L’Initiative citoyenne européenne (ICE) est une innovation institutionnelle du traité de Lisbonne entrée en vigueur le 1er décembre 2009. Elle pourra dorénavant être lancée à partir du 1er avril 2012. Cette initiative permettra à 1 million de citoyens, représentant un quart des États de l’Union européenne (7 États), de solliciter la Commission européenne, afin que celle-ci propose et dépose un projet de loi devant le Parlement européen. En d’autres termes, c’est un droit de pétition des citoyens auprès de la Commission européenne.
La première initiative citoyenne, lancée par Greenpeace et Avaaz demandant un moratoire sur les Organismes génétiquement modifiés (OGM), a déjà atteint, avant même la mise en œuvre de l’ICE, le million de signatures. Elle sera présentée au Président de la Commission européenne qui aura quatre mois pour l’examiner. Cela montre que l’ICE correspond à une réelle demande de la société civile (organisations non gouvernementales, associations, citoyens européens). La Commission européenne doit prendre en compte cette initiative. Mais elle n’a pas l’obligation de prendre une position en sa faveur. D’ailleurs, elle n’est pas obligée d’adresser un projet de règlement ou de directive au Parlement européen sur cette initiative.
Combler le déficit démocratique de l ‘Union européenne.
La mise en œuvre de ce mécanisme n’est pas le fruit du hasard. Elle doit répondre au déficit démocratique de l’Union européenne, qui reste l’une des critiques les plus vigoureuses du projet européen. Afin de légitimer l’actuelle architecture institutionnelle, l’Union devait donc répondre à ce défi et s’ouvrir aux citoyens européens, au moyen, par exemple, d’un mécanisme de démocratie participative, telle que l’ICE. Mais cette initiative soulève encore bien des questions. Elles sont de deux ordres, politique et pratique.
Il faut savoir que le Parlement européen ne possède pas de droit d’initiative législative, celui de faire des propositions de loi, comme tous les Parlement nationaux. Il est donc dépossédé d’un pouvoir central. Or, l’Initiative citoyenne européenne, donne une forme de droit d’initiative à un nombre déterminé de citoyens européens. Cette réforme est donc vécue comme un faux semblant pour éviter de réformer le Parlement européen et notamment de lui donner un droit d’initiative législative. C’est une manière de contourner une réforme qui aurait un impact démocratique bien plus fort et important que l’initiative. De plus, l’initiative serait limitée en tant que simple processus consultatif. Enfin, elle permettrait de donner plus de pouvoir technocratique à la Commission européenne qui doit statuer sur l’ICE.
L’initiative pose aussi quelques difficultés pratiques. La logistique pour mettre en œuvre l’ICE par la société civile est très lourde, puisqu’il faut non seulement mobiliser un nombre important de citoyens dans 7 États membres, mais aussi passer par les autorités nationales pour l’homologation des signatures. Financièrement et pratiquement, peu d’acteurs de la société civile peuvent exploiter cette possibilité.
Quel arbitrage entre la confrontation d’intérêts divergents ?
L’ICE soulève sans doute une question plus essentielle, l’opposition entre des intérêts industriels puissants, qui ont pignon sur rue à Bruxelles, et des problématiques plus politiques, soulevées par la société civile européenne. Cela est peut être déjà le cas sur la 1ère ICE qui sera déposée par Greenpeace et Avaaz portant sur les OGM [1]. Or, ceux-ci sont soutenus par de puissants lobbies industriels, alors même qu’ils font l’objet d’un rejet massif par les opinions publiques européennes. C’est ainsi que les institutions européennes vont devoir arbitrer entre les lobbies de l’industrie chimique et un million de citoyens européens, et faire des choix complexes au cœur d’enjeux économiques, écologiques et démocratiques de taille. Comment donc arbitrer de tels enjeux ?
Cette problématique prend tout son sens lorsque l’on sait que les législations européennes sont en faveurs du marché intérieur, et donc, de l’objectif essentiel de compétitivité, irriguant la stratégie économique « Europe 2020 ». Celle-ci est en effet, très largement favorable aux intérêts des puissants milieux d’affaires européens. Les grandes firmes ont ainsi joué un rôle de premier plan dans la promotion de la nouvelle « gouvernance économique ».
Les intérêts économiques ont un puissant levier politique à travers la force de frappe des lobbies extrêmement présents à Bruxelles. Ils se réunissent, par exemple, lors des Tables Rondes des Industriels Européens (ou ERT pour « European Round Table of Industrialists » [2]), l’un des plus puissants lobbies patronaux européen. Ils définissent une stratégie et une action communes dans le but d’influencer et de promouvoir leurs intérêts auprès des institutions européennes.
Comme l’affirme Anne Dufermont, travaillant pour le Conseil européen des Fédérations de l’Industrie Chimique (CEFIC), le plus important lobby industriel installé à Bruxelles : « Notre objectif est tout simplement que la législation européenne prenne en compte les intérêts de l’industrie chimique et la plupart des responsables européens approuvent cette démarche. Il arrive ainsi fréquemment que des députés ou des fonctionnaires fassent appel à nous pour avoir des renseignements sur tel ou tel sujet » [3]. C’est ainsi que les intérêts économiques européens ont de solide relais au sein des institutions européennes.
Comment les initiatives citoyennes peuvent-elles importer la décision dans ces conditions, ou même être simplement sur un pied d’égalité vis-à-vis de ces entreprises ? Elles paraissent bien dérisoires aux acteurs de la société civile européenne pour faire face aux pressions en faveur des milieux économiques, qu’ils soient européens, américains ou des grandes économies émergentes [4].
En effet, comme nous le montrent les premières initiatives lancées en vue d’obtenir les signatures requises, il semblerait qu’elles heurtent très souvent ces intérêts économiques. Le risque est que confrontée à une question fondamentalement polémique, la Commission se résignera à trancher par défaut, c’est-à-dire en se refusant à agir, telle qu’elle en a le pouvoir. Il lui suffira de ne pas tenir compte de l’ICE, prenant ainsi position en faveur des industriels européens.
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