Brexit : les négociations confinées

, par Antoine Potor

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Brexit : les négociations confinées

La pandémie de Covid-19 a également eu raison des négociations du Brexit. Alors que la période transitoire cessera au 31 décembre, les discussions entre Union européenne et Royaume-Uni sont à l’arrêt.

Alors que les négociations avaient commencé début mars concernant les futures relations entre le Royaume-Uni et l’Union Européennes, celles-ci sont fortement ralenties par la pandémie de coronavirus qui touche notre continent et qui est une épreuve européenne. De quoi rebattre les cartes du calendrier Brexit ? En effet comme l’a admis un diplomate européen, les négociations « sont un peu en quarantaine ».

Avant tout chose il semble intéressant de savoir où nous en sommes : du 2 au 5 mars les deux équipes de négociations se sont rencontrées à Bruxelles dans le cadre du « premier round ». Ces échanges qui doivent se poursuivre alternativement à Bruxelles et à Londres jusqu’à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne à la fin de l’année ont permis de mettre en exergue les principaux points de désaccords qui concentreront les discussions : les Level playing fields (LPF), la pêche, la gouvernance de ce futur accord et enfin la coopération judiciaire (sous entendu la compétence de la CJUE et de la CEDH).

Après une semaine de négociations, Michel Barnier se voulait réaliste : les négociations seront difficiles. Il s’agit tout autant pour l’équipe européenne de construire un partenariat économique que de garantir la bonne exécution de l’accord de retrait (droits des citoyens et protocole irlandais) ainsi que d’anticiper les changements à la sortie effective du Royaume-Uni.

A ce constat s’ajoute aujourd’hui la difficulté technique imposée par la pandémie de coronavirus. Que Michel Barnier ou David Frost (qui montre des symptômes) soient en incapacités de participer aux discussions ne pose en soi pas de problème puisque les équipes ne se résument pas à eux seuls, mais discuter à plusieurs dizaines de diplomates par visio-conférences d’un sujet aussi épineux parait compliqué. Pour l’heure, les deux équipes travaillent sur les versions d’accord proposées par l’une et l’autre. Et les mandats de négociations européen et britannique présentent des divergences.

Où se sont arrêtées les négociations ?

L’enjeu des Level Playing Fields

C’est sûrement le point qui créera le plus de frictions entre les deux équipes de négociations, c’est pourtant la clé de voûte d’un accord approfondi. L’objectif des LPF est d’empêcher des « distortions du commerce et des avantages concurrentiels injustifiés [sur la base] de standards élevés », ce qui est a été écrit noir sur blanc dans la déclaration politique d’octobre 2019, comme l’a rappelé Michel Barnier. Problème les Britanniques ne veulent pas d’engagement formel et refusent donc tout processus de règlement de possibles différends sur le respect de ces standards.

Pourquoi la question des LPF est-elle centrale du côté de l’Union ?

L’enjeu est de taille du fait de la proximité géographique du Royaume-Uni : avoir à sa porte un pays qui pratiquerait des standards différents de ceux applicables dans l’Union serait une menace. Cela se ressent dans le mandat de négociations validé par les Etats membres le 25 février dernier : toute une partie lui est exclusivement consacrée pour couvrir tous les domaines : concurrence, aides d’Etat, protection sociale, etc. Cet argumentaire ne trouve aucun écho du côté britannique, aucune mention n’en est faite dans le mandat de négociation, et David Frost l’a même formellement rejeté en amont de ce premier round.

Le rejet de la CJUE et de la CEDH

L’un des points de négociation sera le futur de la coopération judiciaire entre l’Union et le Royaume-Uni. La difficulté dans ce domaine est l’utilisation de données personnelles, ce qui inclut la garantie de protection des droits fondamentaux. C’est en tout cas la position européenne, qui subordonne toute coopération au respect des droits fondamentaux qui induit la compétence de la Cour européenne des droits de l’Homme et de la Cour de Justice de l’Union européenne.

C’est pourtant un rejet fondamental outre-manche puisque dans le mandat britannique le refus de toute compétence d’une Cour étrangère est formulé dès les premières pages : « le Royaume-Uni ne négociera aucun traité dans lequel il n’aurait pas le plein contrôle de sa législation ». David Frost va même plus loin, en étant quelque peu provocateur, puisqu’à ses dires, il n’y aura pas forcément besoin de rester un Etat partie à la Convention européenne des droits de l’homme pour maintenir les mêmes standards.

Cette possibilité d’un « second Brexit » sur les droits fondamentaux est envisagé à Bruxelles. En effet, la Commission souhaite pouvoir mettre fin à une éventuelle coopération judiciaire et policière dans le cas où le Royaume-Uni se libérerait de ses obligations conventionnelles. Une position qui semble être très ancrée du côté européen puisque la Présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen a précisément rappelé ce point dans une communication adressée aux députés le 10 mars dernier.

L’accord sur la pêche : condition sine qua non

C’est le point qui pourrait rapidement devenir explosif et écourter les négociations : l’accord sur la pêche doit être réglé avant le 1er juillet et est considéré par les négociateurs européens comme la condition sine qua non de tout accord commercial. Toute la question est de tomber d’accord à la fois sur les conditions et les zones d’accès, mais également sur les quantités de poissons qu’il sera possible de pêcher.

Ces questions sont essentielles, notamment du côté français où les pêcheurs vivent déjà certaines restrictions autour des îles anglo-normandes. Ce scénario pourrait-il s’étendre à l’ensemble des eaux britanniques ? Il y a pour l’instant un face-à-face sur la façon de régler cette question, puisque David Frost envisage un accord renégocié et renouvelé chaque année, ce qui est exclu par Michel Barnier pour des raisons d’incertitude qui pèseraient sur les pêcheurs européens.

Qu’attendre de la suite ?

À première vue, les négociations apparaissent mal amorcées, même si nous ne pouvons pas tirer de conclusions dès leur ouverture. Nous sommes pour l’instant dans une phase d’observation où chacun essaie de démontrer le bien fondé de ses positions avant de commencer à réellement négocier dans les semaines à venir.

La vraie incertitude est celle du temps, un temps d’autant plus précieux qu’il est grignoté chaque jour par la pandémie de coronavirus qui a mis les négociations « en quarantaine ». Boris Johnson ne semble pas vouloir céder sur la possibilité d’un report de la période de transition, et ce malgré les circonstances exceptionnelles qui touchent notre continent. Si c’est le cas, un accord avec une quelconque once d’ambitions semble de moins en moins probable et les conséquences seraient brutales.

L’économie de l’Union européenne aurait pu absorber ce choc, mais elle est aujourd’hui durement touchée, ce qui conduit à des mesures exceptionnelles : déclenchement de la clause dérogatoire du pacte de stabilité, rachat de titres dans la zone euro à hauteur de 750 milliards, assouplissement concernant les aides d’Etats. Certaines mesures dont le Royaume-Uni encore juridiquement lié à l’Union européenne peut bénéficier.

Cette question du temps est d’autant plus essentielle que la première grande étape est fixée au 1er juillet : celle d’un accord sur la pêche et de la date butoir à une demande d’extension de la période de transition, et il paraît peu probable que les pays européens se soient sortis de la crise sanitaire et de ses conséquences au mois de juillet…

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