Brexit. De l’accord aux élections.

, par Rémi Laurent

Brexit. De l'accord aux élections.
Des élections législatives se dérouleront le 12 décembre au Royaume-Uni. Source : Flickr

Après de nombreux atermoiements sur un éventuel accord, il semble que l’on voit enfin la lumière au bout du tunnel ; Boris Johnson ayant réussi à faire examiner son projet d’accord par la Chambre des communes. Si celle-ci a voté sur son principe, les Communes n’ont pas pour autant apposé leur signature au bas de la page. En somme, rien n’est gagné et un « no deal » par accident est toujours possible même si le risque s’éloigne. Retour sur les événements côté britannique après la conclusion de « l’accord » et tandis que se profilent des élections.

Samedi 19 octobre 2019 - Super samedi !

Les députés se réunissent pour une session extraordinaire de la Chambre des Communes, une première en 37 ans. Signe que la chose est rare, il s’agit que de la cinquième session parlementaire se tenant un samedi, la dernière remontant à la guerre des Malouines et celle d’avant à la crise de Suez. Tout le monde était prêt. Les médias britanniques avaient même trouvé un hashtag pour cette journée annoncée comme « historique » : #SuperSaturday.


Le Premier ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson, présentait son projet d’accord renégocié avec l’Union européenne (UE) à la Chambre des Communes. C’était sans compter sur l’amendement de l’un des 21 députés conservateurs « rebelles », Sir Olivier Letwin, et sélectionné par le Speaker de la Chambre, John Bercow : « la Chambre a examiné le sujet mais conditionne son approbation tant et jusqu’à ce que l’ensemble du texte et des actes législatifs d’application soient adoptés ». 
 Après 7 heures de débat sur le sujet, l’amendement Letwin finit adopté par 322 voix contre 306. Il impose au Gouvernement de demander un délai à l’UE quelque soit l’issue du vote sur le texte du gouvernement afin d’éviter une sortie sans accord par accident, le fameux « no deal ». Et ce, en dépit de l’opposition d’un Boris Johnson ne cessant de marteler à chaque question qui lui était adressé : « Get this Brexit done ! » et se refusant à tout nouveau report sur la date de sortie, notamment annoncer « préférer être mort au fond d’un fossé que de demander un nouveau délai »


Contraint une nouvelle fois par les députés comme le fut Theresa May, Boris Johnson tente un coup en suspendant l’examen du texte en début de la semaine qui suit ; espérant ainsi que le temps laissé à ses collègues les amène à de meilleures considérations. La journée, qui s’annonçait historique, n’a, en réalité, servi à rien et n’a fait que reculer l’échéance.

Le soir même, contraint par le Benn Act, Boris Johnson se voit contraint de demander un nouveau délai (le troisième) à l’UE. Ce n’est pas un mais trois courriers contradictoires qui partent en direction de Bruxelles sur les coups de 23h (heure de Paris/Bruxelles).

Dans un premier temps, une lettre non-signée de Boris Johnson demandant un délai, comme convenu.

Puis, une lettre de Tim Watson, ambassadeur du Royaume-Uni après de l’UE, accompagnant la lettre du Premier ministre demandant un délai et expliquant que le Gouvernement britannique prend les dispositions nécessaires pour la sortie du Royaume-Uni de l’UE au 31 octobre 2019.

Une nouvelle, signée de Boris Johnson, à Donald Tusk, président du Conseil européen expliquant son opposition à tout délai relatif à la sortie du Royaume-Uni de l’UE, avant d’en envoyer une également aux parlementaires et aux pairs du Royaume-Uni leur demandant de soutenir son accord.

Lundi 21 octobre 2019 - Rejet d’un 2e examen de l’accord

On prend les mêmes et on recommence. Ainsi qu’il s’y était engagé, Boris Johnson présente de nouveau son texte aux députés. Le Speaker de la Chambre des communes, saisi par plusieurs et par lui-même fait alors une déclaration en début de séance :

« Les conditions de ce jour sont, en substance, les mêmes que les conditions de samedi. Ma décision, par conséquent, est que la proposition de Loi ne sera pas débattue aujourd’hui car il serait répétitif et désordonné de le faire. Dans l’intérêt des collègues peu familiers avec la prétendue « convention de la question identique », qui est très solide et remonte à 1604, j’en résumerai le principe en une phrase : C’est une règle nécessaire que de s’assurer que d’une utilisation judicieuse du temps de la Chambre et du bon respect des décisions qu’elle prend. » 

Le Speaker rejette donc un deuxième examen de l’accord négocié par Boris Johnson en se basant sur un usage parlementaire vieux de quatre siècles. Il souligne avec une politesse toute britannique dans son intervention que le texte présenté l’avait déjà été moins de 49h avant et qu’il avait déjà rappelé cet usage parlementaire à Theresa May, le 17 mars 2019.

John Bercow rappelle que le ministre des relations avec le Parlement, Jacob Rees-Mogg, avait annoncé la décision du gouvernement de représenter le texte devant la Chambre des Communes seulement 21 minutes après le vote par les Commnunes de l’amendement Letwin le samedi 19 octobre 2019 et qu’il ne voit pas en quoi les conditions de l’examen du texte auraient changé en 21 minutes.

Mardi 22 octobre 2019 - Victoire en demi-teinte pour le gouvernement

Guère échaudé par l’amendement Letwin, ni par le refus du Speaker de permettre un deuxième vote sur son projet d’accord négocié avec Michel Barnier, Boris Johnson tente le tout pour le tout en soumettant l’ensemble du texte législatif réglant la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne à la Chambre des communes. Après une après-midi de débats très animés sur le sujet, deux motions sont soumises à la Chambre des communes.


Le premier vote, relatif au projet d’accord négocié par Boris Johnson, est remporté par le Gouvernement avec 329 voix « POUR » et 299 « CONTRE » ; soit une majorité de 20 voix.


A peine 30 minutes plus tard, deuxième vote de la soirée, cette fois sur le calendrier dévolu à l’examen du texte par le Parlement. Boris Johnson veut une procédure accélérée et un examen du texte en deux jours et demi. Un examen au pas de charge dénoncé par de nombreux députés dont Dominic Grieve ou encore Chris Leslie (@ChrisLeslieMP) qui rappelle le temps parlementaire alloué aux différents traités européens.

L’examen en procédure accélérée de l’accord de retrait proposé par le Gouvernement est rejeté par 308 voix « POUR », 322 voix « CONTRE » soit une majorité de 14 voix.


A peine sa défaite actée, Boris Johnson annonce à la Chambre des Communes qu’il suspend l’examen législatif du projet de retrait :


« Mr. Speaker, j’aimerais exprimer ma déception quant au fait que la Chambre a, une nouvelle fois, voté un report plutôt qu’un calendrier parlementaire qui aurait assuré que le Royaume-Uni sorte de l’UE le 31 octobre. Et maintenant, nous faisons face à l’incertitude et les Européens doivent savoir quelle réponse apporter à la demande du Parlement sur un report. Et la première conséquence, Mr. Speaker, est que le Gouvernement doit prendre la seule décision adéquate en accélérant nos préparatifs pour un « no deal ». Je parlerai donc aux États membres jusqu’à ce qu’ils parviennent à une décision. Et tant que nous n’aurons pas atteint un certain stade, je suspends [l’examen] de ce texte. Et laissez-moi être clair : notre politique est que nous ne devrions pas retarder [notre sortie]. Que nous devrions sortir de l’UE le 31 octobre. Et c’est que je dirai à l’UE et j’en référai à la Chambre. Et d’une manière ou d’une autre, nous quitterons avec cet accord que cette Chambre vient tout juste de donner son approbation. »

En apparence, on pourrait donc penser que l’accord est adopté mais ce n’est pas le cas car le vote « non legally binding », c’est-à-dire pas légalement contraignant, soit sans valeur légale. En effet, pour être réellement ratifié par le Parlement, le texte doit être approuvé par la Chambre des communes, puis par la Chambre des Lords avant de retourner aux Communes et de recevoir « l’assentiment royal », soit la signature de la Reine. Ce n’est qu’à ce moment et après publication dans l’équivalent du journal officiel local, que le texte sera considéré comme ratifié et légalement applicable.

Le soir même, Donald Tusk, président du Conseil Européen indique dans un tweet qu’il recommande l’approbation d’un report sans réunion les dirigeants européens mais en passant par le Coreper (instance de représentation permanente du Conseil) afin d’accélérer le processus et éviter l’organisation d’un nouveau sommet européen.

Lundi 28 octobre 2019 - Boris Johnson demande des élections anticipées

L’accord de retrait validé sur le principe, mais les députés ayant rejeté une procédure accélérée, Boris Johnson demande pour la troisième fois des élections générales anticipées. Une requête à nouveau rejeté par la Chambre des Communes.


La raison de ce rejet s’explique par le Fixed-term Parliament act (1) adopté par le Parlement en 2011 qui exige une majorité des deux-tiers soit 434 voix pour déclencher des élections anticipées. David Cameron, alors Premier ministre à la tête d’une coalition avec les libéraux-démocrates de Nick Clegg, avait fait adopter le texte pour éviter de voir sa coalition attaquée.

Boris Johnson réagit : « Nous n’allons pas laisser cette paralysie [parlementaire] continuer. D’une façon ou d’une autre, nous devons aller vers de nouvelles élections. […] Cette Chambre, Mr. Speaker, ne peut tenir en otage ce pays plus longtemps. Des millions de familles et d’entreprises ne peuvent prévoir leur avenir et je ne pense pas qu’il soit permis que cette paralysie et cette stagnation de continuer. »

Mais tout n’est pas fini puisque les élections à peine rejetées, la Chambre des communes prévoit un vote le lendemain pour… des élections anticipées.

Chambre des Communes : répartition des votes par parti (division 13)

Visualisez ici le détail des votes par député.

Mardi 29 octobre 2019 - Vers de nouvelles élections

A la mi-journée, sous pression, le Labour annonce, par la voix de son chef Jeremy Corbyn, qu’il votera en faveur d’élections anticipées. Dos au mur, le Labour ne pouvait en effet plus reculer sur le sujet.


Fin d’après-midi, Donald Tusk annonce dans un tweet que l’accord Conseil européen de la demande britannique d’un nouveau report de la sortie du Royaume-Uni de l’UE tout en rappelant qu’il serait temps pour les Britanniques de se décider. La tension redescend.

En dépit des réticences essentiellement françaises, ce nouveau report est repoussé au 31 janvier 2020. La France qui plaidait pour un report « technique » de quelques jours, se range finalement avec ses partenaires ne voulant pas être tenue responsable d’un « no deal ».


Cette « flextension », comme la nomme Donald Tusk lui-même ou report flexible, étant un report qui pourra prendre fin avant la date fixée si le Royaume-Uni adopte les textes légaux nécessaires à sa sortie du Royaume-Uni de l’UE. En attendant, pour se conformer aux traités, il revient au gouvernement britannique de désigner un Commissaire européen.


En début de soirée, les Communes votent finalement en faveur d’élections anticipées juste au-dessus du seuil requis des 434 votes contre 20.

[Chambre des Communes : vote pour des élections anticipées]

[Chambre des Communes : répartition des votes par parti (division 16)]

État des lieux pré-électoral

En deux semaines, Boris Johnson est donc parvenu à un accord accepté par les deux parties. Largement critiquable d’un point de vue économique, le texte permet toutefois une rupture plus nette, ce qui est une victoire pour les partisans d’une sortie de l’UE.


Adopté sur le principe, mais aussitôt suspendu par Boris Johnson suite à la décision des députés britanniques de prendre le temps nécessaire pour débattre du texte dans les détails, le projet d’accord est dorénavant suspendu aux élections générales anticipées qui se tiendront le 12 décembre prochain.


Avec des positions plus tranchées que jamais entre partisans et opposants au Brexit, un Parlement divisé ou « hung parliament » donc sans majorité n’est pas exclu. Rien ne dit que l’accord ne sera formellement ratifié ou que le Royaume-Uni sorte le 31 janvier 2020. Le cycle renégociation-délai-votes aux Communes recommencerait alors une fois encore.

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