Bernard Guetta : “Il y a une volonté en Europe d’accueillir les réfugiés ukrainiens”

, par Servane de Pastre

Bernard Guetta : “Il y a une volonté en Europe d'accueillir les réfugiés ukrainiens”

INTERVIEW. Depuis près de deux semaines, la guerre fait rage en Ukraine. Les frappes répétées de l’armée russe visant notamment les civils a poussé de nombreux Ukrainiens sur le chemin de l’exil. Près de deux millions et demi de personnes ont quitté le pays, un chiffre qui pourrait aller jusqu’à quatre à cinq millions selon l’ONU. L’accueil des réfugiés ukrainiens a fait l’objet d’un débat mardi 8 mars, lors de la plénière du parlement européen à Strasbourg. L’eurodéputé Bernard Guetta (Renew) y a participé.

La semaine dernière, les Etats membres ont adopté la directive sur la protection temporaire. En quoi cela consiste-t-il ?

Cette directive donne aux réfugiés ukrainiens la possibilité de vivre dans l’UE et d’y travailler pour une durée de trois ans (la durée de protection des réfugiés est d’une durée initiale d’un an, renouvelable par tranches de six fois, pour une durée maximale de trois ans, ndlr), ce qui est évidemment fondamental.

Plus de deux millions et demi de réfugiés ont déjà fui l’Ukraine. L’ONU table sur une vague de quatre à cinq millions de réfugiés. L’Europe peut-elle tous les accueillir et leur garantir des conditions de vie décentes pour ces trois années prévues par la directive sur la protection temporaire ?

Ce n’est pas une question de « pouvoir » mais de « vouloir ». En l’occurrence il y a une volonté de l’UE et un mouvement d’opinion qui est tout à fait favorable, même à l’extrême droite. Je ne pense donc pas qu’il y ait de difficulté politique quant à l’accueil des réfugiés ukrainiens. Sur le plan financier, il n’y a pas non plus de raison que l’UE ne puisse pas se permettre d’accueillir ces réfugiés ukrainiens. Le chômage est plutôt en régression – tout ça peut évidemment beaucoup changer avec la situation créée par la guerre –, pour l’instant la croissance est bonne, et dans beaucoup de domaines nous manquons de main d’œuvre. Ce ne sont pas forcément des métiers qui correspondent aux qualifications des réfugiés mais voyons les choses de manière pragmatique : quand on est réfugié, on n’a guère le choix et on prend le travail qui se présente.

On ne peut s’empêcher de comparer cette vague de réfugiés à 2015, et aux réfugiés syriens dont l’accueil en Europe était moins évident. Qu’est-ce qui a changé ?

En 2015 les réfugiés arrivant de Syrie, du Proche-Orient, d’Afghanistan et d’Afrique subsaharienne étaient vus comme des dangers liés aux vagues terroristes. Ils suscitaient une inquiétude. Ce n’est pas le cas avec les Ukrainiens. Vous avez des gens comme Monsieur Zemmour en France et ses émules dans d’autres pays qui expliquent que les réfugiés ukrainiens sont des gens honnêtes, que la preuve en est que ce sont des femmes et des enfants alors que les hommes sont restés combattre pour l’indépendance de leur pays et que donc nous nous trouvons dans une situation tout à fait différente de celle de 2015.

Cette volte-face augure-t-elle un changement des règlements de Dublin, qui fixent les conditions d’entrée des réfugiés dans l’UE ?

Dans les règles de Dublin, je ne sais pas, ce n’est pas joué. Ce débat est ouvert depuis longtemps, il peut être accéléré, et ce ne serait certainement pas une mauvaise chose. Ce qui est certain c’est que le regard porté sur les réfugiés ne sera plus le même. Je pense qu’il sera plus difficile de dire demain que des réfugiés fuyant une situation de guerre sont des profiteurs.

Pour l’instant, les réfugiés sont principalement accueillis en Pologne, en Hongrie, en Roumanie et en Slovaquie. Quelles aides l’UE apporte à ces pays ?

C’est l’une des choses discutées en ce moment même au Sommet de Versailles (qui avait lieu les 10 et 11 mars, ndlr). L’UE va évidemment apporter une aide spécifique aux pays de première ligne, principalement la Pologne et la Roumanie pour ce qui est des réfugiés. On ne peut pas laisser deux des États de l’Union supporter seuls ce fardeau, sans aide communautaire. On a déjà commencé à en parler au Parlement européen tout au long de la semaine de plénière qui vient de s’écouler et c’est un sujet qui va revenir, ne serait-ce que parce qu’il sera poussé par les élus roumains et polonais.

Lors de cette plénière, vous avez parlé de trois catégories de réfugiés. Pourriez-vous rapidement revenir là-dessus ?

D’une part, nous avons les réfugiés ukrainiens qui ont fui leur pays. D’autre part, nous avons des réfugiés russes qui ont fui leur pays, non pas pour fuir la guerre mais pour fuir la répression et l’impossibilité de vivre et de s’exprimer librement dans leur pays sans risquer des peines pouvant aller jusqu’à quinze années de prison... Quinze années de prison pour exprimer une opinion qui n’est pas celle du Kremlin ! Et la troisième catégorie de réfugiés, ce sont évidemment les déplacés à l’intérieur même du pays.

Revenons justement sur ces civils, déplacés à l’intérieur de l’Ukraine. L’UE peut-elle faire quelque chose pour leur venir en aide ?

C’est difficile car nous n’avons pas accès au pays. Mais il serait extrêmement souhaitable aux yeux de beaucoup de députés, dont je fais partie, que l’ONU effectue des largages de vivres et de médicaments sur les villes et les régions où l’on trouve des personnes de plus en plus démunies. Cette possibilité est envisagée mais l’organisation internationale a besoin d’un soutien politique. Elle ne l’a pas encore obtenu.

Aucune action de cette sorte ne pourrait être coordonnée par l’UE ?

Non, ça serait beaucoup plus logique que ce soit l’ONU qui agisse avec le soutien de l’UE. Ce n’est pas qu’un problème européen, c’est un problème humain et universel.

Les réfugiés russes, quant à eux, passent un peu sous les radars politiques et médiatiques. Quel accueil leur est réservé en Europe ?

Je pense qu’il y a une grande bienveillance dans l’accueil qui leur est réservé. Les autorités des pays concernés comprennent très bien qu’ils n’ont pas affaire à des criminels de guerre fuyant leur pays mais à des opposants fuyant un régime. Cependant, leur situation est extraordinairement compliquée, ne serait-ce que parce que les grands organismes de cartes bancaires ont désactivé les cartes bancaires émises en Russie. Ces réfugiés russes se retrouvent donc à l’étranger sans un sou en poche. Ils ne peuvent rien faire. Pour l’instant, il n’y a aucune mesure prise au niveau de l’UE pour leur faciliter la vie, et c’est évidemment tout à fait déplorable.

De nombreuses décisions ont été prises par la Commission et les Etats membres. Que peut faire concrètement le Parlement européen ?

Le Parlement européen peut faire ce qu’il a toujours fait, pousser la roue dans la bonne direction. Nous avons joué un rôle de premier plan dans la dénonciation du sort des Ouïghours avec l’attribution du Prix Sakharov à Ilham Tohti en 2019 (Ilham Tohti est un économiste chinois et ouïghour, condamné par le régime chinois à la prison à vie pour “séparatisme”, ndlr). Il est absolument évident que la pression politique exercée par le Parlement européen a beaucoup joué dans la force des sanctions imposées à la Russie. Le Parlement européen continue d’ailleurs à pousser pour que des sanctions encore plus importantes soient prises.

Quelles sanctions demandez-vous ?

Toutes les banques russes et bélarusses n’ont pas été sorties du système SWIFT, et je crois que c’est en train de se faire. Il y a également de forts courants d’opinion dans les rangs des eurodéputés, dont je fais partie, appelant à cesser immédiatement l’achat de pétrole et de gaz à la Russie.

Vous n’appelez donc pas à une réaction armée de l’UE face à la Russie ?

Le Parlement européen doit pousser et les gouvernements doivent décider. Nous n’avons pas le même rôle, nous n’avons pas les mêmes informations et nous n’avons pas les mêmes responsabilités. A mes yeux, nous devons pousser en faveur de mesures extrêmement radicales, et notamment de la protection du ciel ukrainien, avec l’instauration de ce que l’on appelle une « no fly zone » (zone d’exclusion aérienne, cela implique que tout appareil survolant cette zone est considéré comme ennemi et peut être abattu, ndlr). Cela ne peut pas se faire sans risque d’une confrontation directe entre les aviations des pays de l’OTAN et l’aviation russe, et c’est une chose qu’on ne peut pas envisager à la légère. Que nous disions, nous parlementaires, qu’il faudrait le faire c’est une chose, mais nous le disons en étant parfaitement conscients qu’en dernier ressort, la décision doit revenir aux gouvernements. Il est également absolument certain qu’il faut accélérer les livraisons d’armes à l’Ukraine, et qu’il faut que ces armes aient un degré de sophistication telle qu’elles permettent à l’Ukraine de se défendre contre des tanks et des avions.

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