nous a conduit l’esprit déliquescent de la superbe supériorité de l’intellectuel, par rapport au « povre » technicien manuel actionnant ses manettes pleines d’huile ou de graisse noire. En oubliant que toutes nos cités, tous nos pays sont d’abord des pays industrialisés, vivant de la technique et de tous ses dérivés autant logiques que manuels, nous avons déserté, une trop grande partie de nos intelligences pratiques ont déserté ces travaux de base, porteurs de notre prospérité, et du reste.

    Il ne faut donc pas s’étonner que dans un pays ou l’on accorde plus d’importance à celui qui dit comment faire, plutôt qu’à celui qui fait, on soit arrivé à cette situation ou l’on ait plus assez d’hommes et de femmes de qualités élevées, pour arriver à des niveaux de produits multiples et divers avec ces mêmes qualités élevées.

    Notre problème n’est donc pas un problème de monnaie stable, mais plus surement un problème d’inadaptation d’une trop grande partie de nos mentalités, qui préfèrent, je le répète, laisser aller à la victoire ou au casse pipe le voisin, plutôt que de se casser les méninges ou se salir les mains et d’y aller soi-même. Quand on aura compris cela, on aura grandi un peu.

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