« Je ne suis pas un type qui tremble devant les Premiers ministres ou autres instances », avertissait d’emblée Jean-Claude Juncker lors de sa conférence de presse d’investiture à la tête de la Commission en novembre dernier. L’ancien premier ministre luxembourgeois, indirectement élu par les citoyens européens six mois plus tôt, présentait alors une équipe déterminée composée de fortes personnalités pour un programme percutant et résolument politique. Son collège aspirait à transformer cet organe neutre et technique, chargé de la bonne application des traités, en une véritable institution autonome et résolue, prête à devenir la cheville ouvrière politique de l’Union.
« Nous manquons d’Europe dans cette Union et d’union dans cette Europe »
Si son allocution de mercredi sur l’état de l’Union a encore manqué de solennité et de communication, il n’en reste pas moins qu’elle marque le retour de la Commission sur la scène politique européenne et confirme son ambition d’en devenir un acteur prépondérant.
Devant les eurodéputés à Strasbourg, Jean-Claude Juncker a lucidement admis que « l’Europe n’est pas en bon état ». Il a regretté que l’Union, bousculée par des tumultes monétaires et financiers, une arrivée massive de réfugiés, des guerres à ses portes ou encore le réchauffement climatique, reste de surcroit souvent désuni pour affronter ces épreuves et ressemble parfois à une vulgaire « basse cour ». Dans une lettre, Jean-Claude Juncker enjoint d’ailleurs les présidents des autres institutions européennes à « relever ces défis pressants dans un esprit européen de solidarité et de responsabilité ».
Au-delà de ce discours de crise, le Luxembourgeois ne s’est pas simplement contenté de faire le pompier et a également tenu à endosser la tunique de l’architecte. Il a ainsi proposé des solutions d’urgence. « L’heure n’est pas au statu quo, mais à une action audacieuse et pragmatique ». Parmi celle-ci, Juncker a entre autre souhaité la mise en place d’un gouvernement économique, d’un corps de gardes côtes européens, d’une réforme fiscale, d’un système de relocalisation permanent des réfugiés et d’un représentant unique de la zone euro dans les instances économiques internationales.
Réchauffement idéologique
Cette profusion d’annonces concrètes et ce message de fond envoyé directement à toute l’Europe est tout sauf une surprise. La Commission ne se cache plus, affirme ses positions sur n’importe quel dossier et s’évertue à bouleverser son organisation et ses méthodes afin d’être efficace. Exit l’embouteillage législatif, le Berlaymont cherche désormais à approfondir les secteurs de son choix. Après avoir épuré son programme et prioriser des enjeux clés, le collège régule moins mais mieux et privilégie désormais le chômage des jeunes, le numérique, l’efficacité énergétique, l’investissement ou encore la consolidation fiscale.
Malgré tout, le rassemblement de la famille européenne reste la priorité fondamentale de Jean-Claude Juncker. Face à la perspective du référendum britannique de 2016, la Commission travaille étroitement en toute confiance à un accord équitable avec Londres. Mais c’est bien Athènes qui a mobilisé tout l’été les commissaires. Juncker a parfois dépassé ses compétences et sa neutralité pour garder la Grèce dans le giron européen, en incitant ouvertement les Grecs à voter « oui » au référendum qui leur était proposé et en prenant part aux gesticulations politiques et querelles lancées de manière inconsidérée. « Depuis le début de l’année, beaucoup de temps et de confiance ont été perdus et certaines paroles ont été dites qu’il est difficile d’effacer », a-t-il amèrement déploré, répondant à ceux qui ont envisagé un temps le Grexit. Mais pour lui, l’appartenance de la Grèce à la zone euro reste irrévocable et il se dit toujours prêt à donner de sa personne pour le confirmer.
Tempêtes politiques
Si la Commission impose désormais son propre calendrier politique, elle s’expose aux griefs des États membres. Depuis la prise de fonction de son collège, de constantes perturbations politiques secouent l’Union et mercredi Juncker a de nouveau mis en garde. « Les Etats membres doivent faire leur travail, sinon la Commission ne pourra faire le sien ». Dans cette optique, il ne se prive pas de leur mettre la pression afin notamment que ceux-ci trouvent des solutions pour accueillir et répartir les réfugiés. Ferme et offensif, il a ajouté que « des procédures d’infractions seront lancées contre les pays ne respectant pas les règles ».
Dans l’antre des 28 commissaires du Berlaymont, on n’a plus peur ni du courroux des États ni de celui des entreprises qui n’en sont pas en reste. La commissaire Margrethe Vestager a ainsi engagé, au printemps, des procédures contre les mastodontes Gazprom et Google pour abus de position dominante sur les marchés concurrentiels respectifs du gaz et des moteurs de recherche sur internet.
Les prises de position explicites de Jean-Claude Juncker et l’omniprésence de la Commission sur tous les sujets ne font pas plaisir à tout le monde et en irrite beaucoup. Outre l’ire du groupe de Visegrad concernant la répartition des réfugiés entre les pays de l’Union, c’est surtout le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, qui a bruyamment fait tomber un tabou en suggérant carrément de restreindre les compétences de la Commission pour la forcer à rester neutre politiquement. C’est loin d’être la vision de Juncker.
Jean-Claude Juncker l’avoue lui-même, les relations inter institutionnelles restent mauvaises et « des ponts ont même été brûlés ». Pourtant la crise demeure. Les 23 millions de chômeurs et les 500 000 réfugiés arrivés depuis janvier espèrent une Union solide prête à résoudre les situations d’urgence. L’exacerbation de la Commission, quitte à ce qu’elle outrepasse ses fonctions, peut aider l’Union à avancer et à mettre de côté les nuages gris obstruant sa lourde atmosphère.
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