Ce samedi prenait fin le sommet de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord qui avait lieu à Lisbonne, les 19 et 20 novembre. Il revêtait une importance certaine : il s’agissait de déterminer une feuille de route pour l’OTAN ces dix prochaines années, de délibérer à propos de l’intervention en Afghanistan, d’élaborer un délicat partenariat avec la Russie, avec l’UE, et enfin de discuter du budget et des moyens alloués à l’OTAN. Ce sommet donne le sentiment d’avoir été très productif : il se voulait le sommet qui marquerait la fin de la stratégie militaire pensée au moment de la Guerre froide. De nombreuses décisions ont été prises, sur des sujets divers et les dossiers ont manifestement avancé. Toute la question est de savoir dans quel sens.
Le partenariat avec la Russie, un tournant dans l’histoire de l’OTAN ?
L’ordre du jour à Lisbonne comportait un point notable, dûment mentionné et fêté dans la presse et les médias, à savoir le partenariat avec la Russie. Cet accord a plusieurs volets : d’une part, inclure la Russie dans le système de défense européen, plus particulièrement le bouclier antimissile, ce qui a été largement relayé, et d’autre part, s’assurer de la coopération de la Russie lors de l’évacuation des troupes de l’OTAN hors d’Afghanistan, ce qui a connu une publicité moindre.
Il fallait instaurer un partenariat qui satisfît toutes les parties. Sans intégrer la Russie dans l’OTAN ni instaurer de partenariat resserré, pour ne pas froisser les anciens pays frères venus chercher dans l’OTAN une protection contre ce qui restera longtemps dans leur mémoire la mère patrie du socialisme réel. Cet accord permettra de développer des liens économiques et satisfera les exigences russes, que Dimitri Medvedev a exprimées, de ne pas faire un accord au désavantage de la Russie, qui espère au passage trouver en l’Europe un débouché pour sa production d’armes. C’est ce qu’indique cet article de la Nezavissimaia Gazeta, qui montre ce que les Russes peuvent attendre de l’accord.
Cet exercice d’équilibriste achevé, on ne peut que se réjouir du rapprochement avec la Russie, qui montre qu’on dépasse le contexte de Guerre froide dans lequel l’OTAN a été créée. Bruxelles et Moscou ont accordé leurs violons dans la douce harmonie de l’Europe pacifiée et unie, sous l’égide bienveillante de Washington… Avis à ceux qui concevaient encore le monde par le biais de ses anciennes lignes de fracture : le Mur est tombé, « l’ordre mondial » a changé, le sommet est allé dans le sens de l’Histoire. Tel semble être le message.
Plus prosaïquement, il faut rappeler que la Russie coopérait déjà avec l’OTAN avant la crise géorgienne de l’été 2008, ce qui relativise le caractère historique qu’on veut bien donner à ce partenariat conclu à Lisbonne. Par ailleurs, il faut s’interroger sur ce changement dans les perspectives stratégiques. Auparavant, le bouclier antimissile européen était fait pour défendre le territoire européen d’une attaque russe. Qui est l’ennemi contre lequel l’Europe et la Russie se prémunissent aujourd’hui avec le bouclier antimissile ? L’Iran ? La Corée du Nord ? N’assiste-t-on pas à l’émergence progressive d’une force militaire des pays de l’hémisphère Nord, implicitement sur la défensive vis-à-vis des pays émergents du Sud ? S’agit-il de faire bloc contre le reste du monde ? Et que peut nous apprendre cet accord du « succès » de l’OTAN en Afghanistan ?
Le terrorisme, combien de divisions ?
L’OTAN a pris en compte les nouveaux types de menaces auxquels elle devrait faire face : loin d’une logique de guerre entre Etats, il s’agit de concevoir désormais des stratégies militaires différentes. Alors que notre culture est plutôt accoutumée à concevoir l’Etat en tant qu’émanation des citoyens et comme l’interlocuteur privilégié dans un conflit, la menace terroriste nous confronte à un écueil : ces groupes armés ne correspondent pas à un pays donné, malgré ce qu’on a voulu croire. C’est une menace qui n’est pas quantifiable, qui peut prendre des formes variées (cyber attaque, attaque bactériologique, attentats…), et qu’on sait encore mal appréhender.
Ainsi en Afghanistan, avoir détruit puis reconstruit un Etat avec des bouts de ficelle n’a que peu écorné l’emprise talibane dans la région, et a au contraire favorisé un échange avec le Pakistan voisin. Si les talibans n’ont plus le pouvoir sur l’ensemble du pays, leur pouvoir s’est de fait trouvé renforcé dans de nombreuses zones. La stratégie naïve qui consistait à s’appuyer sur le Pakistan comme sur un « Etat allié » est elle aussi caduque : le Pakistan joue un double jeu dangereux dans la région, et on sait depuis quelques années déjà que le Pakistan profite de l’instabilité de son voisin afghan voire favorise en sous-main les talibans.
L’accord avec la Russie est d’ailleurs un signe clair de la désillusion des membres de l’OTAN, particulièrement les USA, à ce sujet. Malgré les discours de façade de Barack Obama, qui assure que la victoire est si complète que les troupes pourront se retirer dès 2014, la situation paraît plus complexe. Au point de nécessiter l’aide des Russes, en espérant vaguement qu’ils se sentiront concernés par l’instabilité régionale. Surtout, l’accord permettrait aux troupes d’évacuer l’Afghanistan en passant par la Russie et non par le Pakistan, cet allié devenu si peu sûr qu’on lui préfère l’ennemi d’hier. Outre le problème de l’Afghanistan, les menaces auxquelles l’OTAN se prépare désormais à faire face sont plus diffuses, et moins gourmandes en moyens. Ces constats ont amené à opérer une restructuration drastique de l’OTAN… à moins que ce ne soit la pénurie de moyens des Etats liés à la crise économique qui ait accéléré ce constat.
Le porte-avions et le porte-monnaie
On a un peu occulté dans les effets d’annonce une part majeure des décisions prises lors de ce sommet : les coupes budgétaires. Le sujet devait être débattu et les accords ont de toute évidence posé moins de problème que l’élaboration de résolutions aussi décisives que celle sur laquelle se sont accordées la France et l’Allemagne. Elle fixe le louable but d’arriver à terme à un monde sans armes nucléaires, tout en stipulant le besoin de ne pas complètement s’en débarrasser pour le moment.
Les pays contributeurs, principalement les USA, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, qui apportent plus de la moitié du budget total, sont tous frappés par la crise économique, et l’OTAN fait les frais de cette période de vaches maigres. L’argent, le nerf de la guerre, se dépense désormais avec parcimonie.
M. Rasmussen qui souhaite « enlever la graisse et garder le muscle », va donc faire subir à l’OTAN une cure d’amaigrissement. L’OTAN est désormais au régime sec : il s’agit de diminuer les effectifs des personnels d’un quart (environ 5000 personnes), sans compter la réduction dans les différentes agences émanant de l’OTAN. Le nombre de quartiers généraux va également fondre, passant de 14 à 3.
Déjà, les accords bilatéraux passés récemment entre la France et le Royaume-Uni s’engageaient sur la voie d’une coopération en vue de réduire les coûts d’armement. Par ces nouveaux accords, les Etats cherchent à restreindre leurs budgets, en habillant à peine leur plan de restructuration du voile pudique de la « recherche d’efficacité » et de « l’amitié entre les peuples ».
Que cela peut-il signifier pour la défense européenne ? Le partenariat entre l’UE et l’OTAN est-il si avantageux ? Certaines actions seraient pilotées par l’UE et pour l’UE, mais jusqu’à quel point l’UE serait-elle indépendante et pourrait disposer de forces dévouées, alors que les USA sont le plus gros contributeur au financement de l’OTAN ? Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour savoir que l’OTAN est en grande partie soumise aux décisions des USA, quelle que soit l’instance qui la mandate : par exemple, les décisions au sujet du retrait d’Afghanistan ont été prises sans consultation de l’ONU, qui est pourtant l’organe qui a donné mandat à l’OTAN pour intervenir.
D’après les récentes déclarations du président Sarkozy, on peut craindre que cet accord ne nuise au développement d’une défense européenne autonome : il semblait privilégier le développement d’une force de défense européenne au sein de l’OTAN, ainsi que le suggère cet article de bruxelles2.eu.
La crise économique explique la volonté des Etats de vouloir réduire les budgets et d’éviter les doublons entre une défense dans l’OTAN et une défense européenne. Mais cet objectif de réduction des budgets risque de venir battre en brèche le projet de l’Union Européenne. Sans défense propre, l’UE ne pourra s’imposer comme un acteur politique réel dans le monde.
1. Le 25 novembre 2010 à 23:14, par Michel Gelly En réponse à : Sommet de l’Otan à Lisbonne : richesse des décisions et pauvreté des moyens
Très bon article ! Il marie savamment l’actualité chaude avec une analyse fine projetée sur le long terme. Merci le Taurillon ! Continuez comme ça !
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