Les économistes consternants

, par Jacques Fayette

Les économistes consternants
João Ferreira do Amaral CC BY-NC-SA 2.0 rtppt

Nous connaissions les économistes atterrés, ces chercheurs qui après une longue réflexion théorique et des vérifications statistiques minutieuses ont démontré une nouvelle loi en vertu de laquelle lorsqu’on dépense plus que l’on gagne, on vit mieux. Voilà qu’arrivent les économistes débridés, pour reprendre l’expression du journal Les Échos du 25 septembre 2013, visant les signataires à Rome, d’un manifeste pour la sortie de l’euro des pays les plus compétitifs, notamment de l’Allemagne.

Les défenseurs d’une décomposition concertée de la zone euro

Le mouvement est principalement d’origine allemande. En juillet 2012, 160 économistes universitaires d’outre-Rhin renforcent une campagne commencée avec les recours devant la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, contre les mesures pour faire face à la crise de l’euro. Un an auparavant déjà, en juillet 2011, un ouvrage paru chez Kopp annonçait que l’aventure de l’euro touchait à sa fin, avec en sous-titre Comment l’union monétaire détruit les fondements de nos existences.

Nous pourrions citer bien d’autres ouvrages français et italiens, mais nous ne pouvons pas omettre le plus grand succès 2013 de librairie au Portugal Pourquoi nous devons sortir de l’euro ? de l’économiste universitaire João Ferreira do Amaral. Selon lui, la capitulation du Portugal devant la Commission européenne en 1992 est comparable à la capitulation devant l’Espagne en 1581. Un économiste allemand va jusqu’à écrire que la Commission européenne est disposée à recruter des mercenaires pour ouvrir le feu sur les Grecs qui manifestent contre l’austérité !

Pourquoi le recours aux dévaluations en cascade est illusoire

Une première erreur de toutes ces propositions et d’oublier que depuis le 15 août 1971, il n’y a plus de taux de change fixes. En conséquence, un pays ne dévaluera que si les marchés le veulent bien. Si demain les pays européens voulaient dévaluer l’euro par rapport au yuan chinois, les milliards de dollars détenus par la Banque Populaire de Chine constitueraient un obstacle infranchissable.

La deuxième erreur consiste à faire croire aux Italiens que l’Italie serait le seul pays à dévaluer, de même pour les Portugais ou les Français, chacun retrouvant ainsi un avantage-prix face à des partenaires, par hypothèse impassibles. Or, si tout le monde dévalue, il n’y a plus de dévaluation ! Une proposition qui n’est pas sans rappeler celle du chansonnier qui, en 2003, avait suggéré de revenir au thermomètre Réaumur afin de diminuer les degrés et ainsi de lutter contre la canicule !

La troisième erreur consiste à croire aux effets magiques d’une dévaluation. L’observation du commerce international montre que le contenu en importations des produits exportés réduit à peu de choses l’effet de la baisse de la valeur ajoutée nationale. Par ailleurs une dévaluation ne fera pas qu’un pays soit doté d’une industrie capable de concurrencer Samsung ou Levono. Les mésaventures de Nokia et de Blackberry en constituent une excellente illustration.

Il existe enfin une quatrième erreur que l’on trouve chez la plupart des économistes français eurosceptiques, celle de la différence entre les pays de la zone euro. Selon Alberto Bagnai, professeur associé d’économie à l’Università Gabriele d’Annunzio de Chieti-Pesca, l’argument consiste à dire que les différences entre les pays européens sont trop importantes pour partager une monnaie commune. Il invoque pour cela la théorie des zones monétaires optimales de l’économiste canadien Robert Mundell, prix Nobel en 1999. Or cet argument se heurte au fait que les différences internes aux pays européens sont supérieures aux différences entre les moyennes des pays européens. Disposer d’un revenu mensuel de 1.500 euros à Paris ou à Milan ne donne pas le même niveau de vie qu’à Brioude ou à Chieti.

Donc, si on abandonnait l’euro pour revenir aux monnaies nationales, en vertu d’une conception puriste des zones monétaires optimales, il faudrait créer une lire lombarde, une lire sarde, un franc parisien, un franc béarnais, de quoi réjouir le service comptable d’une entreprise et d’en favoriser le développement. Robert Mundell songeait ainsi à un dollar de l’Est et à un dollar de l’Ouest dans son premier article de 1961.

Ces objections nous semblent plus pertinentes que celles se limitant au coût excessif d’un retour aux monnaies nationales, notamment pour la dette libellée en euros. Comme l’écrit Sylvie Goulard dans son percutant dernier ouvrage intitulé Europe : amour ou chambre à part ? : Le coût prohibitif du divorce ne suffit pas à faire un mariage heureux (p 28).

La bonne réponse

Aujourd’hui, Robert Mundell qui vit en partie en Italie, ne défend pas la dissolution de la zone euro. Pour sauver l’Europe, il doit y avoir un mouvement dans la direction d’un gouvernement partagé a-t-il déclaré dans The Telegraph du 25 août 2011. C’est ce qu’écrivait Elie Cohen en 1996 dans son livre La Tentation hexagonale : L’objet premier de Maastricht fut non pas de résoudre un problème technique lié au développement de la finance privée, mais de franchir un pas supplémentaire dans l’intégration politique grâce à la mise en scène de la contrainte économique (p 336) et quelques pages plus loin Contrairement à un discours commun, on ne peut pas s’endormir français et se réveiller européen au terme d’une série de glissements institutionnels et comme par un effet cumulatif des politiques publiques transférées. Il y faut un acte manifestant la volonté populaire (p 342).

C’est en partie ce que les citoyens européens pourront faire le 25 mai prochain. Et ce sera la manière la plus pertinente de commémorer le centenaire de la plus abominable de nos guerres civiles.

Article initialement paru dans le petit journal de milan

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Vos commentaires
  • Le 6 octobre 2013 à 20:41, par Marie En réponse à : Les économistes consternants

    @Taurillon

    Le titre avec la photo ne vont pas ensemble. La photo dégage de l’humilité.

    Les économistes s’amusent bien entre eux.

    Si un jour ils pouvaient être clair comme de bon vieux scientifiques respectables...

  • Le 8 octobre 2013 à 11:35, par Chamaillé Thomas En réponse à : Les économistes consternants

    Bonjour,

    nous savons que vous n’aimez pas que l’on s’attaque à la vache sacrée qu’est devenu l’euro, dont vous avouez maintenant que son objectif était non-économique, et donc que l’on a sciemment menti aux peuples pour le leur vendre. Qu’importe la monnaie est la désormais et si comme partout il existe des alternatives fantaisistes, vous balayer certains arguments avec tant de légèreté que cela montre la fragilité de votre position. Ainsi :

     C’est un erreur de croire que les marchés seuls établissent la valeur d’une monnaie (d’ailleurs aucune dévaluation ne serait politiquement possible dans ce cas, malgré tous les exemples existant). L’émission de monnaie (modification de la quantité en circulation) ou des incitations (amenant un achat/vente de cette devise) sont possibles. Et cela vaut pour l’euro comme pour les monnaies nationales.

     Vous vous leurrez tout seul (en réalité vous faites semblant) en mélangeant ajustement et dévaluation compétitive. Avoir une monnaie forte à ses avantages et correspond à des modèles de développement (le cas allemand par exemple : économie de rentiers liée à la démographie / marchés de niches ou peu soumis à la concurrence + expertise reconnue) de même qu’avoir une monnaie plus faible. La fin de l’euro est donc souhaitable afin de permettre à chaque pays d’avoir un monnaie en rapport avec sa réalité démographique, son projet économique et son tissu industriel. Actuellement la majorité des pays subissent la monnaie allemande avec le succès que l’on voit. La France la subie depuis la politique du franc fort préparatoire à la mise en place de l’euro.

     Sur le troisième point aussi vous vous égarez. En effet une dévaluation entraine mécaniquement un renchérissement de certains produits importés (cependant dans le cas européens de retour aux monnaies nationales, les produits allemands seraient plus chers mais les produits espagnols ou portugais serait moins chers puisque leur dévaluation serait plus importante.) Mais au delà du coût des produits la question importante de de savoir sur quoi portera l’ajustement : soit par la monnaie forte (situation actuelle) et donc la variable devient l’emploi, soit par une dévaluation avec certains renchérissements. En somme est-ce qu’on préfère un écran plat à pas cher ou un emploi ?

     Enfin la question des disparités monétaires potentielles au sein des Etats existent réellement mais varient d’un pays à l’autre. Si l’exemple italien peut éventuellement valoir, il n’en est rien du cas Français ou les disparités économiques (globalement plus faibles) sont compensées par de puissants transferts acceptés (et ce point est crucial) par la communauté nationale.

    Nous avons tous les jours devant nous l’échec de l’euro. Tout le problème est qu’au lieu den faire un des éléments parmi d’autres de la construction européenne, vous en avez fait un totem qui vous empêche de regarder froidement la situation. Avoir une monnaie nationale ne garantit en rien un retour à la prospérité ou une bonne gestion mais cela permet de s’en donner les moyens politiques que le système de l’euro (en particulier l’indépendance de la banque centrale et le carcan idéologique qui l’enserre) nous dénie.

    Il s’agit donc de réajuster les monnaies en abandonnant l’euro sans pour autant mener une politique abusivement laxiste permise aussi bien par la « planche à billets » que par les taux bas de l’euro.

  • Le 8 octobre 2013 à 19:37, par Bernard Giroud En réponse à : Les économistes consternants

    La Grèce ou le crapaud

    De 1550 à 1995 la France a dévalué sa monnaie une quinzaine de fois.

    Une quinzaine de fois en ces cinquante ans nous avons donc dit à nos partenaires que nous ne tenions pas des engagements que nous avions pris en toute connaissance de cause. ;

    Car c’est bien cela, n’est-ce pas, une dévaluation, dire au matin du contrat que nous payons 100, se saisir de la marchandise, et le soir ne plus vouloir payer que 90, 80, ou 70 … !

    Ce sont les mœurs de la guerre, pas celui des échanges ;

    Demandons à tous les acheteurs de matières premières, (aciers ou pétrole ou uranium) ces ménagères, ou ces retraités sanctionnés si souvent dans leurs revenus s’il n’est pas préférable de pouvoir compter sur un prix ou un revenu régulier ?

    Les dévaluations sont en fin de compte le moyen de faire payer au grand nombre, les incompétences ou les laxismes dans la conduite de l’équipe.

    L’échange c’est la confiance. Notre intérêt commun est, non seulement, de garder la grande équipe et sa monnaie sur laquelle on peut compter, non seulement, nous avons intérêt à garder l’Euro et l’avantage du grand marché, mais nous avons intérêt à le renforcer.

    Renforcer veut dire que dans cette zone d’échange plus facile et plus sure, on ne doit pas faire n’importe quoi, et que le laisser faire de la logique du plus fort doit être tempérée. L’intérêt de l’économie de la production du grand nombre, (500 millions d’acheteurs, plutôt que 90 millions) doit être pris en compte et répercuté, avec le plus d’équilibre possible sur la zone, l’ensemble de la zone.

    Ex ; L’économie de l’amortissement de fabrication d’une voiture qui devient dans le cas de ce grand marché pratiquement cinq fois plus faible, cette économie, pour une bonne partie devrait servir l’investissement des régions autres, que la région productrice. Ex 2 ; Dans cette grande nouvelle région facilement accessible aux nouveaux partenaires de cette monnaie, on a aussi l’avantage de pouvoir faire coopérer un nombre plus important de meilleurs cerveaux, ce qui en fin de compte est de l’économie pour tout le monde.

    Donc cette grande région qu’est l’Europe de l’ouest, ne doit pas être soumise à l’unique concurrence des divers champions natiorégionaux, ; Son développement, le développement de cette grande région doit être accompagnée par une vision sage, et par des règles, qui adaptent les achats ou transferts financiers natiorégionaux aux capacités de ces dites régions.

    Une région trop encline à dépenser plus qu’elle ne gagne ou produit, doit être tempérée dans ses appétits ; Mais en même temps il faut l’inciter à réorienter son développement à long terme, en s’appuyant sur les forces vives du pays, et une partie des économies qu’a dégagé le grand marché.

    Un système démocratique, système que nous connaissons bien, devrait nous permettre de réussir ce pari.

    Construire au jour le jour, tout au long d’un chemin visible par des moyens logiques et variables, c’est adapter notre intérêt dans le sens d’un bénéfice que le talent, petit ou grand de chacun, ne doit pas laisser corroder par la faiblesse des mentalités rétrécies, ou faiblardes.

    Nous n’en sommes pas, l’humanité n’en est pas encore à courir, avec aisance, sur le fil de l’éclair, mais j’en préfère la voie, plutôt que celle du marais, et de la bave du crapaud.

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