Un riche séjour parfaitement organisé par les Jeunes Européens Fédéralistes de Croatie et le réseau des maisons de l’Europe que nous tenons à remercier tout particulièrement pour leurs efforts et leur efficacité. En effet un circuit de sept villes et de dix interventions nous a permis de beaucoup voir et apprendre de ce pays.
Tout d’abord, c’est la première fois que nous sortons de l’Union européenne. Et pourtant, durant les quelques jours que nous passerons à Zagreb, nous aurons la surprise de constater l’omniprésence du drapeau européen.
L’adhésion de la Croatie à l’Union européenne n’est-elle pas prévue pour l’année 2009 ? C’est à s’y tromper car tous les drapeaux croates sont accompagnés du drapeau aux douze étoiles, même sur la façade du Parlement national. Campagne de promotion ou impatience ? Sûrement un peu des deux !
Interventions scolaires dans le nord de la Croatie
Nous réaliserons trois interventions dans la capitale, dont la première à la maison de l’Europe devant un public composé de trois classes de lycées. Cette dernière intervention fût réalisée dans une superbe salle en compagnie des caméras de télévision et face à un public bien informé et conscient des problèmes qui concernent le monde qui l’entoure. On voit bien que nous sommes confrontés aux meilleurs lycées.
Car notre seconde intervention à Dugo Selo, dans la périphérie de Zagreb, se déroule devant un public tout à fait différent. Il faudra s’y prendre autrement pour faire passer notre message devant ces jeunes bien plus agités et indifférents à la question traité. Mais au final ils nous félicitent d’être venus et semblent avant tout heureux d’avoir vu des « étrangers » et de s’être ouvert l’esprit sur d’autres perspectives.
Enfin notre dernière intervention dans la capitale sera entachée de la désormais traditionnelle séance de contemplation de l’ignorance de nos concitoyens français. En effet, une fois de plus, lorsque nous abordons le thème de la « barbarie de l’ignorance », cette classe bilingue de français nous donne pour exemple son voyage d’échange de l’année passée avec la ville de Dijon.
Les jeunes Français, ainsi que leurs parents, furent surpris par le degré de « modernité » des jeunes Croates. Incroyable, ces derniers sont munis de téléphones portables et aussi bien habillés que nous, voir encore plus à la mode. Une élève subira même l’humiliation de se faire expliquer ce qu’est un... aspirateur !!!
Nous avons bien conscience que les Français ne sont pas les seuls concernés et que, de manière générale, c’est l’ensemble des pays d’Europe de l’ouest qui cultivent toujours ces stéréotypes d’un autre âge au seul motif que les pays d’Europe centrale et orientale sont encore qualifiés de « pauvres », ou au mieux, « plus pauvres que nous ». Il faudra pourtant bien un jour se mettre d’accord sur la définition de la pauvreté et des clichés qui lui sont accolés. Mais il faudrait, surtout, au simple moyen d’un minimum d’information, se rendre compte de ce qu’est réellement le monde pour cesser de se le représenter de manière aussi simpliste et erroné !
Nous passerons ensuite très rapidement à Čakovec, une petite ville au Nord de la Croatie près de la frontière hongroise et slovène. Ici une classe européenne très motivée. Détail intéressant, pour la première fois, un élève va ranger la démocratie au titre des « problèmes ». Cela vaut bien une explication ! En fait la question concerne avant tout les malversations que certains hommes politiques ont réalisées derrière le masque de la démocratie.
Nous désamorçons le problème en expliquant qu’il n’y a pas une démocratie qui soit la même qu’une autre et que c’est avant tout une « culture démocratique » qui permet le bon fonctionnement d’une société démocratique. Donc moins que le système en lui-même, c’est peut-être plutôt le manque de maturité démocratique et la malhonnêteté de certains qui est à l’origine des scandales cités. Reste que la corruption est l’un des problèmes numéro un qui est constamment relevé par les élèves depuis le début de notre voyage.
La Slavonie, Souvenirs de guerre
Notre prochaine escale, Osijek et Vukovar. Une destination pas comme les autres. Ces deux villes, situées en Slavonie, toutes proches de la frontière avec la Serbie-Monténégro ont été en première ligne lors du conflit de 1991. Arrivés à Osijek nous avons du mal à nous dire que nous sommes en Croatie (cela vaut aussi pour Čakovec). Nous pourrions tout aussi bien être en Hongrie, Slovaquie, Pologne ou un autre pays d’Europe centrale. Impossible de voir la différence.
Le lendemain, nous réalisons notre intervention dans une école de médecine. A la fin de notre exposé, une élève nous propose de réaliser la même intervention devant le public des bénévoles de la Croix rouge. Nous acceptons ! Le public sera très réceptif. Pas étonnant, car en terme de « citoyens actifs », nous n’avons rien de fondamental à apprendre à ces jeunes gens.
Nous quittons la ville le lendemain pour Vukovar, distante seulement de quelques dizaines de kilomètres. Osijek nous avait déjà sensibilisé avec la guerre du fait de nombre de ses bâtiments encore recouverts d’impact de balles. Cette fois, nous rentrons dans une ville en ruine ! A croire que le conflit vient juste de se terminer alors que 15 ans se sont déjà écoulés.
En effet Vukovar est un symbole. Après la déclaration d’indépendance de la Croatie, le 25 juillet 1991, la guerre éclate entre ce pays est les milices serbes appuyées par les forces de l’armée yougoslaves. Une guerre qui durera jusqu’en janvier 1992. La ville de Vukovar, défendue par 1800 soldats sommairement armés, sera assiégée pendant plus de trois mois par près de 600 chars et véhicules armés, entre 40 et 60000 soldats et régulièrement bombardée par l’aviation. Le 18 novembre, l’armée fédérale et des unités paramilitaires serbes prennent finalement la ville, totalement détruite. Ces chiffres sont à vérifier, bien sûr ! Reste que lors de la prise de la ville, les massacres furent très importants, ainsi que dans les environs, comme à Nadin et Sabrinj où 99 civils furent éliminés.
Nous interviendrons à la maison de l’Europe de la ville, une maison comme les autres, qui a été rénovée à l’intérieur mais reste marquée par la guerre à l’extérieur. Notre intervention se déroule sans encombre avec un public de Croates, de Serbes et même de Hongrois. La directrice, particulièrement dynamique et sympathique, nous prête les clés de la maison de l’Europe et met à notre disposition une pièce où nous pouvons nous installer.
Nous passerons donc le week-end dans cette ville très spéciale où la moitié des bâtiments sont encore en ruine, éventrés et totalement recouverts d’impact de balle. Ce spectacle singulier nous fait ressentir tout particulièrement l’horreur de la guerre. On s’imagine avec une facilité déconcertante les militaires aux aguets derrière chacun des murs et la férocité des combats qui ont ravagé cette ville. Une sorte de ville fantôme mais à moitié seulement car aussi pleine de bâtiments flambants neufs ou totalement rénovés, d’un hôtel quatre étoiles ultra moderne juste à côté de la carcasse de l’ancien palais des sports, et d’habitants qui pourraient être les mêmes que dans n’importe quelle autre ville.
C’est une « ville musée » et je ne cache pas mon désir de la voir conserver certains quartiers en ruine afin de ne jamais oublier. Car il faut bien comprendre que voir des photos ne peut donner le même sentiment que de marcher dans les rues de cette ville. Y passer quelques jours vous imprègne d’une manière étrange, presque indescriptible. Tout comme visiter Auschwitz (ce que nous avons fait avec Yves en Pologne en 2004), la visite d’une ville en ruine est une expérience à vivre.
Mais je sais également que pour ceux qui vivent ici, il est impossible de leur demander de conserver leur ville en l’état. Les habitants que nous avons rencontrés se plaignent déjà de la séparation des communautés. Les Serbes vont dans les écoles serbes, les Croates dans les écoles croates. Alors la guerre, on veut l’oublier et c’est bien compréhensible. Mais je reste persuadé qu’il pourrait y avoir une possibilité de placer cette ville au « Patrimoine mondial de l’UNESCO » ou de la classer d’une manière ou d’une autre et de lui donner la possibilité de se reconstruire de façon à sauvegarder de larges traces du conflit.
Un pari osé, mais pourquoi pas ! Les hommes sont toujours fiers de devoir assumer des responsabilités. Ce n’est pas rien que d’assumer celle de « témoin des horreurs de la guerre » pour les Européens d’aujourd’hui et de demain. D’ailleurs, pour preuve de l’adaptation incroyable dont sont capables les êtres humains, Daniela, notre « guide » lors de la visite de la ville, nous avoue qu’elle n’avait plus conscience qu’il y avait tant de bâtiments en ruine. Pourtant on ne voit que ça !
Mais c’est peu comprendre que l’on s’adapte très vite à son milieu et, surtout, que l’on ne voit que ce qui nous intéresse. Daniela ne voit même plus les ruines de sa ville, où plutôt, elle n’y prête plus attention. La vie reprend toujours le dessus ! Et il est vrai que le contraste entre les habitants, en particulier les jeunes habillés de manière « ultra-fashion », et les bâtiments qui les entourent, à moitié dévastés, est plutôt surprenant. Les jeunes s’amusent comme partout ailleurs et nous fêterons la Saint Patrick dans le nouvel Irish pub de la ville, dans une ambiance que l’on retrouve partout ailleurs.
La Dalmatie, Croatie côtière
Enfin nous terminerons notre tour de Croatie par les superbes villes de Zadar, Split et Dubrovnik, les trois grandes cités de Dalmatie, la région côtière. Aurions nous changé de pays ? Ce n’est plus l’Europe centrale mais la Méditerranée ! Des villes aux allures gréco-romaine, en particulier Split, vénitienne pour Dubrovnik, des pierres blanches et des palmiers, et une côte, il faut bien l’avouer, d’une rare beauté.
L’intervention de Dubrovnik fût marquée par une prise à parti au sujet du général croate Ante Gotovina qui est depuis peu jugé au sein du Tribunal pénal international pour l’ex-yougoslavie. En effet ce dernier a toujours exigé du gouvernement croate la livraison de ce criminel de guerre, longtemps en fuite, comme condition du début des négociations d’adhésion en vue de l’intégration à l’Union européenne.
Le général est toujours très populaire au sein de la population, surtout en Dalmatie, sa région d’origine, où il est considéré comme un héros et non comme un criminel. Nous aurons l’occasion de le constater à la vue des nombreux graffitis qui le qualifient de héros (« A. Gotovina Heroj ») et des posters ou calendriers à l’effigie du général avec pour légende « Heroj a ne zločinac » (« héros et pas criminel, ou assassin »).
Dubrovnik a aussi beaucoup souffert de la guerre, pilonnée par la marine yougoslave et l’armée des Serbes et Monténégrins (sauf qu’ici, contrairement à Vukovar, il ne reste plus aucunes traces visibles du conflit). Une élève nous accuse, nous, les « Occidentaux » de les juger sans en avoir le droit. « N’est-il pas normal de se défendre lorsque l’on se fait attaquer ? » s’exclame-t-elle.
Nous sommes tout à fait d’accord, mais il y a une différence entre se défendre et devenir à son tour un bourreau. Le général Gotovina est accusé de nettoyage ethnique contre les Serbes et même de l’un des plus importants de la guerre. Bien sûr, nous n’étions pas là pour voir ni pour ressentir ce qui s’est réellement passé. Reste qu’il ne peut être acceptable, si l’on se veut un Etat de droit respectueux des Droits de l’homme, de répondre à la barbarie par la barbarie.
Nous terminerons donc notre séjour sous le soleil de Dubrovnik, une ville qui mérite amplement son surnom de « perle de l’adriatique »...
Notre prochaine destination, la Bosnie-Herzégovine, nous réserve une expérience passionnante, dans un « pays » où les problèmes identitaires et la situation politique atteignent des sommets de complexité.
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