De Celje à Bruxelles, un parcours politique sinueux
Alenka Bratušek est demeurée relativement peu connue du grand public slovène jusqu’en 2011. Chef de bureau au ministère slovène des Finances pendant six ans, elle a limité ses ambitions politiques à un poste d’élue locale avant de devenir députée en 2011 (sous l’étiquette du parti modéré Slovénie Positive).
En mars 2013, elle prend la tête d’une coalition hétéroclite de centre-gauche et promet de sortir la Slovénie d’une double crise politique et financière. Malgré tous les pronostics lui prédisant un très court mandat, son gouvernement obtient des résultats incontestables : le secteur bancaire en quasi-faillite est restructuré, une première vague de privatisations est initiée, et le secteur public est en partie protégé de la rigueur budgétaire. Les Slovènes ont également reconnu à la Première ministre d’avoir évité au pays un plan d’aide internationale et européenne.
Après avoir été désavouée en mai 2014 par le parti qu’elle préside depuis un an, Alenka Bratušek démissionne et des élections législatives anticipées ont eu lieu cet été. La Première ministre sortante, se lançant alors dans la bataille électorale à la tête d’un nouveau parti, l’Alliance d’Alenka Bratušek, franchit de justesse le seuil nécessaire pour entrer au Parlement. Elle géra ainsi les affaires courantes jusqu’en septembre dernier, date à laquelle un novice en politique, le centriste libéral Miro Cerar, grand vainqueur des élections législatives, est entré en fonction à la tête du gouvernement.
Une candidature controversée
La candidature d’Alenka Bratušek à la Commission européenne fut dès son origine la proie de virulentes critiques de la classe politique comme des observateurs et médias slovènes.
A la fin du mois d’août, le gouvernement Bratušek a fait parvenir à Bruxelles une liste de candidats potentiels au poste de commissaire européen, liste sur laquelle la Première ministre, encore en fonction à ce moment-là, figurait en bonne position. Dans un pays où l’ambition personnelle est souvent très négativement connotée, cette décision déclencha un tollé général, et le nouveau Premier ministre Miro Cerar est allé jusqu’à contacter personnellement Jean-Claude Juncker pour souligner qu’il ne soutiendrait pas sa prédécesseure [1].
Malgré les signes avant-coureurs d’un échec, le nouveau président de la Commission européenne aura sans doute voulu tirer profit du profil d’Alenka Bratušek – une femme, ancienne chef de gouvernement – en nommant cette dernière à l’une des vice-présidences.
Sa bonne connaissance des dossiers relatifs à l’Union énergétique n’a pu pour autant compenser les doutes sérieux sur la transparence du processus qui a conduit à sa nomination. Malgré le fait qu’elle n’ait aucune expérience dans le domaine de l’énergie, pas davantage qu’une connaissance théorique du sujet, Alenka Bratušek n’a cessé d’invoquer une expertise acquise lors de son mandat de Première ministre. Cependant, son action en la matière a principalement consisté en la gestion de l’épineux dossier sur l’extension de la centrale thermique de TEŠ 6, l’un des points noirs de son bilan.
Le 6 octobre, l’audition d’Alenka Bratušek par les commissions du Parlement européen chargées de l’énergie et de l’environnement confirmait et amplifiait les doutes sur sa compétence et son intégrité. Après une déclaration introductive très générale, la candidate a répondu – en slovène – aux interrogations d’eurodéputés de plus en plus sceptiques, ânonnant des déclarations de bonnes intentions et des poncifs sans réel contenu, et s’excusant régulièrement pour s’être répétée [2]. A l’issue de l’audition, on lui reprocha son manque flagrant de clarté et de préparation, et la presse slovène dressa un bilan très critique de son intervention.
Une victime collatérale des tractations autour de la Commission ?
La position problématique d’Alenka Bratušek et son ultime chute ne s’expliquent cependant pas uniquement par sa prestation douteuse.
De nombreux médias européens la présentent en effet comme une « victime expiatoire » des tractations portant sur le maintien d’autres commissaires controversés, soutenus soit par les sociaux-démocrates, soit par le Parti Populaire Européen (PPE). Le PPE aurait ainsi marchandé le maintien de Pierre Moscovici aux affaires économiques et financières contre le maintien dans la Commission Juncker de l’Espagnol Miguel Arias Cañete, du Hongrois Tibor Navracsics et du Britannique Jonathan Hill.
Le groupe ALDE se trouvant marginalisé face à l’influence des deux principaux groupes au Parlement européen, et principaux membres de la coalition, plusieurs observateurs y ont vu la raison de l’éviction d’Alenka Bratušek, commissaire affiliée aux libéraux (ALDE). En réalité, la candidate slovène à la vice-présidence souffrait d’ores et déjà d’un isolement particulier en raison de son manque quasi-total de soutiens, tant à Bruxelles qu’à Ljubljana.
La conjonction des négociations politiques à Bruxelles et de la situation individuelle d’Alenka Bratušek explique aisément pourquoi au soir du 8 octobre, 112 eurodéputés se sont opposés à sa nomination face à seulement 13 la soutenant. Privée de toute possibilité d’un « oral de rattrapage », la candidate a démissionné au lendemain du vote, au moment même où la Commission de prévention de la corruption slovène publiait un rapport établissant un conflit d’intérêts avéré dans le processus de nomination national.
Une victoire de la politique politicienne sur l’intérêt général européen ?
Jean-Claude Juncker peut d’ores et déjà se targuer d’avoir vu son équipe originale approuvée à 95%. Si Alenka Bratušek n’a manifestement pas su renverser la balance en sa faveur par sa compétence et ses qualités personnelles, elle a également souffert d’un manque de soutien de sa famille politique, ce qui l’a rapidement placée en position de fusible.
Le 10 octobre, le nouveau Premier ministre slovène Miro Cerar a confirmé la candidature de sa vice-Première ministre Violeta Bulc au poste de commissaire. Il l’a ainsi préférée à la députée européenne sociale-démocrate Tanja Fajon et au commissaire sortant, Janez Potočnik. Par cet acte d’autorité, qui pourrait lui mettre à dos ses partenaires de coalition, il n’est pas certain que Miro Cerar se soit décidé sur de stricts critères de compétence – ce qui ne manquera pas d’être reproché à celui qui s’érigeait encore récemment en parangon de l’intégrité et de l’honnêteté en politique.
Des défis autrement plus importants attendent la Commission Juncker, au lendemain de son intronisation par le Parlement européen le 22 octobre et de son entrée en fonction en novembre. On ne peut cependant que regretter que certains commissaires à la compétence plus que douteuse ne doivent leur poste qu’à des tractations politiciennes, dans les capitales nationales comme à Bruxelles.
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