Sport et Citoyenneté, le travail d’un think tank à Bruxelles

Taurillon : Votre organisation, Sport et Citoyenneté, prône un « sport au service de la société ». Que cela signifie-t-il pour vous ?

Julian Jappert : Cette phrase représente l’essence même de notre démarche et le cœur de notre engagement. Sport et Citoyenneté est en effet un groupe de réflexion, un laboratoire d’idées -ce qu’on appelle un « think tank »- dont la vocation est la promotion des valeurs du sport et leur meilleure implantation dans la société. Le sport est en effet un formidable vecteur d’éducation et d’éveil à la citoyenneté, une école de la vie. Il fait partie des secteurs qui touchent le plus les citoyens européens : non seulement les évènements sportifs sont suivis par des centaines de millions d’européens, mais près de 4 citoyens européens sur 10 font du sport au moins une fois par semaine et le secteur vit grâce à plus de 10 millions de bénévoles en Europe. La pratique sportive permet de développer ses capacités physiques, de se détendre et de s’amuser, mais aussi d’améliorer sa santé (physique et mentale), d’aider les personnes défavorisées à s’intégrer dans la société, ou encore de rencontrer des gens d’autres cultures.

A travers ces quelques exemples, on se rend compte de tout le potentiel qu’offre le sport en termes d’éducation, d’intégration, de santé publique, de développement humain, de cohésion sociale… Il constitue également un outil de communication particulièrement attractif pour faire passer des messages et des idées fortes. De nombreuses associations interviennent sur le terrain pour promouvoir ces valeurs. C’est une excellente chose. Notre association a un but différent mais très complémentaire par rapport à ces structures. En tant que groupe de réflexion, agitateur d’idées, nous souhaitons attirer l’attention des pouvoirs publics sur le rôle que peut jouer le sport dans la promotion de la citoyenneté, notamment européenne. A travers nos débats, nous nous apercevons que lorsqu’il y a constat de déficit de citoyenneté, le sport peut bien souvent apporter du liant car il est par nature un exercice de proximité et il peut « décongestionner » les structures sociales parfois trop rigides ou étanches. Promouvoir ces idées auprès des décideurs publics, du mouvement sportif et des acteurs économiques, médiatiser ces actions auprès du grand public, aider des projets à se développer autour de la citoyenneté par le sport… telles sont les ambitions de notre structure.

Taurillon : Pensez-vous que la place du sport, son rôle social, tel que vous le concevez, corresponde aux valeurs de l’Europe actuelle ?

Julian Jappert : Indéniablement. Le sport tisse des liens très forts entre les citoyens, même quand ils ne partagent pas la même langue. Les rencontres sportives européennes, les grands événements sportifs internationaux témoignent de la richesse de ces échanges, de ces rencontres. Aujourd’hui, une certaine distance entre les citoyens et l’Union européenne se creuse. Les raisons sont multiples mais l’absence d’un esprit public européen, d’un projet commun et d’un socle de valeurs propres à l’ensemble des peuples de l’Union n’y est pas, à mes yeux, étranger. Dès lors, tout ce qui permet de rapprocher les citoyens, tout ce qui peut favoriser ce « vouloir vivre ensemble » si cher aux Pères Fondateurs est à encourager et à défendre. Le sport est l’un de ces secteurs. C’est un dénominateur commun à l’ensemble des peuples de l’Union et une entrée particulièrement intéressante dans la construction d’une identité européenne commune de part les valeurs qu’il porte (solidarité, échange, dialogue…) et les multiples problématiques européennes qu’il épouse (inclusion sociale, mixité, dialogue interculturel…). Il a donc toute sa place dans le projet commun qu’il est nécessaire de construire si on veut créer une véritable Europe des Citoyens.

Taurillon : Réfléchir, Informer, Conseiller, Organiser : vous vous donnez un champ d’action très vaste, sur une thématique qui demeure essentiellement du ressort des Etats. Quelles sont les causes majeures que vous portez auprès des institutions européennes ?

Julian Jappert : Le champ que nous couvrons est en effet assez large et peut s’expliquer par le fait qu’il n’existe pas à l’heure actuelle, en France mais aussi en Europe, de structure qui se propose de jouer le rôle que nous menons : susciter des débats de qualité, des réflexions scientifiques poussées, promouvoir le sport comme vecteur de citoyenneté directement auprès des décideurs publics et privés avec sérieux et afin d’obtenir des résultats quantifiables. Nous avons la chance de pouvoir compter sur le soutien de nombreux experts, français et européens, sensibles à notre démarche et qui interviennent au sein de notre Comité Scientifique. Les travaux de ce comité trouvent leur prolongement à travers la publication d’une revue scientifique qui confronte tous les trois mois le sport à un thème de société différent. Nous avons déjà pu travailler, par exemple, sur des thèmes majeurs comme la santé, le droit du sport, le développement durable, la mixité, l’insertion par le sport, l’éthique dans l’économie du sport, le bénévolat…

Les résultats de ces études, de ces débats entre acteurs de la société civile, sont ensuite portés à la connaissance des principaux décideurs européens, notamment les institutions communautaires. L’objectif est de favoriser le dialogue civique dans le domaine du sport et de proposer des pistes de réflexions à l’attention des pouvoirs publics. Un autre axe de travail important de notre think tank réside dans l’organisation et la participation à divers colloques et conférences autour de ces questions de sport et de société. Ces événements nous permettent de continuer la réflexion sur les thèmes abordés dans nos revues. A titre d’exemple, nous avons organisé au Parlement européen en janvier dernier une conférence sur la thématique « Femmes et le Sport » qui est venue compléter la réflexion entamée dans une de nos précédente revue. Le fait d’être précurseur dans ce domaine nous offre d’importantes possibilités d’action. Nous trouvons peu à peu notre place et l’accueil qui nous est fait témoigne de la pertinence de notre positionnement

Taurillon : Vous faites le constat de l’échec « des nations à résoudre les conflits ». Mais les politiques du sport sont élaborées aussi bien au niveau local, que national. Comment concevez-vous l’intervention de l’Europe dans ce domaine ?

Julian Jappert : L’impact des politiques communautaires sur le sport et son organisation en Europe est de plus en plus important. Il est inutile de rappeler que le sport est souvent soumis à l’application des règles communautaires de concurrence et du marché intérieur. L’arrêt Bosman nous en a apporté une preuve éloquente.

Mais le sport est aussi en train d’acquérir une véritable dimension européenne au niveau politique. L’adoption du Livre Blanc sur le sport en juillet 2007, la mise en œuvre du Plan d’action Pierre de Coubertin ou la reconnaissance d’une compétence directe de l’Union européenne dans le Traité de Lisbonne vont dans ce sens. Le nouveau traité donnera en effet à l’Union européenne une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des Etats membres. C’est une avancée considérable qui permettra à l’Union européenne de mener une véritable politique sportive. La Commission européenne ou encore le Parlement européen ont, à de maintes reprises, défendu l’idée que le sport devait être appréhendé dans sa dimension sociétale et citoyenne. Espérons que les instruments juridiques et les financements communautaires suivront cette volonté politique.