Les relations sino-européennes : leçons pour l’avenir

, par Micaela Finkielsztoyn, traduit par Camille Defard

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Les relations sino-européennes : leçons pour l'avenir
poignée de main entre Zhang Ping, directeur de la Commission d’Etat du Développement et de la Réforme de Chine, et Catherine Ashton, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité © Services audiovisuels de la Commission européenne

« La Chine et l’Europe sont deux acteurs importants dans le monde et chacun représente pour l’autre un partenaire stratégique indispensable dans leurs propres processus de développement ». Cette déclaration du vice-ministre des Affaires étrangères chinois décrit les bases idéales de la relation entre l’UE et la Chine.

La position des 27 vis-à-vis de la Chine

Le dynamisme a caractérisé les relations commerciales entre l’Union européenne et la Chine. Depuis l’établissement de relations économiques en 1978, le volume échangé a été multiplié par plus de 30, atteignant 428.7 milliards d’euros en 2011 (selon les chiffres de la Commission européenne). La Chine est aujourd’hui le deuxième plus gros partenaire commercial de l’Europe après les États-Unis. Les relations commerciales sino-européennes étonnent aussi par leur asymétrie : en 20 ans, l’UE a accumulé un déficit commercial substantiel par rapport à la Chine, qui a atteint 156 milliards d’euros en 2011.

Ces chiffres ont alarmé la plupart des pays européens, qui ont déjà commencé à craindre le « péril jaune ». Pourtant, avec environ 18 % du total des importations et des exportations mondiales sur son propre territoire, il est encore possible de considérer le marché unique européen comme une économie plutôt fermée. Pour le dire simplement, ce n’est pas l’essor économique chinois que l’Europe doit craindre, pas en termes commerciaux du moins, puisque le marché unique européen est assez indépendant économiquement et que les États-Unis représentent toujours la plus grande part du commerce européen – malgré son déficit déjà important et toujours grandissant vis-à-vis de l’Empire du Milieu.

La question inévitable est donc celle des raisons pour lesquelles la Chine constitue une telle menace pour l’Europe. La réponse est bien plus stratégique qu’économique.

« Diviser pour mieux régner » – la stratégie chinoise envers les États membres de l’UE

La prévalence du système intergouvernemental en ce qui concerne la politique étrangère a affaibli l’approche européenne vers la Chine. La puissance économique chinoise est si attractive que chaque État membre de l’UE cherche à mener sa propre stratégie de rapprochement avec le géant, même si cela devait aller à l’encontre des intérêts de l’UE dans son ensemble. La Chine est bien consciente de ces différences parmi les États membres et les tourne à son propre avantage. Bien que certainement fastidieux, traiter avec 27 États membres a l’avantage de les faire jouer les uns contre les autres, entrainant des conditions finales plus avantageuses pour la Chine. Dans ce jeu non coopératif, nous pouvons distinguer différents types de pays européens, qui peuvent être regroupés selon leur force économique : les pays industriels vs les pays non industriels, dont les deux représentants sont respectivement l’Allemagne et la Grèce.

Les pays industriels sont les seuls à posséder la puissance économique nécessaire pour tenir tête à la Chine, à la fois aux niveaux politique et économique. L’Allemagne, premier partenaire commercial de la Chine au sein de l’UE, mène sa politique chinoise avec pragmatisme. Son but est de faire pression sur la Chine de manière à obtenir gain de cause pour des revendications sectorielles, et d’imposer des mesures « antidumping », pour protéger son industrie des produits chinois. Par conséquent, l’Allemagne poursuit en silence son bilatéralisme : elle n’empiète pas sur les négociations au niveau européen, mais elle ne les encourage pas non plus.

Les pays non industriels, quant à eux, sont les grands perdants des relations sino-européennes : leurs économies ne sont pas complémentaires de l’économie chinoise, mais entrent plutôt en concurrence avec elle. Pour cette raison, ils ont recours à n’importe quelle mesure afin de saper la présence chinoise en Europe. Pourtant, ils doivent chercher des bénéfices commerciaux, notamment au travers des investissements chinois à l’étranger dans leurs pays, ce pour quoi ils ne défient plus les politiques chinoises : ils croient que de bonnes relations sont la clé pour obtenir des avantages commerciaux.

Les relations sino-européennes et la crise

La crise de 2008 a seulement fait empirer cette situation, dans le sens où elle a rendu la position des pays non-industriels encore plus vulnérable. La Chine propose deux possibilités fondamentales aux pays endettés comme la Grèce : d’un côté, elle leur offre une ligne de crédit sans condition aucune – ce qui est un bien meilleur arrangement que celui proposé par la troïka (FMI, BCE, CE). Jusqu’ici, la Chine a acheté plus de 630 milliards d’euros de dette souveraine européenne. D’un autre côté, elle offre des emplois à une population au sein de laquelle le taux de chômage a atteint plus de 22,5 %. La Chine a commencé à mettre en œuvre une nouvelle stratégie, ironiquement baptisée « made in Europe »  : main d’œuvre européenne, gestion chinoise, une stratégie qui ne permet pas seulement des coûts de production opportunément bas, mais également l’accomplissement de la mise en place des standards du marché unique européen par les entreprises chinoises.

À première vue, cela ressemble à un moyen intelligent que les pays du sud ont trouvé pour se financer, quand les pays du nord de l’UE sont réticents à les sauver. Mais les entreprises chinoises ont lentement commencé à mettre en œuvre leurs propres normes de travail en Europe. La pénétration chinoise en Europe à travers l’acquisition d’entreprises ou la sous-traitance vers les pays pauvres de l’Europe commence à éroder le traditionnel État providence européen, en attaquant ses membres les plus faibles. Cela n’aura pas uniquement des répercussions sur les conditions de travail et les niveaux de vie des citoyens de pays appauvris tels que la Grèce, mais va aussi lentement établir une tendance qui avait été éradiquée au sein de l’UE : le dumping social. C’est le genre de défis stratégiques que l’Europe devrait prendre en compte lorsqu’elle traite de la montée en puissance de la Chine en Europe.

L’UE devrait arrêter de considérer la Chine comme une menace et commencer à la considérer comme une opportunité. Mais pour que cela se produise, il lui faut d’abord résoudre sa crise interne : les différentes conduites des États membres vis-à-vis de la Chine – à l’avantage de cette dernière –, et l’absence d’une politique étrangère européenne commune et cohérente privent l’UE de meilleures négociations avec la Chine, mais commencent aussi à éroder les fondations de l’intégration européenne. Sans limites, la pénétration chinoise dans le sud de l’Europe est le résultat du manque de solidarité et d’accords dans cette Union européenne que la crise à scindé en deux.

Les relations sino-européennes devraient être un miroir dans lequel l’UE se regarde elle-même. Elles sont bien plus qu’un simple stress test ; elles sont une leçon pour la survie de l’Union.

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