Le 6 janvier 2021 : une date qui restera dans les mémoires américaines
Mercredi 6 janvier 2021. Deux semaines avant la passation du pouvoir à laquelle le président sortant Donald Trump ne va même pas assister, le président élu en novembre dernier, le démocrate Joe Biden, et le monde ont retenu leur souffle. En effet, si Trump n’a jamais fait grand cas de la transition entre lui et son successeur et n’a même jamais véritablement reconnu sa défaite, ses partisans se sont chargés d’opérer ni plus ni moins qu’un coup de force en mondovision. En envahissant le plus grand lieu de la démocratie américaine et centre névralgique du pouvoir, le Capitole, sur les hauteurs de Washington. En prenant d’assaut un lieu chargé d’histoire et hautement symbolique concentrant le Congrès (Chambre des Représentants et Sénat), les soutiens assumés de Trump ont choqué à plus d’un titre. Un choc si profond et violent que même le vice-président sortant, Mike Pence, a pris ses distances avec son colistier milliardaire, lui le fidèle soutien de Trump durant quatre ans. Sur tous les écrans de télévision et les réseaux sociaux donc, un étrange mélange de personnes aux horizons divers et aux idées aussi éloignées les unes des autres qu’unanimes dans la contestation d’une élection « volée » et émaillée de « fraudes » s’est rassemblé à Washington. Les images ont ainsi tourné en boucle sur le Capitole littéralement envahi à l’extérieur sur son parterre et forcé de l’intérieur avec un service de sécurité débordé et impuissant à éviter l’entrée d’une foule d’émeutiers. Outre le fait de voir un attelage hétéroclite de personnes bardées de drapeaux américains et de slogans contestataires en tous genres, la « figure » centrale de ce coup de force a été le dénommé Jake Angeli.
Un personnage étrange avec son accoutrement, entre sosie d’un chef indien et du chanteur du groupe anglais Jamiroquai Jay Kay, Angeli symbolise toute la mouvance extrémiste qui n’a pas fini de faire parler d’elle. Si « folklorique » qu’a été cette manifestation et cette contestation sans précédent, le bilan a été lourd. Cinq morts dont un policier et quatre émeutiers tués, des dégâts considérables entre vandalisme à grande échelle et volonté de détruire le symbole politique du lieu et surtout, une image de l’Amérique lourdement entachée de par le monde. Tant et si bien que même Donald Trump qui va véritablement être le déclencheur de ce « coup d’État » en incitant ses partisans à protester contre la victoire de Biden, va lui-même se désolidariser et tenter de minimiser son impact sur le sujet. Sans résultat puisque tous les regards se tournent dès lors sur sa personne non seulement au niveau politique, avec la volonté des démocrates, Nancy Pelosi en tête, de destituer avant l’heure Donald Trump. Mais également sur la raison d’être de ce dernier, à savoir les réseaux sociaux et notamment Twitter qui va purement et simplement supprimer son compte en guise de représailles. Ce 6 janvier 2021 est donc un marqueur politique, social et même culturel important dans un pays déchiré et que les élections de novembre dernier n’ont pas permis de calmer. Sur fond de crise sanitaire avec le Covid-19 toujours aussi actif aux États-Unis, pays parmi les plus touchés de la planète, mais également économique avec près de 10 millions d’emplois détruits depuis le début de la pandémie.
Dans ces conditions, difficile de voir autre chose qu’une résurgence de plus en plus manifeste de l’Amérique dite profonde qui n’a jamais fait confiance au « pouvoir central » de Washington. Mais, plus inquiétant encore, avec le développement croissant des réseaux sociaux, de plus en plus de thèses conspirationnistes voient le jour et croissent à une vitesse vertigineuse. Un danger pour la démocratie américaine et qui inquiète de plus en plus, même outre-Atlantique. Sur fonds d’arguments pour le moins vaseux mais inspirant un attrait de plus en plus grand, l’Amérique se retrouve sur une ligne de front intérieure dangereuse.
« QAnon », « Prouds Boys », les successeurs du « Tea Party » de 2008
En 2008, l’élection présidentielle verra le démocrate Barack Obama et son colistier, un certain Joe Biden, arriver au pouvoir, un mouvement alors avait vu le jour, sur fond de crise économique liée aux actifs toxiques que sont les « subprime » qui vont ruiner de nombreux Américains.
Et sur la perte d’identité, sur l’attachement à un mode de vie désormais révolu, le mouvement du « Tea Party » voit le jour. Mouvement dont l’identité était représentée par les mères de famille de la classe moyenne, symboles d’une Amérique prospère et qui s’engage pour l’avenir de ses enfants. Popularisé également par l’ancienne colistière de feu John McCain (décédé en août 2018 et qui sera un farouche adversaire du président Trump), la Gouverneure de l’Alaska, Sarah Palin, ce mouvement reprenait une antienne du libertarisme. Un mélange de conception et de philosophie très répandu aux États-Unis, dans laquelle l’État ne doit pas s’immiscer dans la vie des citoyens, notamment au niveau du partage des richesses. Une sorte de capitalisme pur jus dans laquelle l’individu est maître de son destin dans son entière faculté de pensée et dans sa vie. Cependant, si le libertarisme peut se défendre en tant que courant dans un pays où l’individu est un tout et ne doit dépendre de personne, véhiculée par la tradition des Pères-fondateurs américains, au cours des années suivantes et avec l’arrivée de Trump au pouvoir, d’autres groupuscules ont vu le jour. « QAnon » donc qui, comme l’indique le blogueur et universitaire Tristan Mendes-France, est « un mouvement populaire, notamment aux États-Unis, dont la base est essentiellement les électeurs de Trump, mais cela touche aussi d’autres statuts, d’autres niveaux sociaux, des personnes plus éduquées et notamment un peu partout autour de la planète. Le mouvement QAnon est un mouvement composite qui croit en un complot du district de l’État profond américain, contre Trump essentiellement, et c’est tout un aréopage de croyances qui viennent s’agréger autour de ça. »
À travers tous ces mouvements, groupuscules et organisations, c’est le fondement de la démocratie américaine qui est remis en question. Un pays profondément divisé et sur lequel il est nécessaire pour l’administration Biden de se pencher si elle ne veut pas voir s’effriter l’unité de la nation. Un besoin autant qu’une nécessité sur une pente jonchée de problématiques aussi longues que profondes au sein de la société américaine.
Condamnation unanime européenne ou… presque
Toutefois, si les États-Unis ont été légitimement choqués par cet envahissement, ces morts et ces images de destruction sur fond de prise de pouvoir d’un lieu tant symbolique qu’essentiel au pays, l’Europe n’est pas en reste. En effet, dès la propagation de l’information, les condamnations ont été unanimes au sein de l’Union européenne. Entre Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne pour qui « Joe Biden a gagné l’élection », David Sassoli pour qui ces images ont été « profondément préoccupantes », Antonio Costa, Premier ministre portugais et dont le pays préside l’U.E. actuellement et pour six mois, a affirmé suivre les évènements avec « inquiétude et a vu des scènes dérangeantes ». Pour la Chancelière allemande Angela Merkel, « ces images m’ont mise en colère et attristée, dit-elle. Mais je suis sûr que la démocratie américaine se révélera beaucoup plus forte que les agresseurs et les émeutiers. Je regrette beaucoup que le président Trump n’ait pas reconnu sa défaite, ni depuis novembre ni hier. ». Un beau camouflet pour Trump mais Emmanuel Macron a fait encore plus symbolique puisque le Président français va apparaître au pupitre de l’Elysée avec les deux drapeaux, français et américain appelant « à ne rien céder » face à la « violence de quelques-uns ». Dans le concert des condamnations européennes cependant, il a été pour le moins curieux de remarquer l’absence de protestations des pays du « Groupe de Visegrád » (Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie). Ce qui est particulièrement éloquent notamment pour la Hongrie de Victor Orbán et la Pologne du Premier ministre conservateur et eurosceptique Mateusz Morawiecki.
C’est désormais acté depuis le 20 janvier 2021, Joe Biden est élu président des États-Unis d’Amérique et a commencé son mandat sous des auspices incandescents. Entre une Amérique qui doit, sur le plan international, retrouver le lustre perdu durant le mandat Trump en termes d’image, en conflit avec de nombreux pays, Biden et son administration devront également trouver la parade face à la recrudescence de la pandémie et la crise sanitaire toujours en cours. Mais surtout, sur le plan national, le Président américain doit trouver la bonne formule afin de rassurer le pays et tenter de restaurer confiance et autorité. Un vaste programme qui devra impérativement être mis en route sous peine de voir (re)surgir l’ombre des extrémistes de tous poils. L’Union européenne a donc bien pris la mesure de ce qui s’est passé ce 6 janvier 2021 à Washington car l’histoire aime se répéter. Pour le meilleur ou le pire à l’instar du 6 février 1934 et la manifestation antiparlementaire Place de la Concorde, à Paris, où les ligues d’extrême-droite et notamment « l’Action française » ont tenté de fomenter un coup d’État contre le gouvernement d’alors. Tentative qui va déboucher sur une dizaine de morts et va considérablement marquer la France des années 30, ce qui démontre, une fois de plus, avec acuité que la démocratie est fragile. Ce ne sont pas les États-Unis post-6 janvier 2021 qui diront le contraire.
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