Europe sociale

Qu’est ce que l’« Europe sociale » ?

, par Traduit par Emmanuel Vallens, Jon Worth

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Qu'est ce que l'« Europe sociale » ?

A la lumière des « non » français et néerlandais à la Constitution européenne, la demande d’une « Europe sociale » s’est encore renforcée. Mais que signifie exactement ce terme ? Et, concrètement, comment y parvenir ?

Telles étaient les questions présentes à mon esprit lors d’une intervention récente au séminaire conjoint JEF-Europe / Europeisk Ungdom de Finnskogen, en Norvège ; cet article reprend la conclusion de mon exposé et reflète le débat et les questions intéressantes qui on été posées.

Tout d’abord, « l’Europe sociale » est-elle synonyme de politique sociale et/ou de protection sociale, ou signifie-t-elle autre chose ? Pour parler de politique sociale européenne, il faut commencer par parler d’argent. Car la politique sociale coûte cher. Très cher.

Les chiffres

Dans l’UE, plus de 40% du RNB (Revenu National Brut) dépend du secteur public. Seul 1% du RNB est consacré au budget européen, soit quelques 100 milliards d’euros par an. En Grande-Bretagne, le département de l’emploi et des retraites, qui est le ministère responsable de l’essentiel de la politique sociale, gère à lui seul un budget de 115 milliards de livres (186 millions d’euros) par an !

La plupart des Etats européens dépensent plus de 6% du RNB pour la santé, et 10% du RNB pour les politiques sociales comme les retraites et les allocations chômage. En un mot comme en cent, l’Union européenne est encore très loin de ce niveau de dépenses, en particulier alors que les Etats membres tentent de réduire le budget européen plutôt que de le développer.

Ceci posé, nombreux sont ceux, commentateurs comme responsables politiques [1] qui ont exprimé leurs craintes que les politiques et la protection sociales européennes actuelles ne remplissent plus leurs objectifs. Des Etats comme l’Italie et la France sont surchargés de dette, et doivent pourtant faire face aux défis supplémentaires de populations vieillissantes et d’une pression accrue sur le régime des retraites.

De plus, si un Etat européen est gravement affecté par ces pressions, nous sommes tous affectés en raison de l’importante interdépendance économique au sein du marché unique. D’un autre côté, les citoyens restent globalement satisfaits des performances de leurs Etats-providence respectifs, les préoccupations sociales arrivant loin derrière les préoccupations économiques dans le dernier Eurobaromètre [2].

Quel rôle pour l’UE ?

C’est bien simple : les domaines traditionnels d’intervention des politiques sociales coûtent cher et l’UE n’a pas le poids budgétaire suffisant pour y jouer un rôle, même si elle le voulait. Que peut-elle donc faire, et que doit-elle faire ?

Avant de commencer à parler l’Europe sociale, l’UE devrait se concentrer sur la croissance économique et le marché unique. Le chômage reste l’une des préoccupations majeures des citoyens européens, et, alors qu’il reste élevé et que la croissance stagne, les Etats-providence nationaux restent sous pression.

Il est toutefois primordial que, dans la conduite de sa politique économique, l’UE prenne en compte son impact sur la perception qu’ont les citoyens de leurs politiques sociales nationales. Il était facile pour les eurosceptiques de gauche de dépeindre des initiatives récentes telles la Directive services comme une tentative de réduire la protection sociale. Il ne s’agit pas de savoir si l’accusation était vraie ou fausse en l’espèce ; simplement, l’UE se doit de prendre en compte la façon dont son perçues ses politiques.

L’UE peut légitimement se targuer d’adopter des bonnes politiques sociales, par exemple à propos des droits des travailleurs (temps de travail, égalité des sexes, protection des minorités).

De plus, l’Union européenne, avec ses moyens financiers et politiques limités, est perçue comme capable de détruire des entités nationales chéries, sans pour autant être capable de mettre en place des alternatives crédibles. Prenez le cas de la SNCF, qui s’est restructurée pour cause de libéralisation du transport ferroviaire européen. Le message envoyé aux citoyens est que l’UE s’attaque à une partie du patrimoine culturel français, alors que le vrai objectif est d’accroître le nombre de passagers et le fret ferroviaires ; objectif noble et qu’on peut légitimement qualifier de social. Quand elle s’attaque à Svenska Spel, à la SNCF, à Gas Natural et à Alitalia, il faut que l’UE communique sur les bénéfices sociaux de la législation proposée : et s’il n’y en a pas, une modification législative est-elle nécessaire ? S’attaquer aux monopoles d’Etat et aux entreprises publiques n’est pas mauvais en soi, mais l’UE doit toujours être conscience des nombreuses et complexes sensibilités en jeu.

Au-delà du marché, il y a des domaines supplémentaires où l’UE peut légitimement se targuer d’adopter des bonnes politiques sociales. L’UE intervient dans la réglementation des droits des travailleurs (temps de travail, égalité des sexes, protection des minorités), et peut se prévaloir d’avancées dans la protection apportée dans ces domaines. L’Union européenne pourrait par ailleurs être en mesure d’encourager les Etats membres dans la résolution des problèmes démographiques qui les menacent, une question que les Etats n’ont pas encore réussie à régler de leur plein gré. Mais ces questions sont marginales, par rapport aux grandes masses budgétaires qui dominent la politique sociale quotidienne.

Conclusion

En résumé, l’Europe sociale peut être définie comme l’antithèse de l’Europe ultra-libérale ; si l’UE ne fait pas de la politique sociale de son plein gré, elle doit s’assurer qu’elle ne cause pas de tort à des pans entiers de la protection sociale qui relèvent des compétences nationales. De plus, il se pourrait qu’à court terme l’UE soit en mesure de combler quelques niches supplémentaires, où elle peut jouer un rôle dans la politique sociale, mais il ne faut pas avoir d’attentes (d’espoirs ?) démesurés.

(Article traduit par Emmanuel Vallens, membre du Bureau national des Jeunes Européens - France)

Image :

 pas dans le même bus, source : Flickr

Notes

[1Tony Blair, discours devant News Corp, 30 juillet 2006 - voir http://www.number10.gov.uk/output/P... « L’Etat-providence et le modèle social européens traditionnels sont désespéramment incapables de faire face aux enjeux modernes d’un marché concurrentiel globalisé. »

[2Eurobaromètre 65 - http://ec.europa.eu/public_opinion/...

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