Brexit : l’horloge tourne

, par Antoine Potor

Brexit : l'horloge tourne
Le Big Ben à Londres. Crédit : Arturo Mann

Alors que la quatrième semaine de négociations s’ouvre ce mardi, la date fatidique du 31 décembre 2020 s’approche de jour en jour tandis que les perspectives d’un accord s’éloignent. Ces deux mouvements opposés ne présagent rien de bon, puisque pour reprendre les termes de Michel Barnier, négociateur en chef pour l’Union européenne “l’horloge tourne”. Dans cette guerre du temps, c’est bien Boris Johnson qui semble tirer son épingle du jeu, avec un allié pour le moins étonnant : la covid-19. Après deux rounds de négociations qui se sont déroulés en visioconférence, il est temps de faire un bilan.

Des négociations qui patinent

Le Royaume-Uni ne peut pas refuser d’étendre la période de transition et dans le même temps ralentir les discussions sur les points centraux”. Cette déclaration de Michel Barnier à l’issue du deuxième round des négociations le 24 avril dernier peut résumer à elle seule l’état des discussions.

L’ensemble de ces négociations doit à la fois s’assurer de la bonne application de l’accord de retrait, c’est à dire le paiement du “divorce”, la protection des citoyens européens et britanniques des deux côtés de la Manche et la mise en place si besoin du protocole irlandais.

Sur ce point l’inquiétude est palpable, en effet l’un des points cruciaux de l’accord de retrait est d’empêcher à tout prix le retour des contrôles aux frontières entre l’Irlande et sa voisine du Nord, province britannique, afin de respecter les accords du Vendredi Saint. Ce point avait concentré les désaccords pendant des mois, fait chuter Theresa May, avant d’être résolu le 17 octobre 2019, autour d’une nouvelle version du backstop. Un filet de sécurité qui pourrait ne pas être mis en place à temps, c’est du moins ce que laisse entendre une enquête ainsi que des déclarations du gouvernement britannique allant dans le sens d’un rétablissement partiel des contrôles. Une autre manière de peser sur les discussions ?

Ces négociations doivent ensuite et surtout servir de base à la relation future entre deux partenaires très liés. Plus ces négociations seront approfondies, moins le changement de statut sera brutal. Or, il apparaît que les discussions patinent, notamment sur les questions les plus importantes comme les level playing fields ou bien encore l’accord sur l’accès aux eaux territoriales.

Sur ce point, tout oppose les équipes de négociations. Les Britanniques veulent fonder l’accord sur un quota de pêche révisé annuellement, tandis que Michel Barnier insiste pour un accès pérenne aux eaux territoriales britanniques pour les pêcheurs européens (et inversement).

Par ailleurs le négociateur en chef de l’Union a rappelé l’enjeu autour des level playing fields, plus le Royaume-Uni s’accordera sur les normes européennes, plus il aura un accès ouvert au Marché unique. Cette proportionnalité prend toute son importance au regard des enjeux environnementaux dont la Commission tente de se saisir avec le Green Deal : imposer l’alignement en contrepartie de l’accès à un marché de 450 millions de consommateurs permettra à l’Union européenne de s’imposer comme leader dans l’économie de demain, au-delà de seulement se protéger d’une concurrence faussée.

Enfin, les deux parties ne s’entendent pas concernant l’autorité de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE). Celle-ci devrait continuer à se saisir de litiges dans l’hypothèse où le droit européen serait appliqué. Ce serait notamment le cas dans le cadre de la coopération policière et judiciaire qui implique de nombreux droits fondamentaux garanties au niveau européen.

On le voit, ces négociations sont réellement difficiles, alors que chacun campe sur ses positions. Le passage à des discussions en visioconférence n’aide sûrement pas. Il y a un vrai décalage, chaque côté de la table ne travaille pas sur le même fuseau horaire, et en attendant, l’horloge tourne.

Le covid-19, meilleur allié de Boris Johnson ?

Dans toute cette stratégie échafaudée autour du temps, la pandémie de covid-19 est sans doute la meilleure alliée du Premier Ministre britannique, elle vient renforcer sa volonté réaffirmée à de multiples reprises de ne pas prolonger la période de transition au-delà du 31 décembre 2020.

En ralentissant les négociations, tout en accusant l’Union européenne d’hypocrisie sur l’accord qui pourrait être conclu, l’équipe britannique cherche à justifier à tout prix un hard brexit, finalement peu populaire au sein de la population britannique et surtout des milieux financiers. Les conséquences économiques seraient effectivement considérables, si du jour au lendemain des taxes sont rétablies et que les coopérations sont rompues. La covid-19 vient ici servir d’anti-douleur : toutes les conséquences liées à un hard Brexit pourraient en effet se voir absorber par la crise économique et financière qui a déjà débuté.

Cette stratégie qui vise à faire porter toute la responsabilité sur l’UE s’est intensifiée ces dernières semaines. Le secrétaire d’État Michael Gove a notamment accusé l’Union de ne pas être en capacité de protéger les droits des citoyens britanniques résidant dans l’Union européenne, ce qui est un des engagements pris dans le cadre de l’accord de retrait. Dans le même temps David Frost, le négociateur britannique a estimé que c’était le camp européen qui jouait la montre en “conditionnant les négociations à des clauses additionnelles déséquilibrées et imprévues”. On ne peut s’empêcher de penser qu’il est ici fait référence aux discussions autour de la question des level playing fields que le camp britannique ne cesse de rejeter mais qui est bien présente dans la déclaration politique du 17 octobre 2019.

En réalité, les Britanniques cherchent à mettre en quarantaine le cœur des négociations, et cela oblige Michel Barnier à concentrer ses efforts sur l’obtention d’une extension. Il a en effet plaidé à plusieurs reprises dans le bilan du troisième round pour que les deux parties s’entendent sur une telle possibilité afin de pouvoir construire un “partenariat ambitieux”. L’ancien Ministre français a même pris les arguments britanniques au mot près, Boris Johnson a en effet plusieurs fois indiqué que sa vision d’un accord était similaire à celui conclu entre l’Union européenne et le Canada, Michel Barnier a alors rappelé que la conclusion du CETA a pris “des années”.

Cette bataille du temps reste cependant très dangereuse, quand un camp cherche à en perdre l’autre essaie d’en gagner, laissant sur la touche l’enjeu fondamental de cette nouvelle saison du divorce : les relations futures, ne serait-ce pas une amorce de victoire britannique ? En effet on peut penser qu’une fois le 1er juillet passé, l’impossibilité d’obtenir une extension si essentielle aux yeux des européens, donnera à Boris Johnson un avantage dans les négociations qui seront définitivement closes au 31 décembre 2020.

Il ne faudra cependant pas oublier que tous les derniers épisodes du Brexit ont connu un coup d’accélérateur dans les dernières minutes. Aujourd’hui il est nécessaire que les pendules soient remises à l’heure entre les deux équipes de négociations, avant que l’horloge n’en sonne le glas.

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