Russie

Vladimir Poutine, ami ou ennemi ?

, par Traduit par Louise Ferry, Teodor Voinikov

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Vladimir Poutine, ami ou ennemi ?

Aujourd’hui, de l’Atlantique à l’Oural, tout le monde parle de Poutine. Les médias russes abondent d’enthousiastes panégyriques sur sa force, sa beauté et son intelligence. Les médias étrangers le condamnent pour son autoritarisme. Les femmes russes sont folles de lui et succombent à son « regard intelligent et sérieux » et à son « allure virile sans égale », tandis que les intellectuels occidentaux nourrissent des sentiments mitigés.

Poutine : un nouveau type de leader

Si Vladimir Poutine fascine autant, c’est qu’il tranche avec la plupart des membres éminents de la traditionnelle gérontocratie politique russe, dont la sénilité a suscité bien des moqueries. Iouri Andropov mourut dans son bureau moins de deux ans après le début de son mandat, et son successeur Konstantin Chernenko décéda au bout de seize mois. Il fut un jour où Eltsine, ivre comme à son habitude, ne parvint pas à descendre de son avion pour un meeting officiel ; une autre fois, il tomba d’un pont. Sa démarche somnolente rendit impossible toute comparaison avec le puissant Ours russe mais trahit, au contraire, un cœur faible.

Parmi ces hommes vieux et impotents, il est facile de prendre Poutine pour Superman. Il est jeune et mince, pratique le judo (il est ceinture noire) et apprécie les courses de chevaux. Comme l’a noté un article flatteur, « Vladimir Vladimirovich fait aussi des choses par lui-même : il pilote les avions, conduit les bateaux, guide les tanks… »

Boris Eltsine le présenta au peuple russe en disant qu’ « il sera capable de réunir autour de lui ceux qui feront revivre la Grande Russie dans le nouveau 21e siècle ». En menant une guerre psychologique contre l’Europe et l’ « étranger proche » à propos des réserves de pétrole et de gaz, Poutine veut faire revivre l’obsession de la force brutale de la Russie et rappeler ainsi au reste du continent sa dépendance. Quand il a reconnu les leaders islamistes palestiniens du groupe terroriste Hamas nouvellement élus, Poutine a montré qu’il n’est pas responsable devant les exigences de ses partenaires occidentaux et que la politique russe n’est pas conformiste.

Poutine sur la scène internationale

Poutine a soutenu l’invasion conduite par les Américains en Afghanistan après les attaques du 11 septembre, mais s’est farouchement opposé à l’invasion en Irak. Il a accepté de perdre l’Europe centrale et les Etats baltes, mais il a augmenté la pression sur la Biélorussie et l’Ukraine. Il a proclamé que « la Russie fait partie du patrimoine culturel européen » et que « c’est avec difficulté qu’il imagine l’OTAN comme un ennemi », mais il mène une politique ambiguë en Iran et a réservé une réception cordiale au dictateur nord-coréen Kim Jong-Il.

Les revendications de la Russie pour la reconnaissance de son caractère d’exception et de son importance devraient être satisfaites pour modérer son complexe post-impérial et contenir ses accès sporadiques de colère et d’irritation. Dans un sens, l’UE et les Etats-Unis doivent séduire la Russie pour modérer son tempérament et l’affilier aux clubs occidentaux, de façon à la contrôler. L’octroi à la Russie d’une place de membre à part entière dans le club du G8 est ainsi davantage la manifestation d’un geste politique que le résultat d’un critère dûment rempli. Il permet de gratifier la Russie, acceptée comme une égale dans les affaires du monde, d’un statut reconnu sur le plan mondial, et de flatter son amour-propre fragilisé en lui donnant un superpouvoir significatif, bien que régional.

Vue d’Europe

Vue d’Europe, la Russie apparaît comme un exemple de non-développement durable, de société fossilisée vouée à une pauvreté endémique, et d’état hermétique à toute influence extérieure. Mais notre perspective est de toute évidence biaisée. Nos conceptions du pouvoir, de la politique, de la liberté et de la démocratie diffèrent. Poutine a ainsi dit une fois que l’Occident interprète « le renforcement de (son) pays comme de l’autoritarisme ». On ne peut ignorer le fait que la Russie a été la plus forte quand les régimes despotiques les plus méprisables florissaient. Et le plus important, c’est qu’en dépit des humiliations, le peuple russe aime toujours son pays (et ses autorités !) et craint l’Europe.

Nous devrions nous réjouir des bouleversements qui ont affecté la politique russe, dus notamment à Vladimir Poutine. La politique unilatérale, monolithique et idéologique de la Russie communiste est remplacée par une approche plus flexible, multi-facettes, plus à même de garantir les intérêts de la Russie et qui apparaît comme plus acceptable aux yeux de l’Occident. Nous ne devrions donc pas nous lamenter sur le fait que la Russie a radicalement changé.

Conclusion

Les pratiques autocratiques de Poutine ont peu de choses à voir avec le fanatisme et les rêves de puissance de ses prédécesseurs. Son attitude envers les leaders européens est amicale et ne peut en aucun cas être comparée au mépris qui caractérisait Staline ou Brejnev. Après tout, Poutine partage des intérêts communs avec ses partenaires européens – il a besoin de leurs investissements et de leurs biens, tandis que l’Europe ne peut rien faire sans les ressources énergétiques de la Russie.

Cela ne suffit probablement pas pour que nous puissions le considérer comme « notre ami », mais cela n’en fait pas pour autant notre « ennemi ». Sur Poutine et son héritage, nous devrions porter un regard optimiste, tout en restant néanmoins prudents.

Cet article a été publié dans l’édition du printemps du magazine « The New Federalist ».

Illustration : Vladimir Putin in a meeting in Kremlin, 15 December 2002, source : Flickr/dude.rider.

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