« Victoire à la Pyrrhus ». C’est ainsi que le quotidien Libération qualifiait le 15 février la victoire du socialiste Salvador Illa aux élections parlementaires de la Generalitat de Catalogne, les premières depuis le rétablissement de la démocratie dans la région et la levée de l’article 155, ayant permis au gouvernement central de Madrid de juguler les velléités indépendantistes à l’issue des dernières élections de 2017.
Ce scrutin fait également suite à la destitution par le Tribunal suprême espagnol du président Quim Torra pour « désobéissance », après que celui a refusé d’enlever un symbole indépendantiste du Palau de la Generalitat, le siège du gouvernement, et ce en pleine campagne électorale.
Avec 23% des voix et plus de 650000 votes, le Parti des socialistes de Catalogne (PSC) n’a pas une avance suffisante sur les partis pro-indépendance, en particulier la Gauche républicaine de Catalogne (ERC). Son leader, le président sortant Pere Aragonès a obtenu 21,3 % des suffrages (soit 603000 votes). Viennent ensuite Laura Borràs de la coalition Junts (« Ensemble pour la Catalogne ») avec 20% et 570000 votes, Ignacio Garriga du parti de droite radicale Vox avec 7,7% et 217000 voix, Jéssica Albiach de la coalition de gauche En Comú Podem, Dolors Sabater de la « Candidature d’unité populaire » (CUP) et Carlos Carizosa, de Ciutadans, chacun avec moins de 200000 voix.
De nombreux changements par rapport aux élections de 2017 sont à observer, même si un constat reste tout à fait d’actualité : l’indépendantisme catalan continue de mobiliser une majorité d’électeurs. Pour la première fois, la somme des partis pro-indépendance (50,8%) est même supérieure à la majorité absolue. Sur la nature même de cette revendication, de nombreuses questions subsistent toutefois.
Interprétation multiple de l’indépendantisme
Les résultats du vote catalan ont pourtant été accueillis avec satisfaction par le pouvoir central à Madrid. « Les modérés l’ont emporté, il faut nous en réjouir ! » a déclaré le chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez. Les modérés, ce sont bien les Socialistes (Salvador Illa est l’ancien ministre de la santé de Sánchez), mais aussi l’ERC, décisif lors du vote de certains textes législatifs aux Cortes de Madrid, comme le budget. L’ERC est également apparu beaucoup plus modéré sur la question de l’indépendance, ce qui tranche singulièrement avec ses positions par le passé (ce parti est le premier à avoir inscrit cet objectif dans ses statuts dès le début des années 1990. Plus récemment, l’ancien chef du parti Oriol Junqueras, actuellement en prison, s’était montré très déterminé sur la création d’une république catalane).
Cette modération est à mettre en opposition avec Junts de l’ancien président Carles Puigdemont, beaucoup plus prompte à engager très rapidement un nouveau référendum, avec ou sans l’aval de Madrid.
Pour autant, un rapprochement entre Socialistes et l’ERC semble extrêmement peu probable, les trois partis pro-indépendance (ce dernier, Junts et CUP) ayant signé un accord peu avant le scrutin qui leur interdit de faire alliance avec le PSC. De manière général, le dialogue politique entre les tenants et les détracteurs de la scission avec l’Espagne semble impossible selon de nombreux commentateurs politiques. Par conséquent, Pere Aragonès devrait selon toute vraisemblance être reconduit dans ses fonctions de président de la Generalitat.
Effondrement de Ciutadans, progression de la droite radicale… les autres enseignements du scrutin
La prépondérance des partis pro-indépendance tranche avec l’effondrement des centristes de Ciutadans, pourtant arrivés en tête lors des élections de 2017 avec plus de 25% des voix et 1,1 million des suffrages. Une catastrophe électorale « sans précédent » dans l’histoire politique catalane, à en croire de nombreux médias. L’alternative libérale à l’indépendantisme n’aura donc pas marqué la politique et les électeurs catalans. Le média catalan El Nacional.cat, pointe quant à lui le fait que le parti n’a pas uniquement perdu sur le plan politique, mais aussi sur le plan financier (la perte de très nombreux députés au Parlement résultera en la perte considérable de subsides).
La chute de Ciutadans passerait pourtant presque inaperçu face à la montée du parti de droit radicale Vox. Fondé en 2013, le parti actuellement dirigé par Santiago Abascal au niveau national a réussi à s’imposer sur la scène politique espagnole lors des élections de 2019. Un succès « révélateur d’un certain mal-être dans une société catalane usée par plusieurs années d’instabilité gouvernementale » selon Le Petit Journal, journal francophone à destination des expatriés.
Au vu de l’importance des partis pro-indépendance, il est désormais plus qu’évident que l’Espagne, mais aussi l’Union européenne, doivent reconnaître qu’une majorité de citoyens souhaitent qu’une solution au « problème catalan » soit trouvée à terme. Les institutions européennes ont notamment une chance de se racheter une crédibilité aux yeux des Catalans, après leur réaction plus que timorée durant le procès des principaux leaders indépendantistes en 2018, puis à l’issue des élections européennes de 2019.
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