À Chypre, un mur plus solide qu’à Berlin

, par Alexis Vannier

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À Chypre, un mur plus solide qu'à Berlin
La ligne verte à Nicosie, la capitale de Chypre. Un mur sépare depuis 1974 la majorité grecque de la minorité turque de l’Île. Source : Wikimedia Commons

1989-2019 : voilà déjà trente ans que le Mur de Berlin est tombé, entraînant dans sa chute les démocraties populaires du bloc de l’Est ainsi que l’URSS. Au-delà de l’aspect idéologique, c’est une frontière indigne séparant des familles et un peuple qui est tombée ce soir du 9 novembre 1989, non pas après de longues négociations diplomatiques, non pas après une intervention militaire extérieure mais sous les coups des habitants de Berlin, des Allemands, luttant ainsi pour la liberté et la réunification de leur pays. En 2019 Nicosie sur l’île de Chypre est la dernière capitale encore divisée dans le monde, et, sur ce mur, le temps semble être l’allié des racines et non des lézardes…

Une île entre Europe et Asie mineure

Possession de l’Empire romain d’Orient, l’île d’Aphrodite est tombée entre les mains des Ottomans après la prise de Constantinople. C’est à cette période que les Turcs ont commencé à s’installer sur Chypre, aux côtés des Grecs.

En 1878, l’Empire ottoman, affaibli par la vague d’insurrections dans les Balkans, a confié l’administration de l’île à l’Empire britannique, qui l’a annexé complètement en 1914, en réaction à l’alliance scellée entre la Sublime Porte et la Triple-Alliance.

Sur l’île, les divisions entre Grecs (80% de la population) et Turcs étaient vives. Les Grecs souhaitaient réaliser l’Enosis, l’union avec la Grèce, quand les Turcs militaient pour le Taksim, la partition de Chypre.

À l’indépendance en 1960, c’est l’archevêque chypriote grec Makários III qui est devenu Président et a nommé un chypriote turc vice-président. En plus du Commonwealth, forme politique de néocolonialisme, la Grande-Bretagne a maintenu une présence militaire sur l’île avec les bases d’Akrotiri et de Dhekelia. Ces confettis sont d’ailleurs les seuls territoires britanniques à utiliser l’euro.

Le fragile équilibre a été rompu en 1974 quand les Colonels grecs ont fomenté un coup d’État depuis Athènes pour réaliser l’Enosis. En réaction, la Turquie est intervenue militairement pour protéger ses concitoyens et a occupé 38% du territoire. Ce coup d’État manqué explique en partie la chute de la junte grecque la même année.

Les Casques bleus, force armée de l’Organisation des Nations Unies (ONU), présents sur l’île depuis 1964, ont alors garanti la démilitarisation de la ligne verte, également appelée “ligne Attila”, qui est venue séparer les deux communautés, dont la capitale. Les trois secteurs de la ligne sont sous responsabilité argentine, britannique et hungaro-slovaque.

En 1983, est proclamée la République turque de Chypre du Nord (RTCN) avec Nicosie pour capitale, et reconnue uniquement par la Turquie.

Des gouttes d’eau contre un mur…

Depuis lors, l’ONU a tenté à plusieurs reprises de réunifier Chypre.

Alors que cette dernière a ouvert les négociations pour son adhésion à l’UE en 1993, en parallèle, les deux dirigeants chypriotes discutaient avec l’ONU du plan Annan, du nom du Secrétaire général Kofi Annan, qui prévoyait l’établissement d’une République de Chypre unifiée de type fédéral qui projetait une stricte égalité de représentation communautaires dans les institutions politiques mais également un rééquilibrage démographique entre les deux parties de l’île.

Soumis à référendum en avril 2004, le plan a été rejeté (70%) par les Chypriotes grecs car l’égalité politique des communautés ne reflétaient pas la démographie puisque les Chypriotes Grecs sont presque trois fois plus nombreux que les Chypriotes Turcs. De plus, le plan autorisait la Grèce et la Turquie à maintenir une présence militaire sur l’île, ce qui est une évidente remise en cause de la souveraineté de Chypre. La partie nord avait approuvé ce plan à 65%.

Cet échec n’a pas empêché l’intégration de Chypre dans l’UE le 1er mai 2004, de jure dans son entièreté géographique, la RTCN n’étant pas reconnue par Bruxelles.

Depuis, les dialogues reprennent et achoppent régulièrement pour tenter de former une fédération. En 2015, les Chypriotes du Nord élisent à la présidence Mustafa Akıncı, premier leader à souhaiter réunir l’île et à s’opposer ouvertement à un renforcement de l’influence turque sur le pays. En 2016, les leaders ont été proches d’un accord, néanmoins un seul point continue de bloquer toute réalisation : la présence de soldats turcs sur l’île.

2019 apporte pourtant son lot de petites réussites. Ainsi, exemple d’une réunion par le bas, un match de football a opposé des chypriotes turcs et grecs dans le village de Pýla, le seul où les deux communautés vivent en voisin. Une nouvelle preuve que le sport est vecteur de paix.

De plus, le scrutin européen de mai dernier a vu la première élection d’un député chypriote turc à Strasbourg. En outre, António Guterres, l’actuel secrétaire général de l’ONU a choisi 2019 et l’anniversaire des 30 ans de la chute du Mur de Berlin pour relancer les négociations et baser ces dernières dans l’ancienne capitale divisée. Le symbole est fort mais sera-t-il suffisant pour enfin abattre ces remparts d’un autre temps ?

Les récents forages turcs menés au large de la RTCN et les crispations géopolitiques qui ont suivi montrent que les tensions sont encore brûlantes sur l’île. Ils mettent surtout en évidence un point : la place centrale qu’occupe le Président turc Erdoğan dans ce conflit.

Le petit sultan a fait du nationalisme son crédo pour se placer dans le grand échiquier géopolitique du Proche-Orient. Hors de question donc pour lui d’abandonner sa base arrière méditerranéenne.

Le retrait des troupes, pierre d’achoppement des négociations, ne pourra donc se faire qu’après le départ d’Erdoğan de la présidence ou grâce à une réorientation de sa politique internationale. L’enjeu est de savoir laquelle de ces deux options se réalisera en premier.

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