Solidarité, quel est ton non ?

, par David Pauwels

Solidarité, quel est ton non ?
Manifestation contre le TSCG le 30/09/2012 Auteur : Philippe Leroyer Certains droits réservés

Dimanche, se sont déroulées les premières manifestations françaises contre le TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance), qui devrait être ratifié par les parlementaires nationaux avant la fin du mois d’octobre. L’appel du Front de Gauche a rassemblé entre 10 000 et 100 000 personnes, selon les sources, pour qui le mot d’ordre était : « non à l’austérité ».

La contestation repose sur quatre points qu’il convient de bien détailler :

  • 1- « Non à l’austérité ». Le traité établirait de facto une cure d’amaigrissement dont le principal enjeu serait de limiter les possibilités de relance et d’investissements nécessaires à l’emploi et au bonheur des peuples.
  • 2 - « Appel au référendum ». François Hollande mépriserait la volonté du peuple en passant par la voie parlementaire. Le référendum rendrait au peuple son pouvoir de décision.
  • 3 - « Pas cette Europe-là ». L’Europe des banquiers (les fameux « banksters ») n’est pas l’Europe des peuples, qui serait nécessairement sociale et solidaire.
  • 4 - François Hollande a trahi ses engagements. Il avait dit qu’il renégocierait le traité Merkozy et a failli dans cette démarche.

L’Europe, le nouveau clivage ?

Tout d’abord, et sans vouloir être facétieux, une manifestation qui vise à critiquer « les bureaucrates de Bruxelles » qui « imposent la misère » en démarrant de la place de « la nation » parait un tantinet caricatural. C’est pourtant la vérité. En témoigne ici ce personnage sensé représenter « les méchants européens », contre les « pauvres peuples ». (tiré du reportage de Jérémy Artman, diffusé sur LCP lundi 1er octobre)

Peut-être pour la première fois, le logiciel idéologique de la gauche radicale s’enrichit d’un vocabulaire qui n’était pas jusqu’alors celui de l’internationalisme. En l’occurrence, ce logiciel est partagé par une partie de la droite souverainiste. « La nation est en danger et le peuple doit le faire savoir » pouvait-on lire sur les réseaux sociaux. La nation apparaît ainsi comme un rempart contre un mal extérieur qui en menace la pureté. Pour comparaison, les élus républicains aux Etats-Unis n’ont de cesse de contester le « big governement », l’état fédéral américain, dont les prérogatives empiètent sur la liberté des états. Ils portent en horreur l’image de ce monstre tentaculaire prompt à intervenir dans tous les domaines de la vie politique.

La gauche radicale, la droite souverainiste et le tea party : même combat ? A relire leurs contestations, on est tenté de le dire. « UE = Rouleau compresseur de l’oligarchie qui a asservi les politiques au pouvoir », y avait-il encore. L’Union est donc perçu comme le grand capital, le conglomérat des ultra-libéraux qui vont paupériser les peuples pour les uns, ou comme cette machine à détruire la France, qui va fragiliser les fondement de la nation mise en danger par la décision d’institutions étrangères pour les autres. Dans les deux cas, la même détestation du monstre européen. Les souverainistes s’en donnent à cœur joie : leurs thèses sont validées par la gauche de la gauche. Curieux soutien tout de même. N’y a-t-il pas là une nouvelle fracture, un nouveau clivage dans l’échiquier politique ? Les pro-européens, et les autres ? Les mois qui vont venir le prouveront.

Autre point : François Hollande mépriserait la volonté du peuple en refusant le référendum. Or, la légitimité du Parlement français a-t-elle été abandonnée ? Depuis quand cette instance législative n’est-elle plus représentative ? Jusqu’à preuve du contraire, la France n’a pas changé de république (ce qui aurait d’ailleurs nécessité... un référendum), et le recours à la voie parlementaire n’a rien d’anti-démocratique. D’ailleurs, si c’était le cas, 24 des 27 pays européens seraient anti-démocratiques.

Le prix de la solidarité

Mais le paradoxe le plus flagrant est lié au point 1 et 3. Ce traité symboliserait l’Europe des banquiers. Or cette Europe-là vient de prendre un sale coup depuis le 12 septembre. En effet, la conférence de presse donnée par Michel Barnier est on ne peut plus claire : la BCE sera chargée de la supervision des banques privées en Europe. Il faut rappeler qu’entre 2008 et 2011, 4 500 milliards d’euros ont été versés par les Etats en aides et garanties à leurs banques. Résultat : un déficit grandissant. Ce ne sera plus le cas désormais. La mécanique qui a mené les banques à faire payer les Etats sera enrayée par cette décision. Autrement dit, les racines qui ont contribué à nous mener au bord du gouffre sont sur le point d’être coupées. Ces mesures sont d’ailleurs réclamées par la gauche elle-même depuis plusieurs mois. Sans compter que la BCE a franchit le pas de l’intervention. Certes, ce sont des avancées encore timides, il n’empêche que la situation actuelle est loin du tableau apocalyptique qui a prévalu dimanche.

Par ailleurs, et c’est là le point le plus important, l’aide aux Etats est conditionnée à la ratification du traité. Des milliards d’euros ont déjà été versé pour aider les pays en difficulté. Jusqu’alors, ces aides étaient versées sans aucune contre-partie. Les Allemands en tête ne veulent plus payer le prix fort pour les autres. C’est en fait une dialectique solidarité/discipline qui se met en place. C’est un paquet plus global qui englobe, par ailleurs, des avancées sur la taxe des transactions financières.

Si on synthétise ainsi, la manifestation de dimanche réclame la solidarité en refusant de voire voter un traité qui permet la solidarité financière entre Etats. Si demain la Grèce a besoin d’une nouvelle aide financière, elle le fera en appelant le MES à l’aide, MES qui est approvisionné par les pays en situation de bonne santé financière. Si le traité n’est pas ratifié, le MES ne pourra pas être utilisé comme il se doit. La mécanique serait rompue, et l’Etat pourrait sombrer dans la faillite.

Comme le rappelle fort justement Jean-Luc Sauron : « Si les pays de la zone euro n’étaient pas intervenus depuis 2009 au soutien de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande, où et comment ces derniers auraient-ils trouvé les moyens de financer les retraites, les dépenses publiques et les investissements « non compressibles » ? ». La solidarité peut exister, mais elle a besoin de garantie, c’est ce que demande ce traité.

L’Europe s’est construite sur le compromis.

Selon toute vraisemblance, le pacte budgétaire devrait être ratifié par le Parlement français. Ce n’est pas du tout un déni de démocratie, mais une des voies possibles pour légiférer. Ce faisant, la France donnera un gage à l’Allemagne : suite aux multiples nouvelles qui sont intervenues pendant ce mois de septembre, elle accepte de tendre la main. Ce n’est d’ailleurs pas un geste inconnu dans l’histoire de l’Europe. Le collectif « Sauvons l’Europe » rappelle même que cette main tendue n’a rien de la soumission : « Le Gouvernement de François Hollande a trouvé en arrivant un TSCG Merkozy, qui enregistrait les exigences de l’Allemagne. Il a fait de son acceptation la contrepartie d’un renforcement de la BEI, la création d’un fonds d’investissement pour la croissance de 120 milliards d’euros, la mise en avant de la taxe sur les transactions financières, une union bancaire et bien entendu l’évolution de la position de la BCE. Nous n’hésitons pas à critiquer certains éléments, mais que l’on ne se trompe pas sur la méthode : on n’ira pas plus loin en refusant d’entendre le message de l’Allemagne. »

Les manifestants de dimanche se paient donc un luxe, un caprice remarquablement mal calculé : celui du refus du compromis. Apparemment, mieux vaudrait s’arc-bouter sur des principes simples et caricaturaux, que prendre le temps de l’analyse. Le romantisme de la contestation, le sentiment de puissance que confère la foule dans l’esprit d’un manifestant supplantent ainsi son esprit critique. Mais le grand perdant dans tout ça, c’est encore et toujours le même : l’Europe.

Vos commentaires
  • Le 3 octobre 2012 à 13:34, par Valéry En réponse à : Solidarité, quel est ton non ?

    Peut-être pour la première fois, le logiciel idéologique de la gauche radicale s’enrichit d’un vocabulaire qui n’était pas jusqu’alors celui de l’internationalisme.

    Il ne s’agit pas du tout la première fois : c’était déjà le cas dès le référendum sur Maastricht en 1992 (par exemple par la voix de Chevènement ou en 2005. On se entre autre souviens du pathétique T’en connais un toi de Lituanien ? du leader d’extrême-gauche Mélenchon.

    Serge July avait d’ailleurs dénoncé cette situation dans son brillant éditorial du 30 mai 2005.

    Le vacarme du discours des rouge-bruns sur l’Europe cache malheureusement les critiques plus pertinentes sur ce traité, notamment notre Non de fédéralistes européens.

  • Le 3 octobre 2012 à 22:13, par David Pauwels En réponse à : Solidarité, quel est ton non ?

    Oui j’ai lu l’article Valéry (y compris une bonne partie de la discussion qui s’en est suivie). C’est un texte que je rejoins très largement sur les constats qu’il dresse, notamment sur le bilan de l’intergouvernementalisme, dont on ne peut pas dire qu’il soit fleurissant. Ce sont des critiques tout à fait légitimes.

    Pour autant, en l’état actuel des choses, et compte tenu du contexte, je considère en effet, que le refus pur et simple de ce texte, quand bien-même les intentions sont louables, ne joue pas franchement en faveur des fédéralistes.

    Nous vivons une période où nos idées sont mises à rude épreuve, et peut-être de la manière la plus dangereuse. Nous ne passerons pas ce « grand saut », aussi soudain que salvateur, vers l’Europe fédérale. Les peurs, les angoisses collectives et les colères jouent trop en notre défaveur. Nous sommes, pour l’instant, et j’en suis le premier à me plaindre, contraints aux petits pas, aux petites avancées. Dont acte.

  • Le 4 octobre 2012 à 01:08, par Thomas Chamaillé En réponse à : Solidarité, quel est ton non ?

    Bonjour,

    faisant partie de ceux élégamment assimilés aux « bruns » par notre camarade au dessus, je me permets d’intervenir pour apporter quelques éléments d’explication rapide sur l’article qui frôle parfois le mensonge par omission et assène des éléments comme des réalités ou des causalités naturelles qui n’existent pas.

     Mélenchon est original en cela qu’il a extrait « l’extrême gauche » de son seul logiciel communiste et trotskiste (internationalistes) pour le rattacher à une autre tradition de gauche plus ancienne qui remonte à la révolution française. La nation est un concept qui « nait » de la gauche et auquel celle-ci se rattache fortement jusque dans les années 60-70 (où les communistes reprennent paradoxalement le flambeau, voir les discours de Marchais). « A celui qui n’a rien, la patrie est son seul bien » disait Jaurès, et une partie de la gauche (et du PS) s’y retrouve désormais.

     La comparaison avec les Républicains américains est pour le moins fallacieuse. Les Etats-Unis, état fédéral, s’est construit sur une base fédérale dès son origine, et sur un socle culturel majoritaire commun (langue anglaise, protestantisme, libéralisme). Rien de tout cela n’existe en Europe car il n’existe pas de peuple européen. Aussi la contestation de la superstructure serait davantage à rattacher aux mouvements régionalistes de catalogne, Flandre ou « Padanie ».

     Vous écartez un des principaux éléments de la contestation : l’abandon de la souveraineté du parlement. C’est le consentement à l’impôt qui fonde la citoyenneté aux origines (les citoyens actifs comme on les appelait). Le traité, en soumettant le parlement à un examen et a un éventuel réajustement de ses politiques budgétaires met la liberté du peuple sous la coupe réglée de deux institutions non-élues : la commission et la CEJ. Le tout pour imposer des orientations budgétaires fortement idéologiques et qui ont largement eu le temps de montrer leurs effets néfastes.

     Enfin, si la question des « banksters » et du monde financier dépasse la simple responsabilité de l’UE, force est d’avouer que celle-ci à systématiquement abondé dans le pire sens qui soit, et l’os à ronger de monsieur Barnier (qui profite de l’occasion pour ajouter en douce une pierre de plus à l’édifice fédéral) ne masque pas que les décisions de l’Ue ont été une prime au monde de la finance ou à la dérégulation (le prêt à 1% d’intérêt aux banques privées décidé par M. Draghi (d’où vient-il déjà ?) en est l’incarnation, ou encore la fin des quotas textiles avec la Chine).

    Affubler l’UE de tous les malheurs du monde est absurde, vouloir l’absoudre systématiquement en dépit des faits l’est tout autant. L’UE n’a cessé de trahir ses promesses ("avec Maastricht on rira beaucoup plus ! -B. Kouchner), il ne me parait pas illégitime de regarder ce qu’il se passe avec une certaine méfiance.

    Bien à vous

    Un affreux nationaliste.

  • Le 4 octobre 2012 à 10:52, par Fabien Cazenave En réponse à : Solidarité, quel est ton non ?

    Pour répondre à Thomas :

    Pour se reconnaître dans un pays, point besoin de ne se définir que comme Français, on peut très bien avoir une identité multiple. La notion de Nation avec un peuple unique est une fiction qui a ses vertus mais aussi beaucoup de gros défauts que les fédéralistes combattent. Par exemple, la notion de « peuple » est figée ce qui indique qu’on ne pourrait jamais vivre en tant que citoyen dans un autre pays. C’est un peu embêtant pour tous ceux qui ont la double-nationalité ou des parents de deux patries différentes : ne peuvent-ils être citoyens des deux pays ? De même, une Polonaise vivant en France depuis plus de dix ans, étant mariée à un Français, projetant de continuer à vivre en France doit-elle renoncer à son identité de Polonaise pour devenir Française afin de devenir officiellement citoyenne de son pays ?

    Le « peuple européen » existe déjà, dès qu’on sort de notre continent, on s’en aperçoit.

    Sur la souveraineté : parce que nous sommes souverains à être aussi dépendants des marchés financiers ? Mieux vaut des règles de contrôle qui nous permettent de mener toute politique économique souhaitée sans mettre en danger les autres... surtout que cela s’appliquera justement aux autres qui ne pourront plus nous mettre en danger.

    Pour autant, vous trouverez sur ce webzine beaucoup de papiers débattant du TSCG, où certains sont contre et d’autres pour... mais comme par hasard, la question de « l’austérité imposée d’ailleurs » n’apparaît pas.

    Un joyeux fédéraliste

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