Vers plus de solidarité et de stabilité dans une Europe en pleine tourmente économique

, par Mathias Maertens, traduit par Sophie Trapitzine

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Vers plus de solidarité et de stabilité dans une Europe en pleine tourmente économique

À la suite de l’annonce faite par la Banque centrale européenne de débuter un programme d’achat d’obligations sous conditions, bien que sans véritables limites, à l’état de l’Union dressé par Barroso dans lequel il annonçait travailler à une intégration européenne plus étroite, à la faillite des partis extrémistes eurosceptiques aux Pays-Bas ou encore à la décision de la Cour constitutionnelle allemande, on pourrait facilement devenir optimiste face aux défis que doit actuellement affronter l’Europe.

Hélas, la crise de l’euro persiste tandis que l’économie, en repli sur elle-même, ainsi que les forces nationalistes, déconstruisent lentement l’Union européenne, ne laissant aucune possibilité de retarder ou renverser le processus.

L’opinion publique se nourrit aujourd’hui d’un conte populiste où les pays du Sud, par leur négligence, seraient à l’origine de la crise actuelle. Cette version arbitraire des faits ne prend pas en compte la complexité des chocs économiques qui ont précédé la crise. Elle oublie également le contexte historique qui a accompagné l’intégration des pays européens ainsi que la mise en place de la monnaie unique. De cette conception résulte une radicalisation de l’opinion publique en vertu de slogans simplistes, de jeux à somme nulle ou encore d’un nationalisme menaçant qui empêche toute solution viable et équitable d’être mise en œuvre.

Il y a 20 ans : le traité de Maastricht et la naissance de l’Euro

L’introduction de l’Euro par le traité de Maastricht était censée permettre un approfondissement du marché unique, offrir aux membres de l’UE une stabilité financière et constituer l’instrument politique d’une intégration plus poussée. À première vue, il semble avoir échoué misérablement. Cela était pourtant prévisible, et c’est là le plus important.

Durant les négociations qui ont précédé le traité, le Chancelier allemand Kohl fut souvent averti de l’incompatibilité des données budgétaires italiennes avec les conditions préalables à l’entrée dans l’Union. En dépit de cela, il donna sa permission, pour des raisons politiques : Kohl appréhendait la construction de l’Euro comme partie d’un même tout, auquel il se référait en parlant d’une « contribution à une garantie de paix » afin de calmer la peur des autres États membres, qui ne faisait que s’ajouter à l’Unification allemande. En tant que co-fondateur de l’Union, il argumentait que l’Italie ne pouvait être mise de côté en dépit des conditions budgétaires non conformes aux critères d’admission. La porte était ouverte pour d’autres pays dont les situations ne respectaient pas toujours les pré-requis à l’adhésion. Ces derniers pouvaient rejoindre l’Euro avec l’espoir que leurs déséquilibres apparents seraient maîtrisables.

Il aurait cependant été dommage de jeter le bébé avec l’eau du bain. L’intégration de l’Europe nécessitait certainement une seule et même politique. Pour autant, son initiation n’a pas été accompagnée par des instruments de régulation et de fiscalité qui auraient permis de prendre en compte les déséquilibres économiques au sein de la zone euro. Seul le Pacte de stabilité et de croissance a été introduit comme une mesure censée garantir la stabilité financière, quoique ne concernant qu’une poignée de pays (incluant l’Espagne mais pas l’Allemagne) contraints de respecter les critères. Toutefois, les bénéfices économiques qui résultèrent de l’introduction de la monnaie commune ont, paradoxalement, profité principalement aux pays du Nord, avantagés par l’absence de mesures plus larges. Pendant que les pays mutualisaient les bénéfices de l’euro, les coûts de ces failles institutionnelles auraient dû être mieux partagés.

L’euro fut du pain béni pour l’Allemagne

Bien qu’elle ait dû se séparer de son bien aimé Deutsche mark – surtout contre la volonté des Allemands – l’euro a précisément été du pain béni pour l’Allemagne. Selon une étude menée par la McKinsey Company, le total des bénéfices liés à l’euro pour la seule année 2010 atteindraient les 330 millions d’euros. La moitié de ces gains pourrait être attribuée à l’Allemagne seule, bien qu’elle ne représente que 25% du PIB total. Ces profits considérables ont été le résultat d’un contexte extérieur des plus favorables, avantagé par la mise en place de l’Euro. L’inflation des coûts du travail dans les pays du Sud a donné à « l’homme malade de l’Europe » la chance de restaurer sa compétitivité grâce aux réformes Harz qui ont maintenu constants les salaires allemands, sans qu’il ait été besoin que l’UE viole l’objectif des 2% d’inflation fixé par la BCE.

En outre, l’Euro a développé un marché où les pays du Nord avaient la possibilité d’exporter, sans que cela ne conduise à l’appréciation de leur devise. Cet argument n’est pas pris en compte bien qu’il soit essentiel de comprendre que la présence des pays importateurs a été, et demeure, décisive pour les pays du Nord qui souhaitent rester compétitifs sur le marché. L’épargne supplémentaire de ces pays a migré des systèmes bancaires américains vers les régions garantissant de très bons retours sur investissements. Les bulles immobilières en Irlande et en Espagne étaient nées. Dans un contexte de libre circulation des capitaux, il était difficile de comptabiliser ces transferts. La politique de la BCE visant à maintenir des taux d’intérêt faibles afin de ne pas entraver davantage la croissance de l’Union a encouragé ces bulles immobilières non soutenables dans les économies au bord de la surchauffe. Depuis, le cadre actuel dans lequel s’exerce l’autorité de la BCE est communément décrit comme étant inadapté.

Les pays du Sud face à la crise de la dette

Le revers de l’Euro ne doit toutefois pas être ignoré. La plupart des pays du Sud n’ont pas vraiment cherché à orienter les arrivées de capitaux vers les capacités de production, et les ont au contraire gaspillés dans les hausses de salaires des secteurs dont la production n’était pas exportable, ou en investissant dans des projets publics de grande envergure mais non rentables. L’opinion publique a ainsi pris conscience de l’état massivement sclérosé du gouvernement grec, ainsi que de l’existence d’infrastructures publiques non utilisées en Espagne. Dans la mesure où la croissance budgétaire nominale continuait d’augmenter, chacun perdait la force politique de réformer son économie en vue d’une plus grande spécialisation et d’exportations plus importantes. Dans certains pays, la dette publique explosait, dans d’autres les taux d’intérêt réels faibles encourageaient la hausse spectaculaire de la dette privée. Un cercle vicieux venait de s’établir entre les banques nationales qui soutenaient la dette des différents gouvernements, et les gouvernements eux-mêmes qui avaient besoin de leur soutien. En l’absence d’une large union bancaire européenne, ceci a mené à la crise de la dette insurmontable que nous traversons actuellement.

La principale solution retenue par les pays endettés afin de venir à bout de ces difficultés a été celle de la "croissance austère" : une économie basée en théorie sur l’idée qu’un désendettement des sphères tout aussi bien publique que privée, accompagné de réformes draconiennes des marchés, pouvant ainsi apporter de la crédibilité, donc des taux d’intérêt moins élevés sur les marchés financiers. Cette « croissance austère » devait également garantir la déflation, l’hypothèse d’un cercle vicieux de dépression étant aisément écartée. À la place, selon ces pays, si les taux pratiqués sur les marchés ne diminuaient pas, il faudrait y voir non le signe que la politique de l’UE aurait échoué mais le fait que les politiques d’austérité devraient être encore plus strictes. Cette conception rend la théorie, qui n’avait encore jamais été sollicitée à un tel degré, non falsifiable, et en outre, d’un point de vue scientifique, totalement illégitime. Hélas, les politiques d’austérité se sont intensifiées avec les résultats que l’on connait : la Grèce a notamment aujourd’hui le même PIB qu’elle avait avant la crise de l’Euro, tandis que le chômage des jeunes dans les pays du Sud atteint des niveaux dramatiques.

Sortir de la crise de l’Euro

Dans la mesure où les bénéfices de la politique commune ont été répartis entre les États européens, le fardeau de la crise doit être distribué équitablement entre les différents membres de la zone Euro, d’autant que les chocs économiques à l’origine de la crise sont de la responsabilité de chacun d’entre eux. Dans la mesure où la compétitivité est un concept relatif, une première définition consisterait à dire qu’il faut attendre que les pays endettés procèdent eux-mêmes aux ajustements nécessaires au rétablissement de leur économie.

De plus, selon cette conception, l’entrée de ces pays dans l’Union européenne aurait été le témoignage d’une solidarité conditionnée à un assainissement de l’économie, jusqu’ici impossible du fait de l’austérité des décennies de dictature, qui n’avaient pris fin que depuis le milieu des années 1970. Sur la base de ces arguments difficilement admissibles, la capacité des pays à retrouver le chemin de la croissance est finalement sapée par l’idée que tous les efforts d’ajustement doivent peser sur eux. En conséquence, le fondement de tout Etat-providence européen, comme par exemple une éducation suffisamment financée et la sécurité sociale, s’est rapidement érodé dans ces pays.

Que certains pensent que la solution serait de réformer l’économie des États membres de la zone Euro en les rendant convergentes ; que d’autres optent pour la mise en commun de la dette, un budget commun et une union bancaire ; ou que d’autres encore se situent entre ces deux extrêmes, le modèle institutionnel actuel est incapable de fournir les outils nécessaires d’un point de vue démocratique. Dans le cas où les économies s’aligneraient les unes sur les autres, les États les plus performants imposeraient leur modèle économique aux autres, ignorant ainsi ouvertement la souveraineté budgétaire des Etats-nations comme cela est en train de se produire avec les programmes lancés par la Troïka. Dans le cas d’une mise en commun de la dette, d’un budget commun et d’une union bancaire, les pays garantiraient les dettes des autres États sans même y consentir comme cela a été dénoncé par les pétitionnaires de la Cour constitutionnelle allemande à Karlsruhe. Plusieurs groupements sont en droit d’exploser alors que leurs droits démocratiques ont été bafoués, nourrissant ainsi le sentiment anti-européen à travers le continent.

Appeler à une plus grande Solidarité européenne

En substance, pour venir à bout de la crise économique et politique, l’Europe doit promouvoir la solidarité. Non pas une solidarité qui impliquerait, dans le contexte actuel d’inter-gouvernementalisme, les transferts directs ou les remises de dettes par certains pays, puisque cela accentuerait la partition de l’Europe entre les Etats « moralement supérieurs », et les pays « fautifs » aujourd’hui humiliés. Nous avons besoin de solidarité au sens étymologique du terme : « rendre fort, solide, indestructible », ce qui n’est possible que par la médiation du Fédéralisme. Un véritable pouvoir exécutif fédéral, ainsi qu’un pouvoir législatif, élus démocratiquement, peuvent mettre un terme au dilemme du prisonnier dans lequel les États se trouvent aujourd’hui enfermés, et ainsi, du simple fait d’un vote à la majorité, exécuter les mesures les plus favorables à l’Europe. Par ailleurs, l’une des conditions nécessaires au bon fonctionnement d’une union monétaire est l’existence d’un budget fédéral important. La capacité redistributive actuelle, soit 1% du PIB de l’UE, de la PAC et du fonds de cohésion, est dérisoire si l’on veut amortir les chocs asymétriques au sein de la zone Euro.

Le regroupement des ressources européennes devrait engendrer d’importants investissements, essentiels pour que les décennies à venir soient synonymes de croissance. Plus précisément, ces investissements concernent les réformes devant permettre la mise en place d’un réseau énergétique européen intégré et soutenable. Les défis institutionnels nécessaires à tous ces changements sont en effet considérables.

Cependant, même s’ils sont souvent considérés comme une unification, presque spontanée, d’une nation, les évènements précédant l’élaboration de la Constitution fédérale américaine présentent des ressemblances notables avec l’actuelle crise politique européenne. En réalité, la révision des articles de la Confédération en 1789 ne résulta pas de la noble idée d’unir un peuple sur la base d’une affinité politique, elle était davantage motivée par l’échec d’une approche inter-gouvernementaliste, ce qui eut pour principale conséquence une banqueroute et une crise financière. En dépit d’une opposition acharnée nourrie par des sentiments nationalistes, la crainte de la perte de souveraineté et la mise en commun des dettes, les pères fondateurs parvinrent à résoudre une situation bloquée en réalisant le remarquable exploit de créer un État, ce qui donna lieu à un brillant document législatif.

Les défis posés par une refonte de ses institutions sont plus vastes encore pour l’UE, ne fût-ce que parce que tous les États membres de l’UE ne font pas partie de la zone Euro. Toutefois, le choix actuel d’une intégration progressive a laissé l’Union économiquement et politiquement exsangue, avec un gouvernement technocratique au sein duquel aucun citoyen ne se sent représenté.

Les Jeunes Fédéralistes Européens sont ainsi convaincus que le seul moyen de rendre la crise soutenable est une approche fédéraliste qui garantisse à la fois une légitimité démocratique et la stabilité économique.

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