Au Bélarus, la contestation ne faiblit pas

, par Théo Boucart

Au Bélarus, la contestation ne faiblit pas
Rassemblement de manifestants contre Loukachenko, dimanche 23 août. Photo : Homoatrox

Plus de 15 jours après la tenue du scrutin présidentiel bélarusse, les manifestations contre la réélection frauduleuse d’Alexandre Loukachenko ne faiblissent pas, malgré la répression. En Europe, les actions en soutien aux protestataires se multiplient.

La « marche de la liberté » du 16 août était déjà historique, avec près de 100000 personnes présentes. La « marche pour un nouveau Bélarus » le sera certainement encore plus. Dimanche 23 août, plus de 250000 Bélarusses se sont retrouvés une nouvelle fois sur la Place de l’Indépendance à Minsk pour réitérer leur hostilité au président Alexandre Loukachenko et à sa victoire entachée de fraudes aux élections présidentielles de début août.

Selon Franak Viachorka, un journaliste bélarusse particulièrement impliqué dans la couverture des évènements, il s’agit d’un nouveau record dans l’histoire du pays, puisque plus de gens se sont rassemblés hier que lors des manifestations en faveur de l’indépendance vis-à-vis de l’Union soviétique.

Ce rassemblement est intervenu au 15ème jour d’importantes manifestations absolument inédites dans un pays réputé pour sa relative apathie politique. Si une énième élection trafiquée précédée d’arrestations arbitraires d’opposants (dont Sergueï Tsikhanovski, le mari de Svetlana Tsikhanovskaïa, la principale adversaire de Loukachenko) a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, les citoyens bélarusses étaient déjà éprouvés par une crise économique latente et une gestion catastrophique de la pandémie de coronavirus. Dès le mois de mai, des manifestations sporadiques dans les rues de Minsk dénonçaient le « cafard Loukachenko », une allusion à la « révolte des parasites » née en 2017 après que le président avait fustigé la prétendue « oisiveté » d’une partie de la population.

Multiples violences des autorités

Depuis le début des mouvements de protestations, le régime de Minsk oscille entre la répression violente des manifestants et une main tendue envers certains secteurs, comme l’industrie. Le 14 août, une première manifestation s’était ainsi tenue Place de l’Indépendance, et ce sans répression policière.

Toutefois, il semblerait que depuis quelques jours, les forces de l’ordre usent d’une violence sauvage pour tenter de juguler ce qui ressemble de plus en plus à une révolution. De nombreuses photos et témoignages de violences extrêmes subies par des manifestants arrêtés sont disponibles sur les réseaux sociaux. Loukachenko tente également de mettre en scène sa « résistance ». Après avoir ordonné la fermeture de la frontière avec la Lituanie, l’homme fort du Bélarus a tourné une vidéo dans laquelle on le voit muni d’un gilet pare-balle et d’une arme. Comme un avertissement sans équivoque lancé aux manifestants, qu’il qualifie de « rats ». Selon le journaliste franco-biélorusse Andreï Vaitovich, Loukachenko aurait en effet déclaré « qu’à partir de lundi prochain [24 août], il n’y aurait plus de manifestations ».

Un durcissement de la répression qui ne semble pas pour le moment entamer la détermination des opposants à Loukachenko, de plus en plus nombreux à protester à travers le pays.

L’opposition s’organise

Loin d’être démobilisée depuis la fin de la campagne électorale, l’opposition politique s’organise pour tenter de forcer le régime de Minsk de céder le pouvoir. Celle-ci a créé le « Conseil de coordination », rejoint par des figures prestigieuses de la société civile, comme la Prix Nobel de littérature Svetlana Alexievitch.

Parallèlement, Svetlana Tsikhanovskaïa multiplie les contacts avec l’Europe occidentale. Alors qu’elle n’avait tourné que des vidéos à destination du Bélarus et de ses citoyens, la nouvelle égérie de l’opposition a accordé le 23 août à la chaîne britannique BBC une première interview. Réfugiée depuis le 11 août en Lituanie, Tsikhanovskaïa a d’ores et déjà rencontré plusieurs responsables politiques, comme le numéro deux du département d’État américain ou le Président de la république lituanienne. En outre, il est prévu qu’elle s’exprime aujourd’hui devant la commission des Affaires étrangères du Parlement européen.

La campagne électorale avait vu la formation d’un « triumvirat » féminin formé autour de Tsikhanovskaïa, symbole de la large unité de l’opposition à Loukachenko. Le soir de l’élection, ce triumvirat avait refusé de reconnaître les résultats officiels et avaient annoncé leur victoire.

Chaînes humaines dans les pays baltes

Ce qui n’était au départ qu’une crise purement interne est en train de se transformer en évènement géopolitique à dimension européenne. Dès les premiers jours des manifestations, l’Union européenne avait réagi en dénonçant un scrutin présidentiel « ni libre, ni équitable », puis avait annoncé refuser les résultats et la mise en place de « sanctions ciblées ». De son côté, la Russie de Vladimir Poutine observe attentivement la situation, consciente des enjeux que représente la situation pour la stabilité d’un régime allié. Loukachenko est en contact régulier avec le maître du Kremlin pour tenter de « trouver une solution aux manifestations ». D’aucuns pensent qu’une solution militaire n’est pas à exclure, dans le cadre de l’Organisation du traité de sécurité collective.

Mais c’est dans les pays limitrophes du Bélarus, en Pologne et surtout dans les pays baltes (Lituanie et Lettonie) que la classe politique et la société manifestent le plus leur solidarité. Les trois pays ont notamment été à l’initiative d’une proposition de médiation européenne, vertement refusée par Loukachenko.

Le hasard faisant (très) bien les choses, les manifestations bélarusses de dimanche coïncidaient avec l’anniversaire de la « voie baltique ». Le 23 août 1989, deux millions de citoyens de Lituanie, Lettonie et Estonie (faisant partie à l’époque de l’URSS) ont formé une grande chaîne humaine en signe d’amitié entre les peuples de ces trois républiques et pour dénoncer l’occupation soviétique. Le 23 août 2020, des dizaines de milliers de Lituaniens, dont le Président de la République, ont refait une chaîne de solidarité, intitulée « voie de la liberté » sur 30 kilomètres séparant Vilnius de la frontière bélarusse. Ailleurs en Europe, d’autres chaînes humaines sur le même modèle ont été formées, comme à Paris.

Les manifestations qui secouent la « dernière dictature d’Europe » sont donc un exemple de persévérance citoyenne face à un régime politique abjecte. Les Bélarusses ont le droit à un avenir démocratique et prospère, et ils doivent avoir tout notre soutien.

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