Lois restrictives pour les ONG étrangères, abolition de fait du droit de manifester et violations des droits fondamentaux des homosexuels et des transsexuels : depuis la fin de l’ère soviétique, les droits de l’Homme n’ont jamais autant été bafoués en Russie. Mais cela n’a pas vraiment l’air de nuire à l’image de Vladimir Poutine. La raison ? Une opposition opprimée plutôt que les photos torse nu à la pêche des dernières vacances de cet ancien du KGB âgé de 61 ans. Une question se pose : quand l’Union européenne et la communauté internationale en tireront-elles des conséquences politiques ?
Présomption de culpabilité pour la société civile
Plus d’un an après le retour de Poutine au poste de Président, de nombreuses lois limitant les libertés de la société civile ont été promulguées. Trois d’entre elles se trouvent au centre de l’attention : Premièrement, la loi sur les « Agents étrangers » qui a pour objectif d’empêcher de manière systématique et structurelle les ONG de fonctionner en stigmatisant leurs partisans comme des « agents étrangers » et en permettant, sous le couvert du principe de sécurité nationale, différents types de surveillance. Le contenu de la loi consiste globalement en une obligation d’enregistrement pour toutes les organisations qui reçoivent de l’argent de l’étranger. Cette obligation de rendre des comptes et les possibilités étatiques de contrôle ont poussé 90 % de ces organisations ainsi stigmatisées à mettre un terme à leurs activités.
Croire qu’il s’agit ici principalement de groupes révolutionnaires serait une erreur. Ainsi, de nombreuses organisations apolitiques sont également pénalisées par la loi. C’est par exemple le cas de la « Fédération des pêcheurs et chasseurs » de Iaroslavl. Cet ensemble de règles, entériné par la Douma, semble non seulement détruire une société civile critique, mais également une société civile active. Poutine sait, au moins depuis les protestations qui ont suivi son élection, qu’une société civile peut être une bonne opposition sociale.
Or, il n’en a pas besoin. Deuxièmement, quatre semaines après son élection, déjà, Poutine a commencé à détricoter le droit de manifester. Les plus grandes nouveautés législatives sont des conditions plus strictes, des obstacles à l’obtention d’autorisations et une plus forte surveillance des rassemblements. Si ces conditions ne sont pas respectées, les organisateurs et les participants s’exposent à une amende de 300 000 roubles (environ 7100 €) et à des peines de prison.
Troisièmement, il y a cette interdiction de la « propagande pour les relations sexuelles non traditionnelles devant mineur ». Dans les faits est interdite toute activité de défense des droits de l’Homme par des militants qui contestent les discriminations dont sont victimes les homosexuels et les transsexuels (LGBT). Ainsi, les manifestations, articles postés sur Internet ou ce genre d’actions sont rendues presque impossibles par l’appareil de répression du Kremlin.
Pour les défenseurs des droits des LGBT, cela génère une angoisse permanente. On ne sait pas très bien combien de personnes ont été condamnées. Cependant, lors de manifestations, de nombreux militants sont placés en détention, ce qui leur ferme l’accès à l’espace public. Ces procédés ont soulevé récemment cette question : dans quelle mesure la communauté internationale doit-elle réagir aux lois homophobes dans le cadre des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi ? Malheureusement, des actions telles que celle de l’organisation sportive des LGBT, qui voulait attirer l’attention sur les abus à l’aide d’autocollants et de pin’s, ont été interdites par le Comité international olympique (CIO).
Ces trois lois choisies consciemment et les actions du gouvernement et de l’appareil administratif montrent combien la situation des droits de l’Homme est précaire en Russie, particulièrement en ce qui concerne la société civile.
La Russie devant la Cour européenne des droits de l’Homme
En tant que membre du Conseil de l’Europe, la Russie est obligée de garantir les droits et libertés des personnes vivant sur son territoire. Au moins depuis la ratification du protocole n°14 bis de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) par la Russie en 2010, les plaintes individuelles de personnes contre la Russie sont permises. Dans les statistiques de la Cour européenne des droits de l’Homme, la Russie occupe la troisième place en matière de condamnations et la première place en matière de procès en cours. Un quart de ceux-ci provenaient de la Russie en 2007. Certes, la plupart de ces procès ont été rejetés, mais cela n’est pas dû à leur caractère injustifié, mais bien parce que les plaintes n’étaient pas recevables.
C’est ici que doit intervenir la pression diplomatique, pour empêcher ces violations des droits de l’Homme. Pourtant, l’Union européenne se refuse à mettre tout son poids dans la balance. Certes, la CEDH n’est pas (encore) complètement liée à l’Union européenne, mais les valeurs communes, qui sont considérées comme faisant partie intégrante de l’Union européenne, doivent également être orientées vers l’extérieur.
Ne pas avoir utilisé le G20 ? Une occasion manquée
Le G20 à Saint-Pétersbourg était une chance réelle d’aborder le sujet. Alors que Barack Obama rencontrait, en marge du sommet, des militants russes, ni les représentants de l’Union européenne, ni ceux des États membres n’ont pu aborder le thème des droits de l’Homme.
Pourtant, cela n’a pas l’air si compliqué de coupler des normes en matière de droits de l’Homme et de droits des citoyens à des relations économiques, comme cela a été le cas lors des négociations en vue d’un accord de libre-échange entre l’Union et les États-Unis après le scandale lié aux activités de la NSA. Sanctionner les comportements qui ne respectent pas les droits de l’Homme est possible. Cependant, cela requiert un réel sens de la politique et du courage.
L’imposition universelle des droits de l’Homme en tant que « raison d’État » de l’Europe
Les droits de l’Homme sont universels et valent pour tous. En tant que membres des Nations unies, la Russie s’est politico-juridiquement engagée à insérer les droits de l’Homme dans son système juridique national.
En violant de manière structurelle et répétée les droits de l’Homme, la Russie n’honore pas sa ratification de l’accord et des valeurs humaines internationales. Et cela ne semble pas intéresser l’Europe. Comment expliquer sinon que l’Europe n’exerce aucune pression politique ? Imposer les droits de l’Homme est et reste une tâche mondiale. Si l’Union veut être en accord avec ses principes, il est réellement temps qu’elle agisse !
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