A l’initiative de la Pologne, une réunion extraordinaire par visio-conférence, rassemblant les ministres des Affaires étrangères des 27 pays membres de l’Union européenne, a été organisée vendredi 14 août pour discuter de la situation très tendue au Bélarus. Le pays, régulièrement qualifié de « dernière dictature d’Europe », est en effet en proie à des manifestations inédites. Les manifestants, présents dans tout le pays, protestent contre la réélection frauduleuse du président Alexandre Loukachenko, au pouvoir sans interruption depuis 1994.
Dans les conclusions de la réunion, disponibles sur le site du Service européen d’action extérieur (SEAE), les ministres européens se sont mis d’accord sur des « sanctions ciblées » à l’encontre du régime bélarusse. « Les ministres ont appelé une nouvelle fois les autorités bélarusses à arrêter d’user d’une violence inacceptable et disproportionnée contre les manifestants pacifiques. […] Les ministres ont également convenu de la nécessité de sanctionner les individus responsables de la violence, la répression et la falsification des résultats électoraux. L’élaboration de listes additionnelles dans le cadre des sanctions déjà existantes va commencer immédiatement ». Dès le début de la semaine dernière, l’Union avait dénoncé un processus électoral « ni libre, ni équitable ».
Toutefois, celle-ci n’a pas expressément apporté son soutien à la candidate de l’opposition, Svetlana Tsikhanovskaïa, réfugiée depuis le 11 août en Lituanie, et appelle plutôt au « dialogue entre les autorités, l’opposition et la société civile en vue de résoudre la crise ».
Malgré sa difficulté à parler d’une seule voix sur la scène internationale, le Bélarus est l’un des seuls sujets de consensus au sein des chancelleries européennes. Dès 2004, Bruxelles a imposé des sanctions à l’encontre de Minsk, assouplies en 2016. Même si le Bélarus fait partie du Partenariat oriental depuis 2009 (un cadre de coopération entre l’UE et son voisinage oriental, Russie exclue), l’UE mène depuis 2015 ce qu’elle appelle une « politique d’engagement critique », notamment vis-à-vis des droits de l’homme.
L’appel de vendredi à mettre en place de nouvelles sanctions constitue une première réponse de l’Union européenne face aux bouleversements que connaît le pays d’Europe orientale. L’action européenne est toutefois largement circonscrite par l’action de la Russie, un pays qui veille jalousement à conserver son influence dans la région.
Sanctions européennes, aide de la Russie
Or, pour le moment, l’UE et la Russie semblent avoir des vues différentes sur la situation bélarusse. Si Bruxelles évoque des sanctions à l’égard du régime de Minsk, Moscou compte pour le moment soutenir Loukachenko. Vladimir Poutine a en effet félicité le dictateur pour sa nouvelle réélection. Ce dernier aurait d’ailleurs demandé de l’aide à Poutine pour « résoudre les problèmes des manifestations ».
Le soutien russe est essentiel pour le régime de Minsk. Vladimir Poutine est le seul allié notable d’Alexandre Loukachenko sur la scène internationale, même si les deux hommes ne s’apprécient guère, Loukachenko ayant plusieurs fois dénoncé les volontés irrédentistes de la Russie, via notamment l’Union économique eurasiatique ou encore l’Union de la Russie et de la Biélorussie. A certains moments, l’UE a même pu être perçue par Minsk comme un réel contrepoids à l’influence russe.
Les dirigeants européens ont pourtant conscience de l’importance du Kremlin dans la résolution de la « crise bélarusse ». Emmanuel Macron a fait part de sa « très grande préoccupation » à Vladimir Poutine au sujet de la répression des manifestations à Minsk et dans d’autres villes du pays. Le fait que le Président français ait choisi le Président russe comme interlocuteur pour s’exprimer personnellement sur le dossier bélarusse montre très clairement que le petit pays d’Europe orientale peut devenir une vraie pomme de discorde entre l’UE et la Russie.
Vers un « Euromaïdan bélarusse » ?
Dans un pays si peu habitué aux manifestations, a fortiori impliquant la société civile bélarusse dans ses multiples composantes (l’opposition politique et les rares journalistes indépendants ne sont plus les seuls à exprimer leur opposition au régime despotique), les protestations contre la nouvelle tricherie de Loukachenko pourraient peut-être changer le cours de l’histoire du pays. Ainsi, pour la première fois depuis 2010, une manifestation rassemblant des milliers d’opposants a eu lieu Place de l’Indépendance ce vendredi, le même jour que la réunion de l’UE.
Le gouvernement bélarusse semble avoir bien compris ces menaces pour son pouvoir en agitant le spectre d’un nouveau « Maïdan » (en référence aux grandes manifestations en Ukraine en 2013 et 2014 qui ont fait tomber le Président Viktor Ianoukovytch, accusé d’être un homme de paille du Kremlin). Les conséquences géopolitiques des manifestations ukrainiennes avaient alors été considérables, la Russie ayant annexé la Crimée et provoqué un conflit gelé à l’Est du pays, dans les régions de Lougansk et Donetsk.
Toutefois, peut-on parler de la probabilité d’un « scénario à l’Ukrainienne » pour le Bélarus ? S’il est évident que la Russie ne souhaite absolument pas perdre de l’influence dans son ancien glacis soviétique, surtout au profit de l’Union européenne, Minsk a-t-elle une importance stratégique comparable à celle de Kiev aux yeux de Moscou ? L’Ukraine est considérée comme le berceau historique de la Russie (Kiev a été la première capitale d’un Etat proto-russe au milieu du Moyen-Âge) et dispose d’un accès aux mers chaudes du globe. Un accès que convoite la Russie depuis toujours. Si le Bélarus possède une situation géographique également stratégique, notamment pour désenclaver l’Oblast de Kaliningrad, situé entre la Pologne, la Lituanie et la mer baltique, il ne suscite peut-être pas le même intérêt géostratégique.
Toutefois, pour éviter une possible escalade de la violence entre les autorités et les manifestants qui inciterait une intervention potentiellement armée de la Russie, l’Union européenne ne dispose que de peu d’options entre ses mains. Malgré le consensus en son sein pour condamner la violence de Loukachenko et de ses sbires, elle semble condamnée à n’être que spectatrice de l’évolution de la situation. A voir si les nouvelles sanctions, couplées à la détermination des manifestants, finissent par asphyxier la dernière dictature d’Europe... à moins qu’un Loukachenko affaibli ne soit une aubaine pour la Russie.
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